Chapitre 12 :
D’un pas fatigué, Charlotte regagne le troisième étage de son immeuble.
Finalement, Etienne n’est pas là.
La peur, lentement, se dissipe. Doucement, le coeur retrouve son rythme normal. Il n’y a rien à craindre. Pas pour l’instant. Et puis, ce soir Etienne avait promis.
(…)
19 heures.
Le groupe Ziskakan donne un énième concert au théâtre de Saint-Gilles… Etienne, pour une fois, a accepté d’accompagner Charlotte.
– Je ne les ai jamais vus sur scène. Je connais vaguement quelques titres qui passent à la radio.
(…)
Cela fait si longtemps !
Si longtemps que Charlotte n’était pas sortie du 113. De l’enclos du chemin Paradis… Alors, ce soir, elle embrasse le ciel, éparpille les étoiles, goûte à la nuit. Si elle pouvait, elle s’alongerait là, dans l’herbe, ventre en l’air !
Si seulement elle pouvait !
(…)
De retour à l’appartement, l’amoureux retrouve son rôle d’amant, presque naturellement. (…) Et c’est sans s’embarrasser d’excuses qu’il impose une espèce de tendresse à Charlotte qui, pour avoir une certaine paix, malgré elle, se laisse faire en priant pour que tout aille vite.
Très vite.
Mondieu ! Faites qu’il se vide ! Vite ! Et qu’il s’endorme !
Chapitre 13 :
– Maman, tu voulais nous parler ?
– Oui. Surtout à Charlotte. Ma petite, il faut qu’on voie ta grand-mère pour parler mariage. De votre mariage ! Cela fait maintenant quelques bons mois que vous êtes ensemble. Au départ, je n’étais pas trop d’accord. Le concubinage, c’est pas dans nos principes. On est des catholiques pratiquants ! Mais il faut bien vivre avec son temps.
(…)
Au début, Charlotte avait tenté d’arrêter le flot de balivernes. En vain ! Plus elle essayait, plus le regard d’Etienne se faisait dur. Deux épées menaçantes qui immobilisèrent la jeune fiancée au point de lui faire perdre l’usage de la parole.
(…)
Ce jour-là, le déjeuner sur l’herbe se transforme en véritable supplice. Chaque membre de la famille donne son point de vue, de la salle au costume, des fleurs à la musique, des convives au menu. Tandis que Léone imagine avec panache le costume de son fils.
Et la future mariée ?
Chapitre 14:
Huit heures du soir. La sonnerie du téléphone retentit dans l’appartement du 113. C’est si rare que les murs blancs portent l’écho loin au-dessus de la ville.
Charlotte, installée à son bureau, se redresse en sursaut. De violentes palpitations agitent ses tempes et son coeur commence à s’emballer.
Pourvu qu’il s’arrête !
(…)
– Qui peut appeler à cette heure ?
(…)
– Tu n’as pas fini !
– Comment tu m’as parlé, là ?
(…)
Une épouvante soudaine consume l’air.
Les coups s’abattent sur le dos de Charlotte et diffusent un son lointain de caisse claire : un han ! ressurgi du temps de la démémoire. Un claquement de chabouk au démarrage de l’exil forcé. Une main empoigne les cheveux, l’autre retourne le corps apeuré et s’empare du visage. (…) Mais cette fois il ne le touche pas. A cause des marques… Il l’effleure seulement. (…)
De ses ongles soignement entretenus, il écorche le dos, écrase les seins et le ventre de ses mains hargneuses.
Puis il cogne.
Il cogne encore.
Sans un mot, sans même reprendre son souffle.
Il cogne jusqu’à rabord.
A la fin, tel un gong, un coup de pied soulève le tas de chair ramassé dans un coin de la pièce.
Le match est fini.