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Jusqu’où l’hybris ?

Dans l’édition du 14/11/18 du Quotidien de La Réunion (voir pièce jointe), on tombe en page 8 sur une nouvelle surprenante, tout-à-fait étonnante et presque incroyable. On commence par se frotter les yeux ; puis on se prend à vérifier la date du journal… Ne serait-ce pas un canular ? Non, on n’est décidément pas […]

Ecrit par André Pouchet – le vendredi 16 novembre 2018 à 10H37

Dans l’édition du 14/11/18 du Quotidien de La Réunion (voir pièce jointe), on tombe en page 8 sur une nouvelle surprenante, tout-à-fait étonnante et presque incroyable. On commence par se frotter les yeux ; puis on se prend à vérifier la date du journal… Ne serait-ce pas un canular ? Non, on n’est décidément pas le 1er avril et ça a l’air d’être une nouvelle sérieuse l’histoire de ce Néerlandais qui se tourne vers la justice de son pays pour que celle-ci décrète qu’il n’a pas l’âge que lui confère sa date de naissance réelle mais vingt ans de moins et qu’en conséquence il convient de rectifier cette date afin de la mettre en conformité avec son ressenti intime.

S’estimant « victime de discrimination » (mot à la mode), le dénommé Emile Ratelband exige donc que la date du 11 mars 1949 soit remplacée sur son passeport par celle du 11 mars 1969 : « Je me sens jeune, je suis affûté, et je veux que ceci soit reconnu légalement car je me sens abusé, lésé et discriminé par mon âge. » Et, pour appuyer sa réclamation, il ajoute : « Nous pouvons aujourd’hui choisir notre travail, genre, orientations politique et sexuelle. Nous avons même le droit de changer de nom. Alors pourquoi ne pas avoir le droit de changer d’âge ? » Oui, pourquoi ? ! ?

Si dans un premier temps la démarche insolite de ce Batave revendicatif et chicanier nous fait sourire, elle devrait aussi nous faire réfléchir un peu aux évolutions inquiétantes auxquelles, dans le monde d’aujourd’hui, il nous est  de plus en plus fréquemment donné d’assister. Une telle démarche constitue l’aboutissement grotesque mais dans le fond logique (une logique, j’en conviens volontiers, ici totalement folle !) de l’hybris individualiste contemporaine. De plus en plus nombreux en effet sont ceux de nos contemporains qui estiment que c’est à eux, et à eux seuls, que désormais il incombe de décider de leurs conditions personnelles d’existence. Ils postulent pour eux-mêmes une souveraineté quasi-absolue sur leurs vies. Ce qui seul à leurs yeux doit compter, c’est leur choix à eux, leur décision individuelle ! Aussi peu leur importe le sexe qu’ils ont reçu à leur naissance, c’est à eux, considèrent-ils, de décider s’ils veulent être des hommes ou des femmes, ou encore autre chose. S’ils sont invertis et ne ressentent aucune appétence pour le beau sexe ? Qu’à cela ne tienne ! Les voilà qui exigent de la société que celle-ci leur permette, au nom d’un prétendu « droit à l’enfant », de se faire fabriquer des rejetons à la demande. Ce que l’on voit ici à l’œuvre, c’est le déni total de la contingence, cette caractéristique pourtant irréductible de notre humaine condition.
 
Mais qu’est-ce donc que la contingence ? Eh bien, c’est tout simplement le fait pour l’être humain de dépendre d’un donné physique incontournable, d’une réalité physiologique qui constitue le soubassement matériel de son être, aussi bien que d’un contexte psychologique et moral (une culture et toutes sortes d’empreintes sociales et familiales, linguistiques, religieuses, ethnologiques et sociologiques), des facteurs qui influent de façon décisive sur sa vie, des facteurs qu’il n’a pas choisis mais qui lui ont été imposés de l’extérieur. Puisque ce n’est pas nous qui avons décidé de naître à cette époque-ci plutôt que dans une autre, dans cette famille-ci plutôt que dans une autre, avec cet homme-là comme père, cette femme-là comme mère, dans ce pays-ci, avec sa géographie particulière, son climat, sa flore, sa faune, avec son histoire propre, sa langue et ses traditions propres, dans ce milieu social-là, riche ou pauvre, inculte ou cultivé, nous devons nous en accommoder et faire avec ! 
 
Est-ce-à dire que toute liberté nous serait donc refusée, que notre vie serait placée sur des rails, étroitement prisonnière d’un destin tracé une fois pour toute sans que nous n’y puissions rien changer ? Non bien sûr : nous bénéficions d’une certaine dose de liberté mais cette dernière ne saurait être absolue, elle n’est que relative ; elle dépend en effet de notre plus ou moins grande capacité à nous ménager, grâce à notre intelligence et à notre courage, un espace plus ou moins grand d’autonomie. Elle est concrètement fonction de notre capacité à analyser de façon correcte et réaliste (au lieu de les nier ou de les méconnaître) les conditionnements auxquels nous sommes soumis et qui nous entravent, puis à mettre en œuvre les moyens adéquats pour, dans une certaine mesure et seulement dans une certaine mesure, nous en affranchir et les dépasser…
 
Comme, dans une formule bien frappée, a pu l’écrire Karl Marx, un penseur qui n’a pas dit que des bêtises : « La liberté, c’est la conscience de la nécessité ». La nécessité – c’est l’évidence ! – ne peut être abolie : la nécessité est première : c’est cela la contingence dont il serait sot de faire fi comme le fait notre pauvre Hollandais. Cependant, cette nécessité, on peut s’efforcer de l’affronter, de l’aménager, de la dominer, et de faire évoluer de façon positive, en tenant compte des diverses contraintes qui pèsent sur lui, notre environnement. Mais en sachant toujours rester humble, en nous gardant de toute outrecuidance, de toute prétention sacrilège à la toute-puissance. En respectant tout à la fois la Nature au sein de laquelle nous évoluons et notre propre nature fragile d’être humain, notre statut modeste de simple créature. Car nous ne sommes pas des dieux, contrairement à ce dont cherche aujourd’hui à nous persuader une propagande insidieuse, laquelle se baptise elle-même « transhumaniste » mais que, se référant au nom attribué dans la Genèse au serpent tentateur, l’on pourrait plus simplement qualifier de « sataniste ».

 

Jusqu’où l’hybris ?

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