Revenir à la rubrique : Courrier des lecteurs

La grande arnaque des assurances vie

L'hiver dernier (2014/2015) trois des principaux groupes d'assurances européens (CNP, Allianz et la filiale assurance décès de BNP Paribas) ont été condamnés par les autorités françaises à des amendes "record". La presse en a finalement peu parlé mais la fraude s'élève à des millions d'euros et a duré des années. Elle reposait pourtant sur un principe simple et qui aurait pu être repéré plus tôt : ces établissements ne recherchaient pas les ayant-droit des personnes décédées et ayant contracté une assurance vie. Plongée dans l'industrie sordide du business de la mort.

Ecrit par Pamphlétaire – le lundi 22 février 2016 à 12H54

Je m’inquiète pour mes proches et je veux que leur soient versées des compensations si je décède subitement ? Je peux faire le choix de souscrire une assurance vie ou à une assurance-décès. Seulement voilà, je ne serai plus là pour m’assurer que mes volontés soient respectées. Mon décès peut aussi très bien survenir sans que je n’ai pris le temps de prévenir mes proches de cette souscription. Que se passe-t-il alors ? Comme le stipule l’article L 132-8 du code des assurances « lorsque l’assureur est informé du décès de l’assuré, l’assureur est tenu de rechercher le bénéficiaire, et, si cette recherche aboutit, de l’aviser de la stipulation effectuée à son profit ». Pour ce faire, mon assureur est censé consulter régulièrement un répertoire national dans lequel les pouvoirs publics consignent les décès survenus (le Répertoire d’Identification des Personnes Physiques ou RIPP). Seulement voilà, par une série de limitations techniques et en traînant les pieds, il fut possible aux plus grands groupes d’assurances de contourner ce règlement pendant des années.

« Pas possible de mourir avant 90 ans » ou la longue vie rêvée de Madame Michu

En France, un établissement de crédit ou d’assurances ne peut exercer ses activités sans bénéficier de l’agrément de la discrète Autorité de Contrôle Prudentiel et de Régulation (ACPR). Cette autorité professionnelle dispose du pouvoir d’enquêter et de condamner les établissements qui se seraient livrés à des entorses réglementaires. En général, une simple remontrance, une chiquenaude et ça repart. Dans une décision du 19 décembre 2014, l’ACPR a pourtant condamné l’assureur ALLIANZ à 50 millions d’euros d’amende. Pour quelles raisons ? Car les recherches effectuées par cet établissement d’assurances auprès du fameux RIPP ont été plus que sélectives. A compter de 2009, les employés d’Allianz se sont, en effet, vus demander d’introduire un « critère de sélection » des assurés dont ils recherchaient le décès éventuel auprès du registre des personnes. Devant l’ordinateur, plus besoin de chercher à vérifier la situation de tous les assurés ayant contracté un contrat chez Allianz. Les règles internes à l’entreprise stipulaient qu’il s’agissait désormais de se limiter aux « seuls contrats en cours dont les assurés sont âgés de plus de 90 ans » [1] et représentant plus de 2000 euros. En croisant ces deux critères, Allianz ne s’assurait du décès éventuel que de 0,51% de ses assurés. Des consignes furent également données pour écarter délibérément certains types de contrats « notamment les contrats collectifs, qui représentent plus de 12 milliards d’euros ». En 2013, quand sous la menace d’une sanction ces critères restrictifs sont levés, ce sont plus de 37 000 noms de personnes décédées qui refont surface chez Allianz Vie.

Même combine à la CNP (pourtant partiellement détenue par l’Etat). Condamné à 40 millions d’euros d’amende en octobre dernier, il lui est reproché des « consultations qui ont porté sur un périmètre incomplet, CNP en ayant exclu (i) les assurés dont le décès est antérieur à 1978, (ii) les contrats collectifs d’épargne, retraite et prévoyance, qui représentent 6,3 milliards d’euros de provisions techniques, (iii) les contrats à terme fixe arrivés à échéance, qui représentent 84 millions d’euros au moins, et (iv) les contrats pour lesquels une rente était en cours ». Pour les décès survenus avant 2008, près de 2 milliards de capitaux ont été non réglés à plus de 99 000 bénéficiaires. Les contrats en déshérence n’avaient pas non plus été systématiquement reversés à l’Etat.

Les « purges comptables » : sortez la broyeuse

Face à l’ampleur de la fraude, les autorités décident de prélever au hasard des dossiers d’assurés dans les fichiers d’Allianz et de la CNP pour voir comment sont menées les recherches des éventuels bénéficiaires. Chez Allianz, dans 52% des cas les ayant-droit n’ont pas été retrouvés. Les délais d’instructions sont dans tous les cas très importants (Allianz ne disposant que d’une vingtaine de personnes à temps plein pour rechercher les bénéficiaires). Et même lorsque les courriers reviennent en erreur par la Poste depuis le domicile de la personne décédée, l’assureur n’estimait pas cet élément suffisant pour creuser plus avant. A la CNP, ce sont « 88% des dossiers qui sont défaillants ». Non seulement les établissements d’assurances concernés ont volontairement limité leurs recherches dans le fichier des personnes décédées mais ils ont de surcroît trainé les pieds pour enclencher les procédures d’indemnisation. Dans certains cas, l’enquête visant à rechercher les bénéficiaires mettaient plus de trois ans à démarrer. Un laps de temps suffisant pour laisser les éventuels bénéficiaires sécher leurs larmes et oublier l’existence d’un contrat. Dans certains cas, les bénéficiaires n’ont été prévenus qu’en 2010 pour des décès survenus dans les années 1970.

Pour ralentir encore un peu plus d’éventuelles indemnisations, Allianz faisait procéder « annuellement à des « purges comptables », faisant disparaître les traces de ces contrats de ses comptes. Cette destruction est illégale, les pièces comptables étant soumises en théorie au moins à un délai de dix ans. Selon la presse financière, Allianz est passé près d’une interdiction temporaire d’exercice pour ces manipulations. Les lignes comptables étaient effacées « cinq ans après le dénouement du contrat (décès ou terme), si aucune prestation n’avait été réclamée ». On parle ainsi d’au moins 114 millions d’euros prélevés entre 1985 et 2006 : « Une fois purgés, ces dossiers, dont la preuve de la prescription n’a pas été rapportée, n’ont plus donné lieu à traitement ni recherche des bénéficiaires ». Pour effacer définitivement toute trace, ces manipulations comptables étaient accompagnées « d’une destruction physique des dossiers concernés, qui auraient été pilonnés ». Chaque année des centaines de contrats d’assurances étaient ainsi détruits par les salariés.

Cynisme et impudeur derrière le voile de la complexité financière

Sans aucune moralité, ces établissements d’assurances ont pendant des années prélevé des mensualités sur le compte de particuliers puis ont cherché à ne pas honorer leur part du contrat une fois ceux-ci décédés. Ces pratiques ne concernent pas de petites officines inconnues du grand public mais les principaux groupes européens du secteur. Ces derniers ont mis des années à être condamnés et y compris au cours de l’instruction, les établissements concernés ont tout mis en œuvre pour nier ces pratiques. Ainsi chez Cardiff (la filiale de BNP), on attendait sans doute l’envoi d’un faire-part de décès pour rembourser les familles. L’avocat de la banque (finalement condamnée à 10 millions d’euros d’amende) argumentera sans vergogne que consulter le Registre des personnes « ne permet de connaître que le décès « éventuel » » d’un assuré ; « seul un acte de décès ayant à cet égard le caractère d’une information probante ». Mieux encore, c’est finalement pour protéger les assurés (pourtant signalés comme décédés) si les familles n’étaient pas contactées puisque « l’utilisation de l’information résultant de la seule consultation du fichier RNIPP pourrait s’avérer contraire aux intérêts des assurés et des bénéficiaires en conduisant l’assureur à révéler l’existence de clauses bénéficiaires d’un contrat alors que l’assuré n’est pas décédé ».

Du côté des avocats d’affaires, le ridicule ne tue pas. Et croire en la vie après la mort est même une garantie du maintien de la rentabilité de ses clients. Car y compris après ces lourdes amendes, l’opération reste juteuse. Le Sénat avançait en avril dernier que les stocks de contrat non réclamés s’élevaient en France à près de 4,6 milliards d’euros[2]. De quoi payer un timbre au tarif lent pour prévenir les enfants de ceux dont on n’a pas supprimé purement et simplement les contrats d’assurance-vie.

________________________________________

Patrick Cheptel
[1] Tous les passages entre guillemets qui suivent sont issus des décision rendues par l’APCR.
[2] Agefi quotidien du mercredi 5 novembre 2014

En France tout est prévu sauf la présence d’escrocs. Au fait, tout peut s’assurer, sauf les infractions, mais à quel prix!!!

 

Thèmes :
Message fin article

Avez-vous aimé cet article ?

Partagez-le sans tarder sur les réseaux sociaux, abonnez-vous à notre Newsletter,
et restez à l'affût de nos dernières actualités en nous suivant sur Google Actualités.

Pour accéder à nos articles en continu, voici notre flux RSS : https://www.zinfos974.com/feed
Une meilleure expérience de lecture !
nous suggérons l'utilisation de Feedly.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

Dans la même rubrique