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Kerveguen, une histoire de famille

La famille Kerveguen arrivée à Bourbon à la fin de la Révolution Française, modifiera pendant un siècle le paysage agricole, économique et financier de l’île. Au fil des générations, son empire s’étendra par le biais de mariages avec de riches héritières, de plus elle s’alliera aux puissantes fortunes locales dont les De Mahy, Desbassayns, ou encore Adèle Ferrand. Le nombre d’acquisitions foncières, d’activités commerciales de l’empire Kerveguen, les unes plus lucratives que les autres, en donnerait le tournis si on devait toutes les nommer.

Ecrit par Sabine Thirel – le samedi 19 septembre 2009 à 07H50

Le premier Kerveguen  ou K/Veguen, arrivé dans l’île en1796 s’appelait Denis-Marie le Coat de Kerveguen.   La Révolution pousse ce fils de bourgeois ruiné, à fuir la Révolution française et à faire fortune dans les colonies. Bourbon est une colonie, grenier des Mascareignes, habitée depuis à peine 50 ans où tout est encore à faire. Débarqué dans l’estuaire de La Rivière d’Abord, il s’installe à Saint-Pierre même. Il ouvre un commerce de détail, avant de se lancer dans l’import-export et le commerce d’épices.

 

Quelques années plus tard, il se marie à une créole fortunée, Angèle-Césarine Rivière qui lui apporte une dot les propriétés de Manapany et Saint-Joseph. C’est le départ dans une nouvelle aventure, celle du sucre, en cultivant également des épices comme le girofle. De ce premier mariage naissent 4 enfants, dont Gabriel et Augustin mais leur mère décède en février 1815. Denis tente alors plusieurs expériences commerciales, tissus, boulangerie, prêts avec intérêts tout en développant ses activités agricoles.
Déjà fortuné, Denis se marie pour la deuxième fois à une riche héritière, Geneviève Hortense Lenormand qui lui apporte une dot encore plus conséquente que la première épouse dont le domaine des Casernes. Les terres à cannes et à épices s’étendent et le nombre d’esclaves sous sa coupe augmente, il sera père de trois autres enfants dont Denis-François.

 

L’ainé des garçons, Gabriel se révèle bon commerçant  et doué pour les affaires. Il seconde efficacement son père dès 1820, lorsque celui-ci meurt en 1827, il laisse une « fortune solidement établie », une centaine d’esclaves (comptabilisés dans la succession), 330 hectares de champs cultivés en cannes à sucre et en épices et une fortune de plus de 1,2 millions de livres.
Gabriel à 27 ans gère les affaires de la famille d’une main de maître, fait construire une usine sur le domaine des Casernes où il édifiera le premier alambic et la première distillerie. Trois ans plus tard, il est propriétaire d’une maison à St-Louis, de l’ensemble des terres de culture partant de Saint-Louis et au Tampon, où il s’installe pour gérer les nombreux hectares de terres. Il exploite et commence à spéculer sur le café.

 

En 1829, avec son frère Augustin, Gabriel développe son entreprise d’import-export en achetant un premier navire « Le Renard ».  D’autres suivront. Concessionnaire d’une Marine, ils se lancent dans le commerce avec les pays de la zone Océan Indien jusqu’en Chine et avec la Métropole. Les prix pratiqués sont élevés pour les autres commerçants et planteurs qui doivent eux aussi exporter leurs marchandises. Pour faciliter encore plus ses échanges, Gabriel pense déjà à un projet de port pour Saint-Pierre et propose des plans au Gouverneur Darricau.
A 31 ans, Gabriel se marie avec Anne-Marie Chaulmet qui lui apporte le Domaine de la Ravine des Cabris. Il a un fils Denis-André et une fille Emma, qui deviendra la Marquise de Trévise en épousant le grand Chambellan de Napoléon III. Les deux frères Augustin et Gabriel se lancent dans la politique, ils sont élus à St Joseph et  St Pierre

 

Gabriel fin stratège, investi dans le foncier. St-Louis, St-Pierre, St-Joseph jusqu’au Baril, les limites géographiques ne le gène guère, il achète l’usine de Quartier- Français à Ste-Suzanne, en 1834. Spéculation encore, à cette époque les banques et organismes de prêts, n’existent pas. En plus de ses revenus assurés, Gabriel va emprunter de l’argent à un faible taux et le prêter à un taux plus élevé. Rien n’est fait à la légère, les biens sont hypothéqués et les colons bientôt face aux difficultés financières doivent quitter leurs propriétés.  
Vers  1840, la fortunes des Kerveguen dans le Sud est aussi puissante que celles des Desbassayns ou des Rontaunay. Les hauts de St-Louis, de St-Pierre, le Bras de Pontho, Montvert  tombent dans leurs escarcelles.

 

Dans chaque ville, des magasins d’import-export, présentant un choix de marchandises au détail, quincaillerie, produits de première nécessité, affaires de toilette et même des soieries sont en vente et deviennent incontournables. Encore une manière de gagner de l’argent, à l’approche de l’abolition de l’esclavage, les petits planteurs tentent de se défaire de leurs esclaves, bien informé des indemnités qui seront versées par l’Etat, Gabriel les rachète globalement.
Lorsque le demi-frère de Gabriel, Denis-François est élu à la mairie de St Pierre, Gabriel met à disposition des esclaves et les moyens financiers pour faire construire des routes, des canaux d’irrigation (canal Saint-Étienne) et d’alimentation en eau pas seulement pour lui mais aussi pour leurs environs.

 

En 1855, il possède en plus de l’usine de Quartier-Français, celles de Piton St-Joseph, la Chapelle Cocos de St-Louis et Casernes à St-Pierre.
Pour payer ses nombreux engagés sur ses propriétés, usines et distilleries du Tampon, de Mon-Caprice, de Saint-Louis, d’Etang-Salé, de Quartier-Français ou des Casernes refusant papiers et bons, fort de sa puissance financière, Gabriel de Kerveguen utilise des Kreutzers, pièces autrichiennes démonétisées qui s’appelleront Kerveguen.  
Il donne des terrains et des sommes importantes aux autorités religieuses avant son départ pour Paris où il décède en 1860. Il laisse à son fils Denis-André et à son petit-fils Robert, un domaine extraordinaire qui couvre les hauts entre 150 et 1000 mètres d’altitude depuis Saint-Louis, de St-Pierre jusqu’à St-Joseph et 16 usines.

 

Les héritiers investiront encore dans le foncier à Vincendo, Ravine des Cabris ou encore Bras Martin. Mais en 1879, les pièces étrangères sont interdites sur le territoire et  Denis-André doit rembourser à l’Etat 814 000 Kreutzers qu’il avait continué à introduire dans l’ile alors que l’autorisation avait été donnée que pour 250 000 de ces pièces d‘argent.
Abandonnant la doctrine de la famille « ténacité et labeur », Robert paie les dettes et liquide les propriétés les unes après les autres avant de gagner définitivement la France  où la famille a une propriété. 

Sources :    
Histoire d’une dynastie insulaire les K/Veguen avant les de K/Veguen- Philippe Pluchons/dir.Wanquet– Université de La Réunion
Etude de géographique et humaine “L’île de la Réunion”, Jean Defos du Rau
Sudel Fuma, dans « Une colonie île à sucre » « L’homme et le sucre à La Réunion »

 

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