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L’Ile à peurs

Dans son ouvrage  de 1992 , « L’ile  à peurs », Prospère Eve montrait comment des peurs ancestrales façonnaient encore la société réunionnaise. Il nous parlait des épidémies de variole et de choléra qui ont régulièrement fauché des milliers de vies, jusqu’à la grippe espagnole en 1919. Aujourd’hui encore la maladie est souvent considérée comme n’ayant pas […]

Ecrit par Pierre BALCON – le samedi 21 mars 2020 à 21H11

Dans son ouvrage  de 1992 , « L’ile  à peurs », Prospère Eve montrait comment des peurs ancestrales façonnaient encore la société réunionnaise. Il nous parlait des épidémies de variole et de choléra qui ont régulièrement fauché des milliers de vies, jusqu’à la grippe espagnole en 1919.

Aujourd’hui encore la maladie est souvent considérée comme n’ayant pas une cause naturelle. On croit qu’elle résulte de l’intervention d’un esprit, de l’exercice d’une vengeance. La croyance en la sorcellerie ne fléchit pas.

Contre les médias qui voudraient sans doute réactiver ces vieux démons, peut être nous faut il revenir à la raison.

L’analyse des dynamiques à l’œuvre dans les épidémies est complexe. Elle fait appel à la fois à des modèles mathématiques à paramètres fixes (approche dite déterministe) mais aussi des approches empiriques ou le mélange des 2 (approche dite  stochastique).

La  situation à La Réunion est un cas d’école .

On s’en était déjà rendu compte au moment de l’épidémie de chikungunya en 2005- 2006, avec une petite rechute en 2010 à St Paul .

Puissent les médias éviter de donner dans le sensationnel et essayer d’adopter une attitude rationnelle et pédagogique.

En l’espèce 3 observations s’imposent :

1- On ne connaît pas exactement le nombre de personnes touchées par le  virus du covid 19. Seuls des tests  sur un ou des échantillons représentatifs, réalisés a posteriori, permettront de le déterminer. Les réseaux dits « sentinelles » peuvent servir de cadre  à ce type d’expertise.

En 2006 cette analyse « ex post » avait fait apparaître qu’au presque final de l’épidémie, 40 % de la population avait développé des  anticorps qui témoignaient donc d’un contact avec les antigènes viraux.

Présentement parler d’une « explosion » de la maladie est dans ces conditions abusif. Ce qui évolue c’est le rythme de réalisation des tests (1), centralisés au CHU.

Dans cette logique, on peut donc s’attendre à une majoration importante des chiffres, chaque jour, imputable largement  à l’élargissement des prescriptions de tests (2) .

Le niveau réel de contamination lui évoluera en fonction de plusieurs paramètres, dont 2 principaux :

a/ taux de reproduction de base (aussi appelé R0) qui définit le nombre de cas secondaires directement infectés par une unique personne infectieuse, placée dans une population totalement susceptible à la maladie (non immunisées).

Pour le covid 19, ce ratio se situe entre 2 et 3, témoignant d’une virulence moyenne.

b/  l’intervalle  intergénérationnel mesure, quant à lui, la durée s’écoulant entre la survenue de la maladie chez un cas (dénommé, par convention, le « parent ») et la survenue de la maladie chez les personnes qu’il va infecter (dénommées, par convention, les « enfants »)…
Il est de 4,4 à 7,5 jours, ce qui est considéré comme rapide par les spécialistes.

2-  les taux de  morbidité et mortalité (létalité dans le jargon médical) sont pour l’heure difficiles à déterminer, en l’absence de moyens de rapporter le nombre de cas de maladies symptomatiques ou de décès à celui des personnes infectées.

3- le  JIR  suggère que même la nuit le  virus  frappe. Il  rapporte dans son édition de ce matin que le chiffre  des personnes atteintes  a grandi pendant que nous dormions ! Diable !

Mais c’est surtout le laboratoire de tests qui fonctionne en 3 /8 et qui livre à toutes heures les conclusions des examens qui lui ont été demandés, la veille peut être !
 
En réalité il est difficile pour l’heure de s’avancer sur la  forme que prendra à court terme la  courbe d’évolution de la maladie. On peut  supposer néanmoins, compte tenu des mesures de confinement prises très tôt, qu’elle sera très aplatie.

Je prends le pari que le niveau de contamination constaté ne dépassera pas le pic de 1000  personnes dans les 15 jours à venir.  
1000 personnes c’est beaucoup évidemment mais c’est peu à la fois pour une épidémie. Beaucoup pour les patients et leurs familles  qui souffrent ou sont angoissées, mais c’est peu pour les virologues qui aimeraient que le maximum de personnes soient naturellement vaccinées.

Comme en métropole, il faut s’attendre à la nécessité de prendre en charge 10 %  de ces cas, Ceux nécessitant des soins spécifiques, légers ou plus lourds. Dans les cas extrêmes, nos services de réanimation seront sollicités à  proportion pour des cas de détresse respiratoire essentiellement, puisque, nous le savons, ce  virus a un tropisme pour les cellules de nos bronches.

Mais cette épidémie  « avortée » risque de nous exposer à une rechute à l’entrée dans l’hiver austral. Espérons que d’ici là, à défaut de vaccin, des traitements efficaces pourront être mobilisés.

A plus long terme cette maladie s’éteindra naturellement quand  au moins 50% de la population aura développé une immunité collective.

L’enjeu est  d’abord celui de santé  publique et non pas celui de préventions individuelles : il s’agit principalement d’éviter que soient débordées nos capacités d’accueil hospitalières par les cas les plus graves.

Dit autrement et de manière cynique : « nous savons que vous allez, pour une grande partie d’entre  vous, contracter la maladie, mais ne tombez pas tous malades en même temps ».

Pour les matheux qui adorent les équations dites différentielles et ceux  d’entre eux qui veulent en savoir plus, voici une saine lecture  qui dispensera de se coller sur l’écran de BFM ou Cnews.   

https://interstices.info/modeliser-la-propagation-dune-epidemie/

Pour ceux qui préfèrent la biologie une  conférence magistrale du professeur Philippe Sansonetti , au Collège de France :

https://www.youtube.com/watch?v=JKY1i7IpK3Y

Et pour les littéraires  c’est le moment  de relire :

La Peste  de  Camus,  évidemment

Mais  aussi :

Le Hussard sur  le toit, de Jean Giono, adapté au cinéma en 1995 par Jean Paul Rappeneau
et
La mort  à Venise, de Thomas Mann

    (1)    il existe de grandes catégories de tests :
    (2)    – ceux qui mettent en évidence directement, par amplification des particules du génome (ARN ou ADN) des  virus (tests  RT- PCR )
    (3)    –  et ceux qui détectent la présence des anticorps (Elisa , western blott).
    (4)    
    (5)     jusqu’à présent réservés aux patients manifestant des symptôme , on ira  ers des prescriptions plus larges.

Pierre BALCON
 

 

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