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La neuro-psycho-épigénèse

Ce terme, complexe à définir, regroupe plusieurs champs du savoir sur le vivant sans que l’un ait l’ascendant sur l’autre. Ils sont en interaction émergente. De nombreuses données génétiques très probantes, issues d’explorations en laboratoire sur les plantes et les animaux, mettent en évidence la dimension épigénétique qui rend compte de modifications d’expressions des gènes […]

Ecrit par Frédéric Paulus, CEVOI (Centre d’Études du Vivant de l’Océan Indien) – le mercredi 20 mars 2019 à 11H02

Ce terme, complexe à définir, regroupe plusieurs champs du savoir sur le vivant sans que l’un ait l’ascendant sur l’autre. Ils sont en interaction émergente. De nombreuses données génétiques très probantes, issues d’explorations en laboratoire sur les plantes et les animaux, mettent en évidence la dimension épigénétique qui rend compte de modifications d’expressions des gènes induites par leur environnement. Ces modifications peuvent être salutaires ou délétères, générant des malformations, des maladies ou des configurations homéostasiquement bien vivantes. L’épigénétique est donc ce domaine du savoir des sciences du vivant qui étudie les modifications transmissibles et réversibles de l’expression des gènes ne s’accompagnant pas de changements de la séquence des bases de l’ADN. Nous postulerons dans un second temps que le maintien codant de ces bases garantirait l’individuation biologique et psychologique. Le génome originel se confronterait aux freins culturels acquis incarnés et aux inhibitions neuro-épigénétiques lorsque celles-ci entravent le vivant, notamment physiologiquement. Ceci implique que le génome rencontre des entraves dans sa codification. Le terme « neuro » associé à « épigénétique » évoque que l’ensemble de l’organisme relié neuronalement et glialement à la physiologie (et plus généralement au phénotype) peut subir pour le meilleur comme le pire la part d’influence environnementale. Et ce, lorsque l’organisme se constitue (ou ontogénèse), dès la fécondation et la gestation.

La psychologie serait en quelque sorte la face partiellement visible de l’iceberg, considérée fondamentalement comme une émergence (ontogénétique) qui exprimerait notre singularité biologique dans un contexte donné socioculturel, économique et socio-affectif. Le sociologue Pierre Bourdieu aura perçu cette dimension épigénétique du vivant humain, selon son regard de sociologue. Il évoque les conséquences de cette dimension épigénétique sous le terme « d’habitus ». Notons que Jean-Pierre Changeux aura évalué également la part d’influence sociologique dans la composante neuroépigénétique, prenant en considération cette notion d’habitus dans son dernier ouvrage « La beauté dans le cerveau », Ed O. Jacob, (2016). Il lui consacre un chapitre sur les douze (1) composés. L’habitus peut être succinctement défini sociologiquement comme l’ensemble des habitudes ou des comportements acquis par un individu, un groupe d’individus ou un groupe social. La thématique de l’adaptation (ou de la non adaptation) de l’individu se pose d’une manière sous-jacente. Jean-Pierre Changeux évoque « les bases neurales », en faisant une sorte de toile phylo-ontogénétique et épigénétique, en d’autres termes une matrice. Celle-ci relie tout le corps, particulièrement la physiologie, tout en influençant la sphère de l’esprit. Si bien que, par exemple, ce qui est perçu comme « beau » par le cerveau peut être traduit différemment sous l’influence de l’habitus. Wilhelm Reich (1897-1957) en avait eu l’intuition en qualifiant l’habitus (avant Bourdieu), dans sa dimension psycho-biologique, de « carapace musculo-caractérielle ». Cette carapace résulterait du mode de vie et de l’éducation dès la naissance de l’enfant et peut-être dès sa conception, modifiant l’embryogénèse et la neuro-psycho-genèse ; en créant un environnement cellulaire marqué par des stases et miasmes organiques délétères. Cet environnement des cellules, sujet à inflammations, favoriserait, à terme, un contexte physiologique propice à la prolifération du cancer. Cette thèse est développée dans son ouvrage « Biopathie du cancer », Ed Payot, (1948). Cet auteur contemporain du grand savant Otto Warburg (1883-1970) aura poursuivi les travaux de ce dernier (trois fois nobélisé), tous deux pouvant être considérés comme les grands oubliés de la cancérologie actuelle.

Deepak Chopra médecin philosophe et Rudolph E. Tanzi neurologue élargissent les influences épigénétiques des maladies courantes, et d’autres plus complexes, en écrivant : « Les premiers gènes à l’origine de la maladie d’Alzheimer découverts par R. Tanzy et d’autres chercheurs à la fin des années 1980 et 90 véhiculaient le principe de mutations génétiques. Cependant, dans 95 % des malades héréditaires, des modifications dans l’ADN de nombreux gènes (variants) se combinent pour déterminer au final le risque de contracter la maladie, en ajoutant les habitudes liées au mode de vie et l’expérience. Ces variants d’ADN sont considérés comme facteurs de risque génétiques. Si certains augmentent ce risque, d’autres peuvent toutefois nous protéger de la maladie. Mais dans la majorité des cas, le résultat dépend du mode de vie et de l’exposition environnementale », p. 340, in « Le fabuleux pouvoir de vos gènes » (2). Ces deux auteurs, auxquels nous ajoutons Madame Isabelle Mansuy de l’université de Zurich (de passage à La Réunion en 2018) pour ne citer qu’eux, reconnaissent qu’il est nécessaire de s’armer de la perspicacité d’un détective pour établir la part des gènes et la part de l’environnement dans l’émergence de toutes ces mutations dites de « novo ». Ces « néomutations » n’étaient pas présentes dans les génomes de nos parents. Pour Chopra et Tanzi, de nombreuses maladies telles que la schizophrénie, le diabète de type 2, l’obésité, le trouble bipolaire, certaines maladies cardiaques et le cancer…, « où les variants associés à ces maladies ne représentent jusqu’à aujourd’hui que moins de 20 % du risque de variance ». 

Cette constatation soulève la question d’une possible vulnérabilité du génome face aux influences environnementales générant nombre de mutations épigénétiques comme le pense Nathalie Zamatteo dans son ouvrage « L’impact des émotions sur l’ADN », (2014). Pour la docteur en biologie : « Plusieurs millions d’interrupteurs se trouvant sur l’ADN permettent aux gènes d’être lus ou de rester silencieux. La science qui étudie ces interrupteurs et l’interaction entre l’ADN et l’environnement s’appelle l’épigénétique. Les découvertes récentes nous enseignent que tout ce qui fait partie de notre environnement, y compris les émotions, influencent l’ouverture ou la fermeture de ces millions d’interrupteurs sur l’ADN, agissant ainsi sur notre santé ». 

Quant à la dimension « psycho », nous l’illustrons par la métaphore de l’iceberg dans sa face visible. L’invisible serait la dimension génétique de la personnalité. La psychologie serait considérée comme la partie émergente de la biologie dans un contexte sociétal donné. Sa structuration dans sa face entreprenante ou sa vulnérabilité dans sa dimension invalidante s’évalueraient compte-tenu des influences de l’environnement et de l’histoire de l’organisme depuis sa conception. L’ensemble de la personnalité serait sous l’interaction structurante de la partie immergée qui se manifesterait en continuité selon un « processus » que le psychanalyste Carl G. Jung aura qualifié « d’individuation ». Ce processus interviendrait à notre insu en déstabilisant les habitus épigénétiquement codés qui entraveraient la personnalité. Jung illustre cette hypothèse par sa théorisation de « la crise du milieu de la vie » lorsque les valeurs qui soutenaient le Moi (l’égo) laissent une place fonctionnelle et épigénétique (pour le meilleur) à de nouvelles émergences et potentialités contenues dans le génome. La névrose psychique correspondrait à une fixité épigénétique des composants qui structurent la personnalité, l’empêchant de se transformer. Cette hypothèse de la neuro-psycho-épigénèse mériterait d’être débattue par des spécialistes ouverts à la transdisciplinarité. Scientifiquement validée, elle devrait sous-tendre une nouvelle approche de la psychologie en unissant la psychologie clinique des profondeurs aux études du développement de l’enfant. Quant aux pratiques de médecine générale, elles devraient profiter d’une refonte explorant le mode de vie des malades, leurs expériences, leur résilience potentielle, tout comme leur(s) vulnérabilité(s) épigénétique(s).   

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 (1) « Les bases neurales de l’habitus », in Jean-Pierre Changeux, « La beauté dans le cerveau » (2016).  
 (2) Sous-titre de l’ouvrage de Deepak Chopra et Rudolph E. Tanzi : « Comment influer positivement sur votre ADN pour une meilleure santé physique et psychique » (2016).

 

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