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La relation France-Inde ne peut plus se construire sur le mythe de l’émergence

Le président Macron s’est rendu en Inde. Comme pour tous ses prédécesseurs depuis la signature en 1998 d’un « partenariat stratégique » entre les deux pays, les dossiers avec un tel géant sont nombreux et ne peuvent être réduits aux seuls Rafales. Ces dossiers sont principalement économiques. A cela une raison simple : l’Inde est […]

Ecrit par Dr Bruno Bourgeon, président d’AID – le jeudi 29 mars 2018 à 09H48
Le président Macron s’est rendu en Inde. Comme pour tous ses prédécesseurs depuis la signature en 1998 d’un « partenariat stratégique » entre les deux pays, les dossiers avec un tel géant sont nombreux et ne peuvent être réduits aux seuls Rafales. Ces dossiers sont principalement économiques. A cela une raison simple : l’Inde est d’ores et déjà la troisième économie mondiale si on mesure son revenu national en parité de pouvoir d’achat. C’est la plus grande économie émergente après la Chine. Mais a-t-on raison de fonder notre relation sur ce paradigme de l’hypercroissance indienne ?
 
L’Inde s’est mise à rêver au taux de croissance à deux chiffres, après avoir atteint 8 % de croissance lors de son Xe plan quinquennal entre 2002 et 2007. Ce même mythe a servi de slogan électoral à l’actuel Premier ministre Narendra Modi pour conquérir le pouvoir.
Depuis la démonétisation de novembre 2016, l’Inde ne cesse d’hésiter entre 6 et 7 % de croissance, sans emploi et avec des dégâts environnementaux incommensurables. La guerre idéologique contre les minorités religieuses ou le camp séculariste semble traduire le glissement de l’agenda économique vers un agenda identitaire très dangereux.
 
L’exemple est l’arrivée en 2016 d’un chef ministre hindouiste à la tête du plus grand Etat de l’Inde, l’Uttar Pradesh, 200 millions d’habitants. Sa première mesure a été l’interdiction totale du commerce des bovins pour des raisons religieuses, au détriment de la base économique et d’un des premiers secteurs exportateurs de l’Inde, qui était devenue en quelques années un des plus grands fournisseurs de viande bovine sur le marché mondial. Ce qui n’est pourtant pas un mal. Mais l’Inde compte 300 millions de pauvres extrêmes vivant avec moins de 1 dollar par jour, tandis que la moitié des enfants souffre de malnutrition.
 
Comment esquisser aujourd’hui l’avenir économique de l’Inde ? Les marchés financiers et le FMI continuent de vendre la perspective d’une croissance forte, autour de 8 % par an. De sorte que ce pays, 3e produit intérieur brut (PIB) mondial de la planète (5e au taux de change courant), devrait bien arriver finalement à faire partie de la ligue des superpuissances économiques.
 
Peut-être serait-il temps de comprendre que la religion de la croissance n’est pas l’horizon indépassable de l’humanité. Sans compter qu’on sait désormais à quel point la mesure de la richesse, ou plutôt du développement, par l’indicateur du PIB est de plus en plus trompeuse et dangereuse. Deux facteurs jouent un rôle majeur dans tout exercice de prospective sur l’avenir de l’économie indienne :
Tout d’abord, l’entrée de l’humanité dans l’ère de l’anthropocène et l’insoutenabilité de la croissance quantitative telle que nous la mesurons aujourd’hui. C’est vrai pour la planète dans son ensemble, c’est encore plus vrai pour l’Inde, dont la biocapacité est limitée en raison de sa forte densité de population, avec par exemple une pollution catastrophique de l’air dans toute la vallée du Gange.
Toute crise peut s’avérer salutaire ou providentielle et engendrer un véritable tournant dans nos modèles de croissance. C’est en partie vrai pour l’Inde, dont le modèle de gouvernance démocratique réagit plutôt sous la pression des contraintes, à la différence de la Chine qui se targue de pouvoir anticiper les défis à l’avance grâce à un dictateur omniscient.
 
Et on le voit avec l’adoption de la première révolution verte dans les années 1970 qui a effectivement permis de réaligner la production agricole sur la croissance démographique. Ou encore avec l’essor de l’énergie solaire depuis quelques années. La capacité d’innovation des Indiens est légendaire. Mais les désastres écologiques et sociaux de la révolution verte, ou encore ceux d’une énergie solaire spéculative et non décentralisée avec des centrales empiétant  sur des terres agricoles, montrent que les solutions techniques ne sont pas LA solution pour trouver une voie indienne de développement soutenable.
 
Une certitude : le mythe d’une croissance à deux chiffres appartient au passé et les indicateurs à suivre sont ce que le prix « Nobel » d’économie Amartya Sen a passé sa vie à élaborer : le développement comme épanouissement des libertés des personnes. De ce point de vue, l’Inde est toujours à la croisée des chemins. Si elle arrivait à mettre en œuvre une transition soutenable vers une société postindustrielle et écologique, elle pourrait être en avance sur le reste de la planète. La messe est loin d’être dite.
 
D’après Alternatives économiques du 09/03/2018

 

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