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« L’envers de l’île » made in Réunion

Depuis plusieurs semaines, le musée Léon Dierx (la plus haute instance de l’art à La Réunion) montre « l’envers de l’île », une exposition qui nous interroge sur la place de l’art dans la société contemporaine réunionnaise. Avec un titre pareil, se veut-elle critique ? Veut-elle rompre avec un à priori ou des sous-entendus ? Elle est visible […]

Ecrit par zinfos974 – le mardi 15 septembre 2015 à 21H59

Depuis plusieurs semaines, le musée Léon Dierx (la plus haute instance de l’art à La Réunion) montre « l’envers de l’île », une exposition qui nous interroge sur la place de l’art dans la société contemporaine réunionnaise. Avec un titre pareil, se veut-elle critique ? Veut-elle rompre avec un à priori ou des sous-entendus ? Elle est visible depuis le 03 juillet et se terminera le 29 septembre prochain.
 
Une vision inhabituelle, comme nous le fait savoir le petit spot de présentation 974 TV très bien réalisé : « On déambule dans « l’envers de l’île » à travers un résumé d’images du 19 ème siècle à nos jours ». Ce que ne disent pas, en revanche, les organisateurs de l’exposition – c’est ce qu’est « l’endroit de l’exposition » lorsqu’il s’agit d’aborder « l’envers de l’île », une démarche jusque là audacieuse et à contre-courant.
 
Car, rien ne nous renseigne véritablement sur les enjeux de cette exposition : Quelle controverse apporte t-elle ? Quel espace critique et quelle production critique, diffusée et publiée ? Alors que le MLD devrait montrer l’exemple, voici quelques questions qui doivent admettre la grande absente, mais tellement désirée depuis les premiers ateliers de réflexion des rencontres de la culture organisée par le CCEE en 2000 ( « Kritik 1996 » La difficulté de la critique artistique en situation d’insularité excentrée par Jean Arrouye). 15 ans après, il n’y a toujours pas de critique à La Réunion, contrairement à la Martinique avec sa revue Recherches en esthétique.
 
Soulignons tout de même, l’envie d’exposer des œuvres ici et là dans l’île (« 34 artistes au musée pour une confrontation tout en harmonie au sommet de la création contemporaine et les vestiges de l’histoire réunionnaise »). Nous savons que les œuvres d’art vont plus vite que l’analyse critique et on oppose souvent à l’exposition d’art – un reproche – cette « manie » de vouloir toujours intellectualiser l’art et lui sommer de se justifier.
 
Dans un contexte de déficit de lieux d’expositions, s’accompagnant d’un déficit de budget toujours plus grand lorsqu’il s’agit d’art, d’acquisitions d’œuvres, de campagnes de restauration, d’accompagnement digne pour les artistes plasticiens, le « pourquoi » j’aime l’art, peut-être jugé secondaire. Tout le monde aime l’art, en même temps tout le monde s’en fou. Aussi, le « comment » j’aime l’art est préférable. Ok, mais, de quel art parle t-on ? « Koman îlé? » pose la question critique avec un jeu de mot créole. « Koman îlé ? », lorsqu’il s’agit des critères de sélection des œuvres, des artistes, de leur accompagnement, du respect de leurs droits et de leur indispensable rétribution, de leur reconnaissance, de leur valorisation etc.
 
Cette question trouve trop souvent sa réponse dans « i rogard pa ou ! ». Ce mépris devient parfois effrayant à La Réunion ! Bien des exemples peuvent être cités. Le plus récent qui n’est pas lié directement au musée, a fait l’objet d’une polémique dans un article paru dans Le Quotidien du samedi 29 août 2015 en page 12. Disons-le clairement : pour la première fois dans l’histoire de La Réunion, un artiste de La Réunion, Nikunja, a été sélectionné par le directeur de la plus ancienne biennale du monde, La Biennale d’Art contemporain de Venise.
 
Trois mois après son ouverture le 09 mai 2015, les institutions départementales et nationales rechignent toujours à soutenir et accompagner correctement son exposition menacée de fermeture. C’est scandaleux témoigne Vincent Garrigues ( ancien attaché culturel au ministère des affaires étrangères ). Il a raison dans ses commentaires. C’est scandaleux tout simplement et c’est valable pour n’importe quel artiste concerné par une situation similaire. Le précédent exemple concerne l’artiste Stéphanie Hoareau privée de la possibilité de montrer librement ses œuvres retirées puis remises, cette fois-çi au musée Léon Dierx.
 
Certaines erreurs sont réparées, d’autres demeurent. Rares, sont les personnes de bonne foi en matière d’art. Ceux qui ne craignent pas la contradiction et le risque de la critique. Alors, l’exposition « l’envers de l’île ? », « koman îlé ? » « i rogard aou ? ».  C’est en raison de la capacité critique de l’art à La Réunion, que les choses pourront évoluer et déborder la « réunionite » aiguë, le militantisme identitaire et les faux semblants.
 
L’insularité de l’île nous sert de constitution. Autant s’y attacher. La capacité critique n’est pas réservée à une catégorie de gens et ne s’adresse pas uniquement aux institutions, politiques et aux œuvres. Elle a besoin de compétences. Elle se place entre les artistes et le public, comme une préoccupation éthique permanente. Nous vivons un monde qui a peur du jugement critique, tellement préoccupé par l’égalitarisme. Il existe plusieurs réunionnais compétents en sciences de l’art, en médiation, en muséologie, capable d’organiser la critique avec un bon niveau de compétence. De même qu’il existe plusieurs artistes à La Réunion avec un bon niveau d’exigence.
 
Donnons-leur les moyens de travailler correctement et librement et n’ayons pas peur de la critique. On appréhendera mieux notre singularité plutôt que notre particularisme. Derrière cette apparente missive voulant ouvrir la dimension critique de l’art, se dissimule en fait une courtoisie de bon aloi. Entre artiste et politique, on se serre la main, on se salue, on se fait des bises d’agréments. En somme, on joue le jeu. Qu’en pensez-vous ?
 
Alain Noël, artiste libre et indépendant
 

 

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