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« La mémoire Tabysman »

« Où est passé l’esprit du Tabysman ? » Ça pourrait être le mot d’ordre de cette nouvelle année. Depuis ces dernières semaines, une polémique anime notre communauté tamoule : va-t-on mettre un terme à notre tradition cultuelle, celle qui a toujours rythmé notre passage d’année civile, celle encore qui marquait la fin de la […]

Ecrit par Le Collectif "Gardyin Tabysman" – le samedi 02 janvier 2021 à 11H16

« Où est passé l’esprit du Tabysman ? »

Ça pourrait être le mot d’ordre de cette nouvelle année. Depuis ces dernières semaines, une polémique anime notre communauté tamoule : va-t-on mettre un terme à notre tradition cultuelle, celle qui a toujours rythmé notre passage d’année civile, celle encore qui marquait la fin de la campagne sucrière pour nos ancêtres ?

Tamouls, engagés après la fin de l’esclavage et de la traite négrière, nous sommes avant tout un peuple de villageois, aux traditions rurales. Celui qui garantissait les travaux des champs, détenteur des techniques de transformation du sucre. Tout ce savoir a voyagé par bateau, dans les cales de l’Espoir, porté par nos aïeux, nos Gramouns, qui fuyaient une misère criante du continent, pour un avenir insulaire plus radieux. Sur place, c’est l’acceptation fatale de ne plus revoir le continent, l’impérieuse nécessité de se réinventer ici et maintenant sur cette île, entre la faim et la misère persistante ; c’est la résilience face au travail harassant, aliénant dans la bitasyon des propriétaires et industriels. Mais dans l’arrière-cour des kalbanons, le soir, à l’ombre des regards scandaleux du contremaitre, dans le silence des oreilles aux aguets du komandèr, le peuple-du-servis, serré entre Kafs et Komoriens – main d’oeuvre servile opprimée à leur instar- rêve d’aterlaba, déor l’Espace, le
Temps nostalgique, LE Continent. « Celui qui regarde par-dessus le mur » (pousari) confie sa complainte aux divinités de la Terre, aux Gardiens, dans la fumée des tourkal et tambalon, de fer-blanc, cadencée par la mélopée des peaux de cabris, jouée par nos confrères Kafs opprimés. C’est notre syncrétisme, depuis notre épopée océanique, notre roman national : de la traversée de Goa en compagnie des indo-musulmans (du Gujrati), à notre mât Nargoulam, à l’entrée des karé d’fé.

A l’aube de cette nouvelle année, à l’entrée des chapelles Tabysman (marche sur le feu) et de sa capitale : Bois Rouge, il y a évidemment le goût amer de toute cette nostalgie, qui se lit dans les regards hagards, qui se ressent dans les paroles lourdes de tout descendant d’engagé. La crise sanitaire de 2020 a remis en cause la capacité d’accueil et d’officine dans lesdits Tabysman : marche sur le feu, sacrifice d’animaux. Doit-on rechercher un coupable, alors que la Préfecture n’a émis aucun arrêté interdisant le culte sur le territoire de la
République ? Alors que le Décret n°2020-1505 du 2 décembre 2020 fixe l’observation d’un protocole sanitaire pour l’accueil des fidèles dans les lieux de culte. Une simple incompréhension.

Nous sommes un collectif de fidèles, gardiens de l’héritage des Tabysman, de ses modalités, qui fait de cette crise sanitaire, l’occasion d’une réflexion fondamentale sur le Sens de notre Action pour la société, à partir d’une détermination culturelle de Tamoul. Par notre syncrétisme, notre action s’adresse à toutes les communautés religieuses de la République Française : nos Frères et Soeurs animistes (comoriens, malgaches, mahorais), musulmans, catholiques, protestants, juifs, bouddhistes, et même athées. Notre Histoire puise ses
racines dans l’Histoire agricole de notre île, ce que nous vivons doit être l’effort de réflexion collective, l’effort de lutte et de résilience qui nous permettront sans cesse de nous réinventer face à l’adversité – comme l’ont fait nos aïeux en 1920, avec le Candee Mariammen, véritable gage d’ingéniosité et de modernité.

100 ans après, nous en appelons à l’unité de la communauté tamoule face à cette crise, à son lot de restriction quant à nos pratiques. Nous en appelons à la solidarité et à l’indulgence, dans la compréhension des décisions de chaque instance associative des Chapelles – qui sont encore le fait des Hommes. Nous en appelons à la Mémoire des Lieux, à Celle de la Terre-des-Opprimés, nous plébiscitons les Tabysman comme lieu d’expression et de Sens populaires. Nous en appelons à tous les fidèles de toutes les communautés religieuses de l’île : il est grand temps de convoquer à nouveau l’Esprit de notre syncrétisme, afin de faire société-en-devenir.

Nous souhaitons présenter notre conception du Temps et de l’Espace, sous le prisme des Chapelles Tabysman, aux plus hautes instances de l’Etat, afin qu’il les sanctuarise, comme espaces originaux, novateurs, Créolisant.

Le 2 janvier 2021 marque ce premier galé que nous posons pour la Mémoire, l’Esprit de lutte et de résilience, pour nos Tabysman…

« On est vraiment mort quand il n’y a personne pour se rappeler notre nom, sur cette terre. » (Dany LAFERRIERE – essayiste Haïtien -, L’Odeur du Café)

Nos Gramouns rient,
Je les entends du haut de notre Courage.
Enfin… Leur Aterlaba dantan.

 

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