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[Jules Bénard] Pour les 50 ans de son départ : Un bel hommage à « Zéphirin »

Cela s’est passé hier soir, dans l’ancienne maison des proviseurs du lycée Leconte-de-Lisle, actuel collège Bourbon, siège du CAUE (Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement). Une fête du souvenir, un bel hommage à Albert Lougnon. En présence de Raoul Lucas, le « monsieur référence » de l’Histoire locale, et Alain-Marcel Vauthier, ex-Bibliothécaire départemental et président de l’Académie de La Réunion.

Ecrit par Jules Bénard – le mercredi 18 septembre 2019 à 12H34

Il n’est pas exagéré de dire qu’avant « Zéphirin », l’Histoire de La Réunion était rien moins qu’embryonnaire. Il fut le premier historien-chercheur-écrivain de chez nous. Et laisse une oeuvre considérable (voir à la fin).

Nul n’a jamais pu nous expliquer pourquoi ce surnom de « Zéphirin » accordé à M. Albert Lougnon. Un surnom qu’on ne prononçait qu’avec respect et circonspection, en ayant pris soin de vérifier que le vieux bonhomme n’avait pas quelqu’oreille traînant dans le coin. Car si sa gentillesse était proverbiale, sa sévérité ne l’était pas moins lorsqu’il constatait quelque manquement au respect dû à sa personne et son autorité.

Titres et diplômes à profusion

Il s’appelait déjà « Zéphirin » et était déjà proviseur au vieux lycée Leconte-de-Lisle, que je ne me résous toujours pas à appeler « collège Bourbon », lorsque j’y suis entré comme pensionnaire en septembre 1958. Seule nuance, à cette date, il lui restait un petit reliquat de congé et avait été remplacé à ce poste par Monsieur Marodon. Une sacrée différence de contact. M. Marodon était paternel avec ses ouailles. Zéphirin plus distant. Mais cette froideur n’était qu’apparente.

Quand il s’adressait à vous pour remonter quelque bretelle malséante, il fallait voir la lueur de malice brillant au fond de son oeil scrutateur. Ma mère m’avait prévenu, qui l’avait eu comme professeur d’histoire-géo avant guerre. Albert Lougnon, vieux malicieux, avait l’habitude de parsemer généreusement ses leçons d’histoire d’anecdotes tordantes destinées à marquer les esprits. Et ça marchait : on retenait ses cours car « trop drôles, trop oufs », comme disent nos jeunes.

M. Albert Lougnon, né le 17 septembre 1907, a fait des études aussi brillantes que le sera ensuite sa carrière. Carrière mouvementée ainsi que le raconte Raoul Lucas, autre brillant chercheur de par-ici.

Il a tout réussi… Après un baccalauréat en philosophie réussi haut la main (mention très bien, mention pas encore bradée alors), il entre en Sorbonne après avoir réussi le Concours général des lycées. Il devient, excusez du peu, Docteur ès-Lettres en Sorbonne, un des titres universitaires les plus prestigieux. Il fut successivement professeur d’histoire-géo, puis censeur, et enfin proviseur au lycée Leconte-de-Lisle. Avec quelques périodes inattendues. Ainsi, pendant les congés du directeur départemental des Archives, il est « sommé » de le remplacer en raison de ses aptitudes en recherche historique. Il en profita pour mettre en route un véritable service d’archives.

Exilé bien avant l’Ordonnance Debré !

Mais il y eut des épisodes moins amusants… comme quand il fut muté d’office à Madagascar.

Car on voulut faire payer au fils les « errements » politiques du père, Albert-l’Ancien. Lors des élections législatives de 1936, dans la bataille furieuse opposant Gasparin et Boussenot, le père Lougnon choisit semble-t-il le mauvais parti, ce que l’administration ne lui pardonna jamais. Mais cette administration ne put jamais le lui faire payer et, quelques années plus tard, se rabattit sur le fils. Albert Lougnon, avec toute sa famille, revenait de congé en métropole à bord du « Grandidier ». A l’escale de Dzaoudzi, le jeune professeur reçoit une lettre comminatoire lui annonçant qu’il descend là : il est destitué de son poste à Saint-Denis et est expédié au lycée Gallieni de Tananarive !

C’est en caboteur que la famille atteint Tamatave, et le train les conduit ensuite à la capitale malgache.

Dans le même temps, Albert Lougnon est rayé des cadres de la fonction publique d’État et inscrit sur la liste des fonctionnaires coloniaux. Avec la baisse de salaire idoine. Ce qui fait d’Albert Lougnon, bien avant l’Ordonnance Debré, le premier fonctionnaire réunionnais muté d’office… pour une faute qu’il n’a jamais commise ! On avait même songé un moment à l’expédier à Cayenne, mais en 1938, le conflit mondial approchant à grands pas, difficile de trouver un bateau.

Il en fallait bien plus pour désarçonner ce cavalier de fer. Revenu peu après à La Réunion, Albert Lougnon redeviendra professeur, puis censeur, et enfin proviseur au lycée Leconte-de-Lisle. Dans le même temps, il poursuivra sans relâche ses recherches historiques et publiera une oeuvre considérable.
 
« Ah ! Vos chevelus sont de sortie… »

Albert Lougnon n’était pas du tout l’homme austère et distant que l’on voit sur cette photo mais c’est hélas la seule que nous ayons de lui ! Une anecdote me revient…

Lorsque les premières télévisions (en NB) arrivèrent chez nous en 1964, le Foyer des internes en eut vite une… avec l’autorisation de regarder ce que Zéphirin nous permettait. A cette époque, le programme de l’ORTF tenait sur une moitié de page publiée le lundi par l’ancêtre du JIR, le journal de Fernand Cazal. Chaque lundi matin, nous étions ainsi trois internes à aller chez Zéphirin lui présenter le programme. Au garde-à-vous, mains croisées dans le dos, nous attendions le verdict.

« Ah ! s’amusait-il, vos chevelus sont de sortie, à ce que je vois ». Il parlait des Beatles. « Eh bien si ça vous chante… » Il mettait une croix en face de Lennon et Mac Cartney, ce qui voulait dire qu’il n’y voyait aucun inconvénient. Après avoir noté tous les programmes, il assortissait le tout de sa large et belle signature. On conservait soigneusement cet accord officiel mais attention : quels que fussent les programmes, tout le monde au pieu à 22 heures tapantes !

Bavardages impromptus

Lorsque j’eus un poste de pion à Leconte-de-Lisle, je fis mes six premiers mois au secrétariat du proviseur, en principe dirigé par « Layang » Nativel. En réalité, c’était bel et bien Zéphirin qui dirigeait tout ça d’une main de fer. Chaque matin, il venait nous voir, histoire de discuter de l’actualité locale, de régler un problème de discipline, de brocarder joyeusement les luttes politiques locales en passant les responsables de partis à la moulinette… quand il ne m’envoyait pas chez Cazal faire passer un coup de massicot sur les pages d’un registre usagé afin qu’il puisse y classer son courrier à la colle forte !

En fait, tout le monde adorait ce vieux bonhomme, « un bon bougre », une sorte de papa gâteau.

Chaque fin de trimestre, il allait en personne de classe en classe, distribuer les « tableaux d’honneur ». Cela nous amusa très fort lorsque cela se passa, un jour, dans la classe de son frère Jacques-ti-Mallol. Ce dernier l’accueillit en lui donnant du « monsieur le proviseur » long comme le bras. Des sourires commencèrent à fuser ici et là, vite éteints par un regard glacial de Zéphirin auquel faisait écho le fin sourire du vieux Tangue.

 

Une oeuvre considérable

Alain-Marcel Vauthier nous a fourni une liste non-exhaustive des publications d’Albert Lougnon.

  • Recueil trimestriel de documents et travaux pour servir à l’histoire des Mascareignes françaises.
  • Correspondance du Conseil supérieur de Bourbon et de la Compagnie des Indes (5 tomes).
  • Mahé de Labourdonnais.
  • Sous le signe de la tortue.
  • Documents concernant les îles de Bourbon et de France (Maurice) pendant la régie de la Compagnie des Indes.
  • L’île Bourbon pendant la Régence (ce fut le sujet de sa thèse de doctorat ès-Lettres).
  • Classement et inventaire du fonds de la Compagnie des Indes aux Archives.
  • Mouvement maritime à Bourbon et Maurice pendant les premières années du règne de Louis XV.
  • Voyage à La Réunion de Bory de Saint-Vincent (1801).
  • Café marron, café créole, café moka et compagnie.
  • Pirates blancs dans l’océan Indien (1689-1714).
  • … pour ne citer que quelques-unes de ses oeuvres.

 

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