Officiellement, la fraude fiscale a représenté 67 millions d’euros en 2018 à La Réunion. « C’est un chiffre déjà très important comparé aux autres départements, mais on est très loin de ce qu’on estime », note Magali Billard, secrétaire départementale, le syndicat évaluant le manque à gagner (fraude et évasion) à 500 millions d’euros. Car « La Réunion est un milieu très ‘fraudogène’, en raison de l’éloignement avec la métropole, de la proximité des paradis fiscaux », pointe-t-elle du doigt. « Et malgré les alertes, rien n’est fait ». Pour le délégué régional Pascal Valiamin, notre île serait même « une sorte de paradis fiscal ».
Le principal obstacle à un renversement de situation : des moyens humains en net déficit. Si les vérificateurs sont au nombre de 30, « le service de programmation (qui intervient en amont du vérificateur, ndlr) est démuni », indique le syndicat. À titre de comparaison, Magali Billard prend l’exemple du Finistère (905.000 habitants) : « 55 personnes travaillent sur la programmation et 8 font de la recherche. À La Réunion, on compte seulement 22 personnes pour la programmation, dont 6 pour la recherche. Et sans programmation, il n’y a pas de dossiers.«
Groupes de pression
« Certains dossiers sont complexes, et nécessitent la mise en œuvre de recherches à l’international », poursuit Jocelyn Cavillot, administrateur de région. Des recherches certes longues, mais qui peuvent rapporter gros. « Mais on préfère les contribuables plus faciles à attraper », s’agace-t-il. « On privilégie la quantité à la qualité. On a des objectifs sur le nombre de dossiers, et non sur le montant », déplore encore Magali Billard.
Ainsi, pendant que certains fraudent lourdement et se constituent un patrimoine en bénéficiant de surcroît d’aides publiques, d’autres, en réelle difficulté, doivent faire face à des redressements fiscaux. La véritable raison selon eux ? « On est sur un petit territoire. Il y a peut-être la peur de certains groupes de pression qui vont déstabiliser, des secteurs qui ont pris certaines habitudes… », pointe Pascal Valiamin la force des lobbys.
Pour les syndicalistes, si l’absence de redressement de certaines entreprises vise sûrement à acheter la paix sociale en raison d’un chantage à l’emploi (les entreprises prétextant que des suppressions d’emplois seraient nécessaires pour parvenir à payer ce qu’elles doivent), cette sorte de passe-droit est contreproductive à plus long terme. Car cela conduit à une société déséquilibrée et à un sentiment d’injustice fiscale, lequel risque fort de mettre le feu aux poudres. L’illustration en a d’ailleurs été donnée récemment avec la crise des gilets jaunes.
Distorsion de concurrence
Et là n’est pas le seul effet pervers. « Les recettes fiscales servent pour les écoles, les routes, les hôpitaux », rappellent-ils. « S’il n’y a pas les recettes qu’on devrait avoir, on va baisser les dépenses, surtout les dépenses sociales ». En outre, au-delà de son rôle de redistribution, l’impôt revêt aussi un rôle de régulation : « Si certaines entreprises paient leurs charges et d’autres non, ça crée une distorsion de concurrence, et met en danger celles qui jouent le jeu », fait remarquer Jocelyn Cavillot.
Pour les syndicalistes, aucun argument ne peut expliquer valablement le manque de moyens humains. « Un agent est socialement utile et budgétairement rentable », notent-ils en effet, regrettant au passage que le gouvernement supprime en outre des trésoreries.
C’est donc particulièrement remonté que le syndicat participera à la manifestation prévue ce jeudi. « Solidaires Finances Publiques » espère pouvoir profiter de la visite du président pour exposer son mécontentement à l’un de ses conseillers.