Souvent le soir, une fois tous les journalistes partis, une ombre se glissait sans bruit dans mon bureau. C’était Jo Varondin, écrivain très connu mais surtout fin connaisseur et analyste de la vie locale. Il venait discuter en toute simplicité et échanger avec moi sur la situation politique de la Réunion.
Jo Varondin a toujours été un révolté et les injustices le faisait sortir de ses gonds, avec ce calme plein d’humour qui le caractérisait. Ces derniers mois, c’est contre la maladie qui voulait le déposséder qu’il se révoltait. Un combat inégal, un combat désespéré, mais un combat que Varondin Jacob Anatole Joseph, unanimement connu sous le diminutif de « Jo« , n’entendait pas fuir. Il ne pourra pas être dit qu’un combat, fût-il désespéré, aura fait renoncer Jo Varondin, que sa cause soit la maladie, la politique ou La Réunion.
Au service de ses combats Jo Varondin va mettre son immense culture avec un maniement flamboyant de langue. Dire des langues serait plus exact, tant il était aussi à l’aise en créole, en français qu’en anglais. Il y a aussi sa « plume » exceptionnelle pour produire, dans un style toujours décoiffant, des écrits puissants. Autant dire qu’il était rarement bon, quand Jo était outré par une conduite, un acte, une décision, de tel ou tel, et qu’il entendait le faire savoir, d’être pris à parti par lui. Les pages des quotidiens regorgent de ses articles, où il a haché menu, ces puissants, ces valeurs, ces administratifs, ces gens de la haute et autres pédants, surtout s’il estimait qu’ils faisaient du tort à son grand amour : La Réunion.
L’amour de tous les instants de son île natale c’est l’ADN de Jo Varondin. En découlent alors toutes ses prises de position, qu’elles soient médiatiques, politiques ou littéraires. C’est ainsi qu’il va du Parti socialiste, où il était un des responsables, au mouvement des Radicaux de gauche qu’il contribuera à fonder, quand, en 1979, il claquera la porte du Parti socialiste, révulsé par les intrigues et surtout l’inculture de ceux qui, voyant se profiler la victoire de François Mitterrand, avaient décidé d’ y faire un placement, comme d’autres dans l’immobilier, le foncier ou la distribution.
Son engagement à Sainte-Marie, sa commune natale, dans l’équipe municipale d’Axel Kichenin, leader de feu le Mouvement Progressiste de Gauche, dont les errements l’amèneront à rompre avec éclats, participe de la même dynamique. Comme c’est au nom d’une décolonisation de la Réunion qu’il considérait n’avoir jamais eu lieu, et dont la départementalisation était pour lui une imposture, qu’il va se rapprocher de la mouvance indépendantiste et prendre position pour l’indépendance de l’île. Autant dire que les foutans, niques, piques et autres flèches qu’il adressait à tous ceux qu’il considérait comme politiquement responsables de l’aliénation dont souffre la Réunion n’étaient pas de la farine dont on fait les bonbons la rouroute ! Et dans ce domaine les Vergès, père et fils, c’est-à-dire Raymond et Paul, Gilbert Annette, ou Axel Kichenin et quelques autres encore, étaient assurés d’être toujours bien servis par Jo Varondin.
Sa production littéraire va participer de la même veine : déclarer son amour exigeant de la Réunion et traquer tout ce et ceux qui la trompent, l’abusent, l’embourbent et l’avilissent. Jo Varondin n’entendait s’accommoder d’aucun arrangement, d’aucun compromis, littéraire, stylistique ou politique, s’agissant des déclarations d’amour à son île natale. D’où la frayeur des éditeurs ou des imprimeurs démarchés. C’est ce qui explique, ses nombreux noms de plume, comme Doss Varanasi ou Sherazade. C’est ce qui explique également que ce soit à l’Ile Maurice que seront publiés certains de ses ouvrages comme notamment les deux volumes « Les Lambrequins de la honte : Portrait du départementalisé et la départementalisation, le crime français« . Seules Les Editions ARS Terres Créoles, de Mario Serviable, surmonteront ces appréhensions et travailleront avec cet auteur de grand talent.
Dans « Ôm Govindah ! » paru l’an dernier, dans une mise en garde introduisant son roman, Jo Varondin revenait avec détachement et lucidité sur ses mésaventures éditoriales et sur ses choix d’écriture. Pas question, disait-il, pour se faire éditer à Paris « d’intercaler une dizaine de pages de copulations torrides entre un Zoreil et une Malbaraise, avec gros plans et détails capiteux à un poil près, sous une varangue entre deux fangeans de capillaires luxuriants exhalant des parfums de luxure conformément au génie romanesque colonial français« . Un roman dont il reconnaissait qu’il avait tout pour susciter les fâcheries « des Blancs et déplaire aux Malbars cramponnés à leurs préjugés ancestraux sous leurs varangues respectives« .
Ainsi écrivait Jo Varondin doté d’une culture classique impressionnante, acquise au lycée Leconte de Lisle puis dans les universités de Strasbourg, de Nice et de Londres, mais dont les bases lui avaient été délivrées non par des professeurs, mais par un précepteur particulier. Un précepteur dont il n’était pas peu fier de donner le nom au tournant d’une conversation, tant l’étonnement était toujours au rendez-vous.
Le nom de ce précepteur particulier ? Monseigneur de Langavant le prédécesseur de Mgr Aubry. Jean-Baptiste Varondin, le père de Jo, important et ingénieux propriétaire, était un fidèle croyant et un grand bienfaiteur du clergé catholique. Monseigneur Langavant était son ami.
Avec la disparition de Jo Varondin, la Réunion des lettres et du cœur perd un de ses plus fidèles servants.
Zinfos présente ses condoléances à la famille de Jo et cet article sera réactualisé et modifié pour vous informer, dès que nous le saurons, du lieu et des dates où son corps sera exposé.
je m apercoit au fil du temps que je suis comme lui