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[Jules Bénard – Souvenirs] La plus terrible peur de ma vie : Dans un nid de crocodiles à La Sakay

On devrait se méfier de ses propres élans. Cela peut vous emmener à une inévitable confrontation avec ce qu'il y a de pire sur la Terre concernant votre petite santé. Les crocos par exemple...

Ecrit par zinfos974 – le lundi 07 janvier 2019 à 14H23

Sales bêtes !

Je précise à l’intention des à-peu-près que ce sont bien des crocodiles qui peuplent les cours d’eaux malgaches. S’ils sont d’une même famille maudite, ces redoutables sauriens se partagent la planète à parts à peu près égales. Les crocodiles en Afrique, à Madagascar et une petite partie en Asie du Sud-Est. Leurs cousins alligators squattent les États-Unis quoiqu’ayant à combattre une variété énorme et vindicative de crocos, quelque part du côté de la Louisiane. Les caïmans, eux, ont investi l’Amérique du Sud une fois pour toutes. Indélogeables, voir « Tintin et le temple du soleil ».

En Australie, pays fascinant, magique, sévit le plus redoutable d’entre tous, le « salty  » je crois. Un énorme monstre datant d’avant le Mésozoïque d’Abélard Ladislas (inside joke), aussi à l’aise dans les eaux douces que saumâtres sinon salées, ayant l’unique et monstrueuse faculté de sauter à plus de dix mètres de haut pour gober un pauvre oiseau sommeillant au sommet d’une branche déplumée. Sales bêtes !

Le seul suscitant chez nous de la sympathie, est le gavial d’Inde, aisément reconnaissable à ses mâchoires plates, carrées et longues. Il ne mange que du poisson.

La différence entre ces monstres de la même famille maudite et perverse ? C’est caïman la même chose, mon ‘ieux. Aaaarrrggg ! Gaspe ! Oups ! Peste ! Je retrouve la forme, là, les poteaux. Et vous n’avez encore rien vu.

 

Madagascar, le paradis des chasseurs

Tout ça, je le savais, endoctriné par les soins savants de mon ami Joël Dupont, entre autres. Lorsque je suis allé à Madagascar pour la première fois, je le savais pertinemment. Mais allez donc empêcher un crétin de faire des conneries. « Pour le fun« , qu’ils disent. « Fun ? »… Ben fume.

C’était lors de ma première venue dans la Grande-Île, aux vacances universitaires d’Août 1970. Dans l’attente d’un possible succès au concours d’Inspecteur de la police nationale et d’un non moins inévitable échec à ma deuxième année de Droit à Nice (je peux aussi bien dire « la seconde » car il n’y en eut jamais d’autre), je vins rendre visite à ma mère, directrice de l’ensemble scolaire de Babetville, La Sakay, Madagascar.

Outre d’y retrouver mon benjamin Alain, je rencontrai des gens de grande amitié et redécouvrit les plaisirs génétiques. Madagascar est un paradis pour les chasseurs. Je ne veux entamer aucune polémique avec les anti-chasse. Surtout ceux qui adorent la viande mais ne conçoivent pas de tordre le coup à un poulet. Nul n’est parfait.

Madagascar est un vrai paradis pour les chasseurs. On peut y tirer : canards, sarcelles, canards-à-bosse (oies sauvages), perdreaux gros comme des volailles, perdrix, bécasses et bécassines, pintades sauvages (l’animal le plus stupide de la terre), sangliers, potamochères, dahus etc. 

C’est ainsi qu’un beau jour, nous partîmes à quatre. Il y avait Alain et moi et Michel Sââdi, instituteur primaire, un Franco-Algérien à la main sur le coeur ; et Marcel Sabot, professeur de math au collège dirigé par notre redoutable chère mère.

« Nous partîtes à quatre, aurait pu dire Racine »… et faillîmes bien revenir à zéro.

 

 » Robust « , « Darne-et-Charlin » etc.

Marcel Sabot possédait un juxtaposé calibre 12, une canardière de chez Manufrance, la meilleure canonnerie du monde. Alain et moi n’avions pas de flingue mais cela s’arrangea très vite par les soins de Michel Sââdi. Ce mec était fin connaisseur en armes et collectionneur passionné. Il possédait, entre autres, un revolver Smith & Wesson cal. 38… piqué je crois chez les gendarmes de Tsiroanomandidy. Il y avait été convoqué pour répondre de son « arsenal » et ils l’avaient malencontreusement « oublié » dans une pièce jouxtant l’armoire aux armes. Comment voulez-vous humainement résister à une telle tentation ? C’est comme si ou mette in livre saucisses sous le nez d’in chatte !

Pour en revenir aux fusils, il prêta à Alain un Robust cal.12 du même Manufrance. Et à moi, une arme extraordinaire, un Darne-et-Charlin à culasse coulissante, analogue à celui que manipule Klaus Kinski sous les yeux de Delon dans « Mort d’un pourri ». Eh ! on a la culture qu’on peut.

Ceci posé, nous voici partis de bon matin, à l’heure où une légère brume flotte, frissonnante, sur les lacs des hauts-plateaux. Poétique le mec, hein ? Le lac, la brume, « Daydream, I felt asleep amid the flowers », Lamartine serait jaloux.

À quelque dix kilomètres de Babetville, perdu en pleine brousse dans le cul du diable, le célèbre et sinistre lac Lokotay (prononcer Loukoutaille). Ce qui signifie prosaïquement « couleur de merde ». Stricte et juste image.

Ben… on a bien failli tomber dedans. Dans la m…, j’veux dire.

Le Lokotay, long de quatre à cinq kilomètres, large de trois cents mètres, est entièrement entouré de zozory ( papyrus, prononcer « zouzoure ». On ne peut accéder au lac que par trois percées dans le papyrus. Ce lieu, naturellement protégé, est très fréquenté par les tsiriry (les sarcelles, multimillionnaires en nombre à Mada). Mais pour flinguer cette chose délicieuse (en cari, en sauté, sur canapés), il faut disposer d’un moyen de locomotion aquatique.

Michel Sââdi, fin pratiquant, avait planqué une petite pirogue non loin. Car il fréquentait assidûment le lieu, le bougre. Une pirogue d’au moins trois mètres de long, un de large, et à fond plat. Autrement dit, un engin si peu aquatique que même Tabarly, grand flegmatique devant l’Éternel, y eût collé une décharge de chevrotines dès le premier regard.

 

Les crocos n’ont pas de langue !

Alain et moi considérâmes l’engin d’un oeil torve. Puis nous nous regardâmes perplexes, l’air de se dire « Bon ! On rentre au village ? » On trouverait bien quelque petit toka gasy sinon un betsa betsy quelque part, chez Philippe Baptisto, le tonton de Christian, par exemple. Ces deux alcools typiquement malgaches, distillés plus ou moins clandestinement, vous arrachent le gosier comme un acide bien calibré. Parfumés, poétiques et redoutables. J’adore. C’est en tout cas moins mortel que la catastrophe sûre et certaine vers laquelle cet indéfinissable engin allait nous conduire. Monter à quatre dans un OFNI prévu pour un, c’était irresponsable à tout le moins.

Mais notre ami Michel Sââdi semblait si sûr de lui et souriait si gentiment… Alors, la trouille aux tripes, nous embarquâmes en essayant d’empêcher nos mâchoires de claquer trop fort. J’avais déjà l’impression d’entendre celles des crocodiles fourmillant alentour, et les voir se passer la langue sur les babines. Mais les crocodiles n’ont pas de langue, me direz-vous. Comment, alors, font donc ces sales bêtes pour nous avaler ? Je demanderai à Joël.

Marcel Sabot à l’avant, Alain puis moi et enfin, Michel aux commandes du petit Seagull prétendant nous propulser. Les amateurs de nautisme connaissent le Seagull, engin mythique, comique et sans prétention pour tout navigateur qui se respecte. Increvable sauf que cette fois, c’est nous qui avons failli crever.

Déjà, avec nos quatre poids lourds embarqués, le plat-bord atteignait presque la flotte. Fallait pas trop bouger, ne pas respirer trop bruyamment, tousser devenant périlleux. Et l’amer Michel qui poussait les gaz poignée dans l’coin !

 

Comique ou tragique, va savoir !

Une fois passé l’étroit chenal, on se retrouva en pleine eau, une eau marron foncé peu engageante. Là, Michel fonça vers l’autre extrémité du Lokotay. Nous parvînmes devant la forêt de zozory, Michel amorça un virage à gauche, vite, trop vite. Le plat-bord côté gauche embarqua une grosse lampée d’eau noirâtre/marron et ce fut la cata.

Quelqu’un eut un mouvement trop brusque pour se raccrocher à la coque, la maudite pirogue se remplit d’un seul coup d’un seul et commença à s’enfoncer doucement mais sûrement dans le lac. Sans rémission.

Michel, Alain et moi nous laissâmes aller dans l’eau tandis que l’inénarrable Sabot, se retrouvant seul à bord, se crut en sûreté. Et la scène alors, fut du plus haut comique…

Debout dans l’embarcation pour ne pas trop se mouiller (il était déjà trempé jusqu’aux os), fusil bien maintenu entre ses bras croisés, plus hiératique que le Sphinx de Gizeh, il se lança couler très lentement, au rythme de la pirogue coulant sous ses pieds. L’eau monta le long de ses jambes, de son ventre, atteignant bientôt son torse. Au fur et à mesure, il montait un peu plus les bras, ne songeant qu’à ne pas tremper son flingot !

Lorsque la flotte atteignit son menton, il se mit à s’agiter, un air de panique gagnant très vite ses traits. Et là, il faillit bien se suicider involontairement. Ou plutôt, je faillis le suicider…

Barbotant ridiculement avec ses bottes pleines de flotte (des bottes sur un lac !), nageant d’un bras, il me tendit son fusil. Il le tenait par la crosse, l’index sur la détente. Je n’ai eu que le temps de gueuler comme un charron. Il me laissa son fusil et une mauvaise pensée me traversa l’esprit : il avait bien failli me fusiller, ce con ! Si j’avais attrapé ses canons et tiré dessus comme il semblait le vouloir, il tirait sans savoir… avec moi devant ses doubles-canons calibre 12.

Il eut la chance de poser les pieds sur ce qui semblait un sol solide. Une de ces grosses « îles » d’herbes aquatiques dont les lacs malgaches sont pleins. Il grimpa dessus avec un large sourire… et recommença à s’enfoncer car ces masses herbeuses flottent entre deux eaux.

N’eût été le tragique de la situation, nous eûmes éclaté de rire. La masse herbeuse cessa de s’enfoncer alors que l’eau lui arrivait au ceinturon. Son sourire renaquit. Le nôtre s’effaça. C’est ça, la camaraderie.

 

C’est grâce à Alain…

Si le tragi-comique de la situation nous excitait les zygomatiques, nous avions les tripes nouées par cette immense trouille s’étant emparée de nous. Car il ne fallait pas se leurrer : si nous ne trouvions pas très vite une solution, nous étions bons pour « le grand tourbillon ». Cette expression désigne le sort que réservent les crocodiles à leurs victimes, histoire de les étourdir et de les noyer avant de les planquer dans leurs tanières. Charmant. 

Impossible de rejoindre la berge à pied : les zozory autour des lacs forment une barrière totalement infranchissable. Et c’est justement là-dedans que les sauriens établissent leur campement. Et leur garde-manger, autrement dit, nous.

Michel avait péniblement pu s’établir sur l’île flottante. Et Alain nous sauva la mise. La vie tout court. Il demanda à Michel :

« Il y a combien de profondeur ici ? – Dans les cinq mètres », lui fut-il répondu.

Alain se tourna vers moi et dit simplement :

« Bon ! On y va, Julot ? »

C’est parti. Nous plongeâmes, et pûmes vaguement distinguer les contours fantomatiques de la pirogue. Sans nous concerter (nous parlons mal le poisson), nous attrapâmes les bords de l’engin et le retournâmes pour empêcher le poids de l’eau d’interdire toute manoeuvre. En pédalant de toutes nos forces, nous parvînmes à rapporter la barque à la surface. Là, nos deux comparses nous aidèrent à la retourner. Ouf !

C’est uniquement au génie de mon « petit » frère que je dois d’être encore là à vous enquiquiner, les potes. C’était en 1970, il avait à peine quinze berges. Chapeau !

Je ne te l’ai jamais trop dit, Alain, mais « Merci mon frère ! »

Après une petite cinquantaine de tentatives, Michel, plus obstiné que Mathusalem, réussit à faire redémarrer ce petit Seagull dont la vaillance n’a d’égale que l’extraordinaire longévité. Je peux vous assurer que cette fois, pour nous reconduire jusqu’au chenal et nous déposer sur la terre ferme, il y alla avec la prudence d’un nouveau marié.

 

Un coup de fusil au cul !

Nous avions apporté quelques bonnes fioles de rhum Dzamandzar (rhum malgache, officiel celui-là) et de bourbognac. Ça y alla dru, j’vous dis.

À quelques mois de là, alors que j’étais devenu prof de français à Babetville, j’eus l’occasion de rendre à un autre le service d’Alain.

Nous étions allés aux chutes de la Koma, à quelque vingt kilomètres de la Sakay, là où il y avait des sarcelles à ne savoir qu’en faire. Sur un petit étang, j’avais tiré une sarcelle au vol (je ne tire jamais sur une bête posée, sur l’eau ou au sol, peu importe !)

La sarcelle s’abattit sur l’étang et là, Robert Commère, un pote instit’ primaire et grand bridgeur, gentil comme c’est pas permis, me lança :

« Attends, je vais te la chercher ».

Avant que j’ai pu l’en empêcher, il avait laissé tomber son fusil et s’était jeté à l’eau. Il perdit pied mais, nageant très bien, parvint à la sarcelle flottant ventre en l’air, s’en empara et revint vers la rive.

Nous étions plusieurs à le surveiller et je fus le premier à apercevoir le dos d’un croco se dirigeant vers lui. Vous savez que ça nage vite, très vite, un croco ? Il allait plus vite que Robert et parvint à moins d’un mètre des pieds de mon copain. 

Je remercie Manufrance d’avoir fabriqué ce merveilleux fusil automatique à trois coups, le Perfex. J’épaulais vaguement et lâchais les deux coups qui me restaient en magasin. Le croco tressauta, se retourna et coula à pic.

Et Commère qui m’engueulait :

« Ben… Jules… Tu me tires dessus, maintenant ? »
C’est Sabot, l’increvable Sabot, qui lui dit :
« Tu as vu ce qu’il y avait derrière toi ? »
La séance de chasse se termina là. « Le coeur n’y était plus », comme dit Brassens cessant de fesser la veuve. La chasse s’était arrêtée. Mais pas la cuite que nous prîmes pour écraser le coup.

Oui, je sais, c’est pas moral tout ça. Mais je vous jure que tout est vrai. Demandez à Alain ! Il ne s’est jamais glorifié d’avoir sauvé trois personnes d’un coup. C’est bien du Bénard, ça : modeste et compagnie. Aaaarrrrgggg !!!!

 

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