On croit tout savoir de la démocratie tant elle est familière. D'origine grecque, animant la vie d'Athènes, elle y aurait été « directe », et aurait été adaptée dans sa forme «indirecte» en France et aux Etats-Unis, à la fin du XVIIIe siècle. Démocratique est aussi d'usage courant. Si des étudiants bloquent leur université, certains leur rétorquent que ces pratiques ne sont pas démocratiques : on les accuse même de vouloir construire un mouvement politique.
La démocratie athénienne avait pour fondement l'usage du tirage au sort, la rotation rapide des charges, la reddition des comptes, l'impossibilité d'exercer de multiples fois la même charge, la rémunération de l'activité politique, l'amateurisme, c'est-à-dire la non-division du travail politique. Il s'agissait de garantir à tout citoyen s'en jugeant capable la possibilité de participer au jeu politique. L'élection était réservée à la désignation des généraux et des magistratures financières. Le sort était conçu comme la garantie d'égalité des chances d'accès aux charges ; il s'accordait avec la rotation des charges.
Aristote lie clairement démocratie et tirage au sort, alors qu'il associe élection et aristocratie. On retrouve ces associations chez Montesquieu et Rousseau, entre autres, deux mille ans plus tard. A la fin du XVIIIe siècle, certains acteurs des révolutions française et américaine bâtissent un régime de gouvernement original, qu'ils appelleront gouvernement représentatif. L'élection est choisie pour désigner des représentants et, pour les forcer à ne pas s'écarter des électeurs, elle doit avoir lieu régulièrement. L'élection s'impose pour deux raisons : elle traduit un principe influent du droit romain (« ce qui touche tout le monde doit être considéré et approuvé par tous ») ; elle sélectionne une aristocratie, ce qui est l'objectif visé. Le peuple est souverain, mais ne participe pas au gouvernement. Le gouvernement représentatif est une aristocratie.
Après les massacres de juin 1848, la Constituante proclame la République « démocratique » (art. 2, préambule). Or, la Constitution organise un gouvernement représentatif. Pas plus qu'en 1789 le tirage au sort n'est évoqué. La participation du peuple au gouvernement n'est pas prévue. Le contrôle des représentants se limite à l’élection. Rien ne garantit que tout citoyen désirant exercer des fonctions politiques le puisse. L'élection est un outil de sélection et de présélection. Certaines caractéristiques sont nécessaires pour être élu : la notoriété, le sens du politique, la fortune. L'élection organise une aristocratie.
Et pourtant, l'adjectif « démocratique » est là, et son adoption ne donna lieu qu'à peu de débats. La réintroduction du suffrage universel masculin direct (déjà prévu en 1793) entraîne l'adoption du terme « démocratique ». « Démocratie » et « démocratique » vont alors structurer la pensée et les discours concernant le gouvernement représentatif. Il est étonnant de remarquer que les hommes de la Convention, à l'origine de la Constitution de 1793, ne songèrent pas à qualifier la République de « démocratique ». Pourtant, le suffrage universel masculin direct est prévu. Mieux, le peuple, pour qui un rôle politique est prévu, forme des assemblées, approuve les lois et peut provoquer le référendum. Mais, tout simplement, cette Constitution n'organise pas la démocratie, et la conscience de l'époque à ce sujet est plus claire que celle du XIXe siècle.
Certains qualifieront nos démocraties d’ « indirectes », variation de la démocratie athénienne, qui serait « directe ». Pourtant, ces deux concepts sont bien différents.
Sous la Ve, si le peuple ne se gouverne toujours pas, contrairement à ce qu'affirme la Constitution (« gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », art. 2), il est néanmoins déclaré souverain, et sa souveraineté « s'exerce par ses représentants et par la voie du référendum » (art. 3). Le rejet du référendum sur la Constitution européenne à 54% a été contredit trois ans plus tard à 87% par le Congrès, à propos du traité de Lisbonne. Cela devrait mettre en lumière la nature de la représentation. Pierre Moscovici, député PS, le disait lui-même : « Je voterai selon mes convictions. » Il ne fait qu'exprimer la logique d’un gouvernement représentatif, à savoir l'autonomie des représentants. Critiquer cette autonomie, ce serait supposer qu'il déroge à un devoir, alors que la Constitution ne prévoit aucun mécanisme de contrôle des députés par les citoyens : ils sont uniquement invités à voter pour quelqu'un d'autre s'ils sont mécontents. Alors le peuple exerce-t-il réellement sa souveraineté par ses représentants ?
Le régime représentatif n'est pas la démocratie. C’est une falsification du sens « démocratique », falsification portée dans les textes fondateurs de nos Républiques depuis 1848, qui masquent ce que furent les outils utilisés par les Athéniens pour organiser leur gouvernement, et le plus important d'entre eux, le tirage au sort.
Nos ancêtres ont négligé ou méconnu les outils fondamentaux permettant d'organiser pratiquement la démocratie. Rien ne nous oblige à les suivre ni à continuer de croire en la souveraineté du peuple, de croire que le peuple se gouverne lui-même. Il est temps d’y remédier. Car nous ne sommes pas, et même n’avons jamais été, sous un régime démocratique.
La démocratie athénienne avait pour fondement l'usage du tirage au sort, la rotation rapide des charges, la reddition des comptes, l'impossibilité d'exercer de multiples fois la même charge, la rémunération de l'activité politique, l'amateurisme, c'est-à-dire la non-division du travail politique. Il s'agissait de garantir à tout citoyen s'en jugeant capable la possibilité de participer au jeu politique. L'élection était réservée à la désignation des généraux et des magistratures financières. Le sort était conçu comme la garantie d'égalité des chances d'accès aux charges ; il s'accordait avec la rotation des charges.
Aristote lie clairement démocratie et tirage au sort, alors qu'il associe élection et aristocratie. On retrouve ces associations chez Montesquieu et Rousseau, entre autres, deux mille ans plus tard. A la fin du XVIIIe siècle, certains acteurs des révolutions française et américaine bâtissent un régime de gouvernement original, qu'ils appelleront gouvernement représentatif. L'élection est choisie pour désigner des représentants et, pour les forcer à ne pas s'écarter des électeurs, elle doit avoir lieu régulièrement. L'élection s'impose pour deux raisons : elle traduit un principe influent du droit romain (« ce qui touche tout le monde doit être considéré et approuvé par tous ») ; elle sélectionne une aristocratie, ce qui est l'objectif visé. Le peuple est souverain, mais ne participe pas au gouvernement. Le gouvernement représentatif est une aristocratie.
Après les massacres de juin 1848, la Constituante proclame la République « démocratique » (art. 2, préambule). Or, la Constitution organise un gouvernement représentatif. Pas plus qu'en 1789 le tirage au sort n'est évoqué. La participation du peuple au gouvernement n'est pas prévue. Le contrôle des représentants se limite à l’élection. Rien ne garantit que tout citoyen désirant exercer des fonctions politiques le puisse. L'élection est un outil de sélection et de présélection. Certaines caractéristiques sont nécessaires pour être élu : la notoriété, le sens du politique, la fortune. L'élection organise une aristocratie.
Et pourtant, l'adjectif « démocratique » est là, et son adoption ne donna lieu qu'à peu de débats. La réintroduction du suffrage universel masculin direct (déjà prévu en 1793) entraîne l'adoption du terme « démocratique ». « Démocratie » et « démocratique » vont alors structurer la pensée et les discours concernant le gouvernement représentatif. Il est étonnant de remarquer que les hommes de la Convention, à l'origine de la Constitution de 1793, ne songèrent pas à qualifier la République de « démocratique ». Pourtant, le suffrage universel masculin direct est prévu. Mieux, le peuple, pour qui un rôle politique est prévu, forme des assemblées, approuve les lois et peut provoquer le référendum. Mais, tout simplement, cette Constitution n'organise pas la démocratie, et la conscience de l'époque à ce sujet est plus claire que celle du XIXe siècle.
Certains qualifieront nos démocraties d’ « indirectes », variation de la démocratie athénienne, qui serait « directe ». Pourtant, ces deux concepts sont bien différents.
Sous la Ve, si le peuple ne se gouverne toujours pas, contrairement à ce qu'affirme la Constitution (« gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », art. 2), il est néanmoins déclaré souverain, et sa souveraineté « s'exerce par ses représentants et par la voie du référendum » (art. 3). Le rejet du référendum sur la Constitution européenne à 54% a été contredit trois ans plus tard à 87% par le Congrès, à propos du traité de Lisbonne. Cela devrait mettre en lumière la nature de la représentation. Pierre Moscovici, député PS, le disait lui-même : « Je voterai selon mes convictions. » Il ne fait qu'exprimer la logique d’un gouvernement représentatif, à savoir l'autonomie des représentants. Critiquer cette autonomie, ce serait supposer qu'il déroge à un devoir, alors que la Constitution ne prévoit aucun mécanisme de contrôle des députés par les citoyens : ils sont uniquement invités à voter pour quelqu'un d'autre s'ils sont mécontents. Alors le peuple exerce-t-il réellement sa souveraineté par ses représentants ?
Le régime représentatif n'est pas la démocratie. C’est une falsification du sens « démocratique », falsification portée dans les textes fondateurs de nos Républiques depuis 1848, qui masquent ce que furent les outils utilisés par les Athéniens pour organiser leur gouvernement, et le plus important d'entre eux, le tirage au sort.
Nos ancêtres ont négligé ou méconnu les outils fondamentaux permettant d'organiser pratiquement la démocratie. Rien ne nous oblige à les suivre ni à continuer de croire en la souveraineté du peuple, de croire que le peuple se gouverne lui-même. Il est temps d’y remédier. Car nous ne sommes pas, et même n’avons jamais été, sous un régime démocratique.