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La société Make Distribution : Un écran de fumée pour conclure le rachat des Jumbo Score?

La confirmation du rachat de Vindémia par le mastodonte Hayot est attendue dans les prochaines semaines. Dans le deal, il est prévu que la nouvelle société Make Distribution, qui doit racheter les magasins Jumbo Score que le Groupe Bernard Hayot ne peut reprendre, joue un rôle pivot. Mais le montage financier de Make Distribution que nous allons vous faire découvrir ne correspond pas à la communication mise en avant l’an dernier.

Ecrit par Ludovic Grondin – le lundi 17 février 2020 à 15H52

En juillet 2019, une annonce fracassante vient secouer le monde de la grande distribution péi. Le groupe antillais Bernard Hayot tombe d’accord avec l’autre mastodonte français Casino. Le deal porte sur le rachat des grandes surfaces de sa filiale Vindémia à La Réunion. Tombent dans le panier de la transaction les supermarchés Score et Jumbo Score. 

Mais pour éviter de voir le rachat compromis en raison d’une trop grande concentration entre les mains d’un seul acteur, Hayot programme de rétrocéder quatre Jumbo Score (Sainte-Marie, Saint-André, Chaudron, Savanna) à une société montée de toutes pièces : Make Distribution, acteur « à capitaux réunionnais« , annonçait le communiqué de presse en 2019.

 

Le risque principal est pris par une banque, en l’occurrence le Crédit agricole, auprès de laquelle la société SAB a pu lever 16,5 millions d’euros réinjectés dans Make Distribution sous forme d’avance en compte courant. 

« C’est un montage financier de telle sorte que si Make Distribution se plante, ça n’atteint pas la société anonyme Adrien Bellier« , nous explique un spécialiste du milieu bancaire.

« Comment la Banque Publique d’Investissement – c’est-à-dire l’Etat – peut-elle cautionner la pertinence de cet attelage et y participer ? », s’interroge cet interlocuteur.

Autrement dit, c’est le Crédit agricole, et donc l’ensemble de ses clients, qui sont en même temps ses sociétaires, qui pâtiront d’une éventuelle faillite de Make Distribution, et pas les actionnaires de la société Adrien Bellier !

Enfin, la surprise du chef intervient lorsque l’on s’aperçoit que des actionnaires de SAB sont aussi administrateurs du Crédit Agricole. Aux côtés de Médéric Barau, administrateur de la caisse locale du Crédit Agricole de Saint-André, se trouve l’ancien président du… Crédit Agricole, Christian Boyer de la Giroday, devenu simple administrateur depuis 2014. 

La montée en régime d’intérimaires 

Les 1.000 salariés des quatre Jumbo Score de Vindémia sur lesquels lorgne Make Distribution pourraient bien, au final, servir de variable d’ajustement.

Là encore, le discours très rassurant développé l’an dernier par Henri Bédier laisse place aux questions, à la lumière d’un document établi par Make Distribution.

Dans une note économique de perspectives que nous nous sommes procuré, la gouvernance de Make Distribution planifie son business plan sur cinq années, de 2020 à 2024, soit 5 exercices comptables.

Deux éléments devraient particulièrement retenir l’attention des syndicats et employés actuels des quatre Jumbo concernés.

Tout d’abord le chiffre d’affaires annoncé en 2020 est de 258 millions d’euros et ne cesse de progresser jusqu’en 2024 pour atteindre 295 millions d’euros. Idéal, vu comme ça.

Mais comment Make Distribution peut-il afficher une telle perspective de progression ? Le « remodeling » (censé attirer plus de clients) des hypermarchés Jumbo pour 5 millions d’euros n’explique peut-être pas tout.

Un indice est à retrouver dans le compte de résultat consolidé établi par Make Distribution. L’économie se joue comme très souvent sur la masse salariale : ainsi, sur la même période, les charges de personnel prennent la courbe inverse. De 8,2% du CA en 2020, ils ne représentent plus que 7,1% en 2024.

Par quel miracle est-ce possible ? Un coup d’oeil sur la ligne comptable dédié à l’emploi d’intérimaires suffit pour comprendre l’effet ciseau tant recherché.

À la lecture de ces chiffres, on peut d’ailleurs s’interroger particulièrement sur le fait que la CFDT ait pu valider ce rachat dans ces conditions et comment la BPI a-t-elle pu cautionner la précarisation de l’emploi sur le territoire ?

 

Un business plan ambitieux mais intenable ?

Le rachat de Vindémia par le groupe Hayot est présenté, dès son annonce en 2019, comme un deal qui doit aussi permettre de réactiver une forme de concurrence entre les acteurs de la grande distrib’ installés de longue date et le nouveau venu Run Market (le nom d’enseigne de Make Distribution).

Un levier sur les prix que Make Distribution compte obtenir grâce à son « partenariat avec la centrale d’achat Intermarché (qui) renforcera substantiellement l’équilibre concurrentiel de la grande distribution à La Réunion« , annonçait le communiqué de juillet dernier. Avec à la clé une baisse des prix de l’ordre de 3% !

Mais comment cela sera-t-il possible alors que sa centrale d’achat sera la plus petite localement et que des acteurs économiques, qui ont déjà eu l’occasion de travailler avec elle, assurent qu’elle est plus chère que ses concurrentes ?

Un équilibre impossible à trouver autrement que par une diminution du nombre de salariés

Les inquiétudes quant à l’avenir de Make Distribution sont d’autant plus légitimes que, derrière l’affichage d’une concurrence retrouvée au bénéfice des consommateurs, les signes tendent à montrer un marché déjà en rupture du modèle des grandes surfaces. Deux des quatre Jumbo rachetés par Make Distribution seront ainsi confrontés au lancement de deux nouveaux centres commerciaux E.Leclerc, l’un à Saint-Joseph et l’autre en construction à Beauséjour Sainte-Marie.    

« Le résultat d’exploitation annoncé dans le business plan de 6,6 millions d’euros devrait être impacté d’un manque de marges en valeur de 14 à 18 millions d’euros. Pour être à l’équilibre, Make Distribution devra identifier un plan d’économie de 7,4 à 11,4 millions », selon un spécialiste du secteur de la grande distribution. « Pour conserver le ratio affiché dans le business plan (que cet expert a pu consulter, ndlr), l’entreprise devra réduire ses charges de personnels de 4 millions d’euros (soit 125 salariés à temps plein) », conclut notre observateur.

D’autant que Make Distribution attend un retour sur investissement dès sa 9ème année d’exploitation des quatre Jumbo…

Plus que quelques semaines avant que l’Autorité de la concurrence ne rende sa décision de rachat de Vindémia par le groupe Bernard Hayot.

SUR LE SUJET :
[Pierrot Dupuy] [Le groupe Bernard Hayot, une pieuvre qui a fait main basse sur La Réunion]urlblank:https://www.zinfos974.com/Pierrot-Dupuy-Le-groupe-Bernard-Hayot-une-pieuvre-qui-a-fait-main-basse-sur-La-Reunion_a149053.html

 

Zinfos peut vous révéler le montage financier en décalage avec les annonces faites l’an dernier.

« Actionnaire majoritaire, la Société Adrien Bellier est une entreprise familiale réunionnaise créée en 1912 et qui produit de la canne à sucre. Henri Bédier en est le PDG », annonçait en juillet dernier la toute nouvelle société Make Distribution.

L’organigramme d’acquisition que nous nous sommes procuré montre un attelage moins « réunionnais » que ce qui avait été présenté. La S.A Adrien Bellier (SAB) n’est actionnaire de Make Distribution qu’à hauteur de 41%. 

Les principaux actionnaires de SAB découvrent l’existence d’un apporteur d’affaire pas si étranger

Le mariage à peine dévoilé en juillet de l’année dernière que, d’emblée, un acteur économique est mis en avant. Il s’agit d’Henri Bédier, président de la société SAB, détenue par des membres de la famille Barau, Boyer de la Giroday et Foucque.

Sur les plateaux télé, Henri Bédier avoue sans mal qu’il n’y « connaît rien à la grande distribution« , mais que Make Distribution pourra compter sur deux actionnaires issus du monde de la grande distribution.

À l’époque, Henri Bédier oublie de préciser que sa fille fait également partie du montage financier via la holding « Sanobine ». Les propres administrateurs de SAB ne l’ont d’ailleurs appris qu’en octobre 2019. Ils découvrent à ce moment-là que la fille d’Henri Bédier dispose d’un contrat d’apporteur d’affaires de 10% du montant de la transaction, ce qui équivaut à 6 millions d’euros.

Compte tenu des liens amicaux et économiques très forts entre le groupe GBH et Henri Bédier sur le Carrefour de Sainte-Suzanne et leur intérêt juridique et économique à se débarrasser de 4 magasins, se pose la question de l’intérêt d’un contrat d’apporteur d’affaires au milieu de ce montage complexe susceptible de voiler des flux entre « pseudo » concurrents.

Peu d’apport personnel… C’est la banque « amie » qui passe à la caisse

Un deuxième élément intrigue : pourquoi y-a-t-il si peu d’apport personnel direct et de garanties vers Make Distribution ?

La réponse est une nouvelle fois donnée par le montage financier qui s’est créé autour de Make Distribution.

Alors que la société SAB n’a cessé d’être mise en avant, elle n’est qu’un écran de fumée qui cache la création d’une autre société, BDM co, spécialement créée pour servir de fusible et cautionner l’emprunteur Make distribution dont l’apport principal est réalisé en compte courant par Victor Bellier Participation avec un emprunt de 16,5 millions d’euros obtenu auprès du Crédit Agricole. Autrement dit, sous réserve que les actionnaires de la société Adrien Bellier se soient portés caution solidaire et personnelle pour l’ensemble des besoins en financement, ils ne prennent au final qu’un minimum de risques sur des apports personnels dans le montage financier actuel.
 

 

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