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L’entreprise de marketing digital prend l’argent de Pôle emploi et laisse ses élèves sur la paille

?La fuite en avant. Tel pourrait être le titre du scénario du film dans lequel sont embourbés bien malgré eux une vingtaine de demandeurs d’emploi réunionnais. Ils ont suivi une formation en marketing digital avec la promesse d’un CDI mais c’est surtout des ennuis qu’ils ont récoltés jusque-là.

Ecrit par zinfos974 – le mercredi 15 septembre 2021 à 12H00

S’engager dans une formation rémunérée avec pour horizon un emploi, voilà la promesse de la société Marktperf. Le problème, comme souvent en marketing, c’est que la promesse de vente est éloignée de la réalité. 

28 Réunionnais ont fait les frais d’une « mauvaise gestion » de chefs d’entreprises qui ont fui leurs responsabilités au moment des difficultés. Autant à La Réunion qu’en région Centre-Val de Loire, des candidats à l’emploi estiment avoir été bernés. 

Au mois de mars pour certains et de mai dernier pour d’autres, leur formation a débuté. Objectif : acquérir des connaissances en digital marketing. Elle devait s’emboîter avec un CDI correspondant exactement à la formation délivrée. Deux sociétés ont été créées pour les besoins de l’opération formation + emploi. La première, Formperf, était dédiée à la formation des élèves. Elle a su séduire l’administration de Pôle emploi Réunion pour bénéficier de fonds publics. Jusque-là, tout ce qu’il y a de plus classique étant donné que Pôle emploi est dans son rôle de facilitateur pour favoriser un retour à l’emploi de personnes inscrites dans ses registres.

La seconde entreprise, Marktperf, devait employer les 28 demandeurs d’emploi préalablement formés. Les deux sociétés étant gérées par le même tandem de gérants.

Mais la belle perspective d’un emploi a été stoppée nette dès lors que les salaires ont commencé à prendre du retard. « Chaque semaine, quand on relançait, les gérants nous disaient : sans problème, la semaine prochaine’, ainsi de suite chaque semaine », se remémore Pascaline (prénom d’emprunt). 

« Pour moi c’est plutôt des gérants qui grattaient les subventions ! »

« Ils me doivent 1500 euros », annonce la jeune femme qui a suivi un mois de formation au sein de Formperf. « Je n’ai pas eu d’explications », déplore-t-elle encore à ce jour. « Au bout d’une à deux semaines, je voyais que le patron ne répondait toujours pas concrètement à mes réponses quant au versement des salaires. Il n’y a eu aucune transparence », ajoute-t-elle avant de décider, comme d’autres de sa promotion, d’agir collectivement. Une bien triste expérience d’autant que « si toutes ces personnes accédaient à cette formation, c’est justement parce qu’on était demandeurs d’emploi et à la fin de la formation, un CDI en tant que télé-conseiller-vendeur nous était promis. Pôle emploi a décidé de signer avec cette entreprise donc ils étaient au courant de tout », raconte-t-elle son vécu, avec amertume.

Autre cas concret, celui de Sylvie. Elle aussi se retrouve à courir derrière son salaire. A la différence près que ce n’est pas un mais deux mois qu’elle a effectués chez Formperf, mais aussi qu’elle est embarquée dans cette galère avec son compagnon. Les tracas multipliés par deux en somme…

« J’ai commencé le 26 mars et terminé la formation le 26 mai. Je trouve que la partie théorie était super car c’était vraiment innovant. La pratique, par contre, était mal organisée. J’avais l’impression de perdre mon temps. Par la suite, mon compagnon et moi avons été embauchés car la formation était financée par Pôle emploi dans l’optique d’une embauche », rappelle-t-elle l’imbrication formation + emploi. Sylvie souligne d’emblée le ressenti « pas terrible » sur les gérants qu’elle a eu au début de la formation.

« J’ai trouvé qu’ils n’étaient pas nets. J’ai eu une appréhension, je me disais que ce n’était pas très sain. Mes doutes se sont confirmés au début de ma prise de poste en tant que soi-disant ‘marketer digital 2.0’ comme ils aimaient le dire. La réalité c’est qu’ils ont démarré l’entreprise mais avec un seul produit à vendre, c’était bizarre », donne-t-elle un aperçu du manque de sérieux.

 

Au mois de juin, le travail de Sylvie consistait à démarcher des gérants de TPE pour qu’ils utilisent le « chèque numérique » d’un montant de 500 euros, un dispositif leur permettant de leur donner une visibilité sur internet en créant leur site web par exemple. « Malheureusement, les gérants de TPE revenaient vers nous en nous signalant qu’ils n’avaient pas eu la prestation », se souvient Sylvie. « Il y a eu aussi le chèque FEDER de 4000 euros », ajoute-t-elle. « Sur les 150 clients démarchés, on a eu 80 qui ont signé le devis mais, eux, attendaient toujours les prestations », se rappelle-t-elle de la délicate situation avant de quitter le navire sans capitaine. 

Les deux entrepreneurs laissent tout en plan, sans même informer la responsable de la formation

« Au final ils nous ont payé une partie début juin mais pour le reste, chaque semaine ils nous ont roulé dans la farine en répétant : ‘Oui ça va être payé’. Au final, c’est 600 euros qu’ils me doivent et près de 3000 euros à mon compagnon pour juillet plus août », fait-elle les comptes. 

Et il n’y a rien de rassurant pour les personnes formées. Leurs deux responsables brillent par leur dérobade en métropole aussi. 

Cette stratégie de fuite de leurs responsabilités a pourtant gravement impacté la vie de certains élèves. « Avec les salaires de juin qui n’ont pas été payés dans les délais, cela nous a mis dans les difficultés financières vis-à-vis de la banque avec beaucoup de prélèvements qui ont été rejetés. J’ai dû avoir recours au CCAS pour subvenir aux besoins vitaux de mes deux enfants », souffle une élève. « Jusqu’à aujourd’hui, le 10 septembre, mon solde de tout compte n’est toujours pas payé. Pour moi cette société c’était une grosse arnaque. Pour moi c’est plutôt des gérants qui grattaient les subventions ! Malgré le fait qu’ils ne payaient pas les gens, au mois d’août ils ont quand même continué à embaucher », ajoute-t-elle.

A La Réunion, un collectif des personnes lésées s’est formé. « Avec les autres élèves, nous nous sommes rencontrés finalement pour la première fois lorsqu’ont surgi les problèmes », raconte l’un d’eux, car les cours se faisaient en visio avec des masterclass avec la métropole et un travail qui était lui aussi proposé en distanciel.

Un indice aussi probant qu’alarmant vient ajouter de l’eau au moulin des élèves réunionnais laissés sur la paille. Le duo d’entrepreneurs a également déserté en métropole, en région Centre-Val de Loire plus précisément où les mêmes promesses sans lendemain ont été miroitées à un public déjà précaire de Pôle emploi. Nous avons interrogé la responsable de la formation.  

Val de Loire: Un beau matin, formatrice et élèves découvrent le local fermé

« Il y a vraiment eu un problème de mauvaise gestion. M.Fraiseau a eu une gestion un peu désinvolte et irresponsable. Les gérants ont employé 500.000 personnes sans prendre la mesure de ce que ça impliquait », nous répond la responsable de la formation chez Formperf, depuis la région Centre-Val de Loire où 24 élèves ont également pris part au même type de formation en marketing 2.0. « Nous on avait monté une formation de haut vol », mais « c’est toute la partie marketing, avec les fichiers de prospects qualifiés, qui a été mal préparée », dit-elle, confirmant l’impression que nous partageaient les élèves de La Réunion.

 

​Début septembre en région Centre-Val de Loire, le tribunal de commerce s’est en tout cas emparé du dossier en mandatant un liquidateur judiciaire. Il reviendra à Me Villa d’arbitrer les créances prioritaires à honorer en fonction des éventuels actifs laissés par le duo de chefs d’entreprises.  

« Ils ont manqué à leurs obligations qui étaient de payer les salaires », affirme l’ancienne responsable formation. « On peut comprendre qu’il y ait eu des difficultés dans la gestion, ça arrive à toute société, mais ce que je trouve déplorable c’est ce total manque de transparence lorsque les difficultés sont apparues. Ils auraient pu faire un mea culpa », reproche-t-elle. Mais au lieu d’affronter le regard de leurs salariés, les gérants ont disparu de la circulation, que ce soit en métropole ou à La Réunion. 

Une anecdote donne la mesure de la politique de l’autruche des deux gérants. « On avait notre local à Orléans. On est arrivé un matin devant le local et il était fermé ! On a découvert que le bailleur avait repris le local, faute d’avoir été payé », raconte-t-elle, déçu pour ses élèves. 

Dans le journal La République du Centre (voir plus bas), l’un des gérants fait porter le chapeau à Pôle Emploi en l’accusant d’un « décalage de quatre mois dans la formation ». Nous avons contacté les deux gérants, avec le même succès que leurs ex-salariés laissés sur la paille…

Pour avoir une idée de l’argent public qui a été attribué par Pôle Emploi à la société Formperf, il faut considérer qu’entre 2700 à un peu plus de 3000 euros (fonction de la durée de formation longue ou courte) lui ont été donnés pour chaque demandeur d’emploi formé. Ils étaient 28 à La Réunion et 24 en métropole, soit environ 150.000 euros l’opération « retour à l’emploi ». 
 

Pôle Emploi Réunion répond à Zinfos974 : 

« Pôle emploi Réunion a effectivement financé une formation préparatoire à la prise de poste, grâce au dispositif POE (Préparation Opérationnelle à l’Emploi) pour 28 demandeurs d’emploi dont 25 ont été embauchés par Marktperf.

Ce dispositif permet de développer les compétences des demandeurs d’emploi pour mettre en adéquation les compétences requises pour accéder aux postes proposés par l’entreprise.

La POE  finance tout ou partie des frais engagés par l’entreprise pour une formation réalisée en interne ou en organisme externe ; Il est tout à fait courant et conforme à la réglementation juridique que l’organisme de formation appartienne à l’entreprise.

Le paiement des frais de formation intervient à l’issue de la formation (J+30 dans le cas présent) selon le coût horaire habituel pour ce type d’action.

Les 25 demandeurs d’emploi ont été formés du 22 mars au 25 mai 2021 et rémunérés par Pôle emploi au titre de leur statut de stagiaire. Il n’y a eu aucun retard de paiement dans les rémunérations de stage. Lors du bilan final de la formation, les stagiaires ont exprimé leur pleine satisfaction tant sur le contenu pédagogique que sur les modalités d’apprentissage.

Les 25 contrats de travail en CDI ont été signés le 26 mai 2021. Dès lors, les conflits dans la relation employeur/salarié relèvent de l’Inspection du Travail. »

 

Julien Muñoz, le président de Marktperf, s’explique dans [La République du Centre]urlblank:https://www.larep.fr/saint-jean-de-la-ruelle-45140/actualites/salaires-non-verses-fermeture-annoncee-un-reve-de-courte-duree-chez-marktperf-et-formperf-a-saint-jean-de-la-ruelle_14002023/?fbclid=IwAR28jBZpyGZIvnBoagOszZzJhbdDpIAAkPLLy8sxF-gTOGwsBaoGq0K4hGY . Un extrait de l’article   : 

« Les salaires seront payés. Il y a des assurances. On a fait des avances quand c’était possible », explique Julien Muñoz. Il incrimine Pôle emploi « qui a commencé la formation avec quatre mois de décalage. Elle aurait dû débuter fin novembre et elle a commencé fin mars. Pendant ces quatre mois, payer le loyer, les salaires, les licences informatiques, etc., a déjà beaucoup entamé notre trésorerie. Nous avons essayé de solliciter nos banques, mais elles n’ont pas suivi… » Il attendait ensuite un chiffre d’affaires de 6.000 euros mensuel pour chacun des 52 téléopérateurs. « Mais on n’a eu que 8.000 euros, au total, en trois mois ! »

 

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