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« La fragilité du beau » à La Possession

Que restera-t-il de cette 32e édition des journées européennes du patrimoine à La Réunion ? De cette beauté, il restera bien des signes sans doute mais qu’il faudrait savoir déchiffrer : cette beauté réunionnaise, telle qu’elle pourrait aussi bien exister sans nous dans le paysage naturel, et qui pourtant sans nous se résoudrait à « un simple désert […]

Ecrit par zinfos974 – le lundi 21 septembre 2015 à 15H37

Que restera-t-il de cette 32e édition des journées européennes du patrimoine à La Réunion ? De cette beauté, il restera bien des signes sans doute mais qu’il faudrait savoir déchiffrer : cette beauté réunionnaise, telle qu’elle pourrait aussi bien exister sans nous dans le paysage naturel, et qui pourtant sans nous se résoudrait à « un simple désert inutile » dans le paysage culturel. Ce week-end européen du patrimoine nous aura permis non seulement de découvrir le beau mais aussi de nous interroger sur son sens.

 
A l’occasion du 5e anniversaire de nos pitons, cirques et remparts au patrimoine mondial, une conférence sur le thème du « Beau » s’est tenu le samedi 19 septembre à la médiathèque Héva de La Possession. Présentée par les responsables du parc national de La Réunion, elle aura retenu l’attention d’une faible poignée de « visiteurs » très attentifs. Mêlant, données scientifiques et poésie, la conférence se termine – ironie du sort – sur un beau poème dédié à « Héva »,  esclave marronne légendaire de l’île de La Réunion, compagne d’Anchain, symbolisée par la sculpture centrale de la médiathèque qui en porte son nom mais plus sa tête.
 
Rien n’est aussi fragile que le beau qui s’exprime dans une œuvre d’art ou dans la nature. Il est d’une fragilité proprement extrême en raison de son caractère de pointe. La pointe du beau porte en elle le signe de l’altitude. Elle s’élève au-dessus de tout comme le dit Maldiney en s’appuyant sur Oskar Becker. De cette pointe, inversement, il s’en faut à chaque fois de rien que l’on ne tombe. La tête d’ Héva est tombée et nous en sommes aujourd’hui privés. Que faut-il en déduire ? Sa station debout en bloc de granit est proprement héraclitéenne. A sa façon, elle « parle » de sa fragilité, laquelle partagent aussi, les pitons, cirques et remparts venus merveilleusement et naturellement la retrouver le temps d’une belle conférence.
 
Il serait temps que la culture se préoccupe un peu plus sérieusement de l’art à La Réunion. Car, comme le pensent Gilles Deleuze et Felix Guattari dans le septième et dernier chapitre de « Qu’est-ce que la philosophie ? » «L’art conserve et c’est la seule chose au monde qui se conserve. Il conserve et se conserve en soi».
 
Ce qui se conserve en effet comme seul l’art peut le faire, n’est pas une forme fixe posée comme un objet à travers les clichés ou « les fish eyes des caméras robotisées à l’avant des hélicoptères dispensant à longueur de spots publicitaires des images lisses et distantes pour tours opérators et offices de tourisme en mal de sensations », au contraire, ce qui se conserve c’est le rythme, la forme dans l’instant en tant qu’elle est assumée par ce qui est mouvant, par ce qui est fluide. Il existe à l’île de La Réunion, un art de vivre atypique et un modèle vivant d’un art de penser. Ils sont beaux mais fragiles ! C’est la petite leçon que nous donne l’essentiel de la charte du parc national de La Réunion disponible en 39 feuillets.
 
Est-ce que cette « fragilité du beau » dont on en propose une lecture dans ce courrier des lecteurs, était le projet de la danse d’équilibre instable de la compagnie Artmayage, réalisée dans les arbres du parc Rosthon? La retrouvera-t-on dans les visites de chemin Kala, dans les enclaves du Dos d’Ane, porte ouverte sur Mafate inscrit au patrimoine de l’UNESCO ? Se référera-t-on à la « fragilité du beau » pour signaler les nombreux lieux de mémoire de La Possession (en dehors des Lazarets) ceux du terrain de sel, de la zone de batelage, du camp magloire, etc. pour faire court, tant et tant il existe une richesse patrimoniale ultra marginalisée à laquelle la ville semble tourner le dos.
 
Quoi penser de la NRL, futur patrimoine s’appuyant sur la commune de La Possession et de l’affaire de l’exploitation des carrières de roches, défrayant la passion des écologistes ? On en saura plus prochainement sur la menace d’expropriation des habitants de la ravine des Lataniers, vivier de roches – les oubliés de la commune, comme ils se font appelés – résidant dans un véritable paradis naturel sur terre à 3mn du cœur de ville et du paradis de l’avenue des banques qui porte le nom de Sarda Garriga.
 
« C’est fou ce que le monde est beau » analysait Yves Michaud sur l’identité de notre époque. (…) si ce n’est pas beau, poursuit-il, il faut que ça le soit. « La beauté règne. De toute manière, elle est devenue un impératif : sois beau ou, du moins épargne nous ta laideur ». On parle de laideur pour évoquer l’architecture de la médiathèque Cimendef qui défigure la ville. Et la NRL ? Tous les deux s’imposent par leur station debout pour cerner les glissements progressifs et les dérives éventuelles qui nous interpellent et nous interrogent aujourd’hui dans le cadre des journées européennes du patrimoine. On parle de quoi pour qualifier les élus ? Relisons avec attention l’article « le patrimoine des Possessionnais, le patrimoine des Réunionnais », paru le 16 septembre 2013 avant les élections municipales. N’est-ce pas un peu fragile, la politique ?
 
Alain Noël, artiste libre et indépendant de La Possession et d’Ailleurs

 

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