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[Jules Bénard] La chaude ambiance des bals lontan

Tout-Va-Bien, Etoile-des-Neiges, Chic-Escale, Twist-Pavillon, Crasé salle verte... La musique avec des musiciens.

Ecrit par zinfos974 – le samedi 21 octobre 2017 à 15H33
Un magasin d’alimentation et d’autres commerces ont pris la place du Tout-Va-Bien, ancien temple de la fièvre du samedi soir. Les anciens habitués passent, tête droite, un peu dépités, devant l’emplacement de ce monument des années 60-70.

« Mascottes » té qui donne la main

La boîte commençait à se remplir vers 19h30 ; les voitures se garaient où elles pouvaient. Les premiers arrivants entendaient les notes des guitares que l’on accordait, les « tom-tom » de la batterie, les « une-deux-une-deux » des essais de sono…

Quelques apprentis bénévoles tentaient bien de proposer un coup de main aux musicos, histoire d’entrer à l’œil, mais ce rôle (et cette faveur insigne) étaient l’apanage exclusif des « mascottes ». Curieuse confrérie que celle des mascottes, à laquelle on n’accédait qu’au bout de plusieurs mois. Il s’agissait toujours d’amis, de proches des joueurs, assistant régulièrement aux entraînements, faisant preuve de respect envers le matos, avant d’atteindre leur Graal, charger, décharger le matériel, danser et boire à l’aise. Et parfois, Nirvana, agiter le tambourin quelques minutes durant.

Donner du plaisir, se faire plaisir

Dès 17 heures arrivait la camionnette transportant le matériel. Elle se garait le cul face à la salle d’entraînement ; les mascottes chargeaient le tout, dans un ordre soigneusement établi, de façon à utiliser toute la place et, surtout, éviter tout balancement inopportun des amplis et batteries. C’est que ça coûtait bonbon, ces Vox AC 30, et autres Twin, Pro-, Super-Reverb, Orange, Dual Showman, Marshall, ainsi que les fûts et cymbales ciglés Zildjian, Premier, Gretsch…

Les guitares, sax ou clarinette, personne d’autre que leur utilisateur n’y touchait. Elles reposaient dans leur étui, cordes astiquées, tables lustrées et voyageaient avec leur proprio.

Une certaine fièvre s’emparait de ce petit monde des joueurs de bals dès le samedi matin : la soirée à venir était une grand-messe, toute empreinte du plaisir de jouer et faire danser, de procurer un plaisir bien compris en se faisant plaisir à soi-même. C’est pourquoi les séances d’entraînement étaient pluri-hebdomadaires pour ces fondus, car au bas de l’estrade, on te jugerait en épiant le moindre canard, le moindre manquement à l’accord. C’était réglé comme… du papier à musique.

« Hein ! Té ! Morceau-là i joué pas com’ ça, ça ! » parce que tu avais osé, crime de lèse-majesté, changer quelques notes à « Sleepwalk » ou un accord dans « A whiter shade of pale »…

 Le trac était toujours au rendez-vous, même pour les pratiquants les plus aguerris. Ce n’est pas mon ami Hassen, devenu l’un des guitaristes les plus appréciés du Tout-Paris, qui dira le contraire.

 

Le surdoué d’entre les surdoués, Marco

Car notre plaisir, je l’ai dit, était de constater la joie des danseurs, en ces temps bénis où on affectionnait les danses-à-deux. Fait curieux, constat effectué par tous les musiciens d’orchestres, nous-mêmes n’étions généralement que de médiocres danseurs. Perso, lorsque je m’autorise à faire semblant de danser, je n’attire pas les félicitations mais plutôt les sifflements ironiques. Mon profil grec et ma sveltesse de danseur de flamenco (surtout de profil !) ne les font pas tomber en pâmoison.

Mais le rythme, ça, on connaissait.

Je plains un peu beaucoup les joueurs d’orchestres de maintenant : ils se cantonnent à un seul style, point/barre. Ils rétrécissent volontairement leur horizon et c’est grand dommage. Nous, nous avions un éventail merveilleux, correspondant aux désirs des auditeurs et danseurs. Comme tous nos amis des orchestres autres, nous nous faisions un devoir de répercuter les succès du jour. Un morceau tenait-il la rampe du Top-50 ? Il était aussitôt à notre répertoire.

Toutefois, en dépit de notre hâte à satisfaire le public, il y en avait un qui nous battait régulièrement à plate couture, Marco Boyer, des Lynx. Lorsque parut « A whiter shade of pale », ce mec, il était si doué que dès le lendemain il l’avait inscrit à son répertoire. Son frangin, claviériste surdoué, avait orchestré l’affaire et ça roulait. Il ne parlait pas un traître mot d’anglais mais avait sa phonétique très personnelle… et c’était efficace.

« L’aigle noir » et le sax de Bardon

Les danseurs aimaient varier les plaisirs. On suivait. Enfin, on essayait. Le plus de variété possible, tel était le mot d’ordre des propriétaires de salles de bals qui connaissaient leur public. Alors, c’était slow, rock, valse, twist, paso doble, tango, séga, marche…

De quoi s’y perdre pour le commun des mortels ; pas pour nous : aucun genre ne nous rebutait, convaincus que nous étions qu’il n’y a pas de « grande ni de petite » musiques. Nous avions autant de plaisir à exécuter (froidement) Guitar boogie que Espanã Cani, La foule, la Danse atomique ou Kasatchok.

Il y avait des impératifs à respecter scrupuleusement sous peine de voir les contrats se raréfier. Les bals du samedi soir étant, pour les couples déjà constitués, l’occasion de se (re)prouver leur amour. Et pour les autres, l’occasion de draguer comme des bêtes.

C’était du pareil au même dans les deux cas : fallait laisser aux amoureux, confirmés ou en devenir, assez de temps pour prouver que leur amour, ben… c’était du solide.

Nous, les très Sudistes « Générations », nous avions de la chance. « Bardon » notre factotum, autrement dit Benoît Ethève, recevait les partitions de métropole dès parution. C’est ainsi qu’avec son souffle puissant, il régalait les danseurs avec la version instrumentale de « L’aigle noir » de Barbara. Que personne n’a jamais osé imiter.

Adios muchachos !

Pour les slows, il en fallait trois ou quatre d’affilée, bien enchaînés selon les tonalités. On commençait par Sleepwalk des Shadows en DO (!), suivi de Midnight et Spring is nearly here. On couplait tout ça avec des slows-rocks (slows un peu plus rapides) : Blue star, Listen to my heart des Jumping Jewels, Adieu mon rêve…
Alors venait la série des ségas, où on s’acharnait à reprendre les succès de Vinh San, Joron (Jules), Tropina, Barre, Arlanda, Fourcade bien sûr. Il importait alors, pour le guitariste soliste, de faire mieux que le copain de l’orchestre voisin. A ce petit jeu, Harry Pitou a  toujours été imbattable. Il tire plus vite que son médiator, le coquin !

Moi, je préférais Marchand d’miel de Tropina, moins difficile que Allons la case, joué par Harry. Eh ! on fait comme on peu.

Bref, on abordait tous les rythmes, sans complexe. Nous aimions les jouer et avions une excuse imparable : nos danseurs nous aimaient. Car il y avait cette incomparable connivence entre eux et « leurs » musiciens.
Comme ce vieux couple s’approchant timidement de l’estrade, une fois le twist terminé, yearrr :

« Hein, monsieur Vally, joué in’ ti tango pou nous, siouplaît ? »

Adios muchachos démarrait dans la seconde.
Le pognon ? Bof !

Pour parvenir à un semblant efficacité, nous dépensions sans compter, nous les musiciens. Toujours dans l’espoir de parvenir au meilleur son, à la meilleure musique possible. Plusieurs y ont laissé leur vie familiale.
Moi le premier.

L’orchestre ne nous a JAMAIS rendus fortunés ! C’est plutôt nous qui investissions tout notre pognon là-dedans. Je vous parle de mon expérience à Générations mais dans TOUS LES AUTRES orchestres de bals, il en allait de même. Le métier que nous exercions parallèlement servait souvent à payer le matériel.

Présomptueux que nous étions, nous pensions que c’est le matos qui fait l’homme. C’est exactement le contraire : un  bon artiste se joue du matériel. Donnez à Harry Pitou une guitare pourrie et l’ampli du même métal, il vous en tirera des merveilles. Parce qu’il est le meilleur.

Dans nos seventies, nous pensions que l’investissement dans le matos nous permettrait de mieux jouer. Tiens ! fume, Shadok ! Si tu ne t’entretenais pas deux à trois fois par semaine, c’était paumé recta.

Chez « missié Antoine »

Des salles de bals, il y en eut partout entre les années 50/60/70, puis les sonos avec DJ nuls, enterrèrent les orchestres pour de sombres questions de fric et aucun respect pour le public. Cela va en faire râler quelques-uns, les habituels détracteurs, mais bah ! Toutes ces salles n’étaient pas du même niveau et quelques-unes d’entre elles tenaient le haut du pavé mais ne se ressemblaient pas, ni par leur fréquentation ni par leurs animateurs, les orchestres habitués de ces lieux. Je vais en citer plusieurs, sans ordre de préférence…

Parmi les salles dites huppées, il y eut sans conteste l’Hôtel d’Europe du « missié Antoine » cher à Vabois. Antoine Véloupoullé avait racheté tout un ensemble de vieille case créole avec grande varangue et dépendances, là où se situe maintenant les services des Télécoms. Sous la belle terrasse d’entrée se trouvaient le restaurant et la salle de bal. On y servait une cuisine mi-créole mi-française et, samedis soirs et dimanches après-midi, place à la danse.

A l’Hôtel d’Europe, les orchestres variaient peu : nul ne s’en plaignait car on a vu y défiler les meilleurs musiciens, les orchestres de « Julot » (Arlanda), Loulou Pitou, Serge Barre, Armand Tropina, Claude Vinh San… au sein desquels les meilleurs instrumentistes exerçaient leur art sous sévère férule : Rolland Raëlison, Jeannot Rabeson, Narmine Ducap et ses frères, Tarby, Harry et Teddy Pitou, Jean-Luc Copette (un guitariste si haut sur pattes qu’il devait jouer hors de l’estrade pour ne pas gêner ses compères !)…

Au Rio : ségrégation, bitures et castagnes à gogo !

Les soirées se prolongeaient fort avant dans la nuit car le lieu était avant tout convivial et la musique de très haut niveau.

Autre site incontournable, le Rio. Il y avait là deux sortes de bals, sinon trois.

Les bals du lycée, en juillet, étaient à base de bonne humeur avec tous ces potaches venus larguer la pression d’une année à bûcher sans relâche. Po largue la sauce aussi po deux-trois… On y entendait essentiellement les Lynx, les Chats Noirs, l’Ajer, les Torpilleurs de Jean-Claude Maître, nos premiers orchestres yéyé. Animation garantie avec Hervé Marodon, chanteur, animateur et rallye-man de talent.

On y donnait parfois quelque grand bal de la haute société mais c’était assez rare. En revanche, les samedis soirs et dimanches après-midi, c’était le déchaînement, bitures et castagnes à volonté !

Les orchestres favoris du Rio étaient ceux de Claude Vinh San, maître incontesté des lieux, et Julien Vauzelle.

Claude m’a raconté un jour cette confidence qu’il jugeait navrante : « Il y eut un temps une ségrégation entre ceux qu’on appelait les gens bien… et les cagnards. La salle fut coupée en deux pendant des mois. Le podium était fait de telle sorte que les musiciens jouaient pour les deux sortes de clients en même temps. J’ai pu convaincre Mario Hoareau de mettre fin à cette discrimination inqualifiable ».

Le Tout-Va-Bien, salle « propre »

Dans le Sud, à Ravine-des-Cabris, se tenait le Tout-Va-Bien. Ah ! le Tout-Va-Bien ! Qui ne l’a pas connu n’a rien connu. Tous les grands orchestres de l’île y ont joué mais à ce qu’il semble me souvenir, ce sont les SuperJets qui y ont le plus officié.

Le Tout-Va-Bien était une salle « propre », avec un service d’ordre discret mais élégamment efficace, qui savait éjecter les importuns et autres poivrots trop biturés avec la manière. On pouvait, dans cette salle, voir parfois voltiger in’ ti banc par-dessus la tête des danseurs, quelque canette volage disparaître dans le fond de la salle, mais en général, les castagneurs allaient ailleurs.

On pouvait danser tranquille, se poivrer avec noblesse, se tenir au pied du podium à mater un coup les musiciens, un autre coup les danseuses court vêtues, ça baignait.

Les SuperJets acceptaient volontiers que quelques-uns de leurs copains vinssent sur scène pousser la chansonnette avec eux.

On était bien.

Et c’est en sortant de cette salle, un dimanche matin aux petites aubes, que j’ai eu mon plus bel accident de bagnole. Parce que j’étais pété comme un letchi trop mûr !

 

La Simca Aronde de Peter Boy !

Je vais vous la raconter par le menu, ce qui ne va pas améliorer mon image de marque mais vous fera rigoler…

Mon pote Zalan et moi étions alors pions au vieux lycée Leconte-de-Lisle. Il avait acquis une vieille Fiat 850 pour laquelle il avait dû apprendre par cœur l’emplacement de tous les points d’eau et robinets entre l’Entre-Deux et Saint-Denis.

Bibi, je jeudi précédent cette funeste soirée, j’avais acheté une vieille (très très vieille) Simca Aronde avec notre professeur d’anglais, Peter Boy (de son vrai nom… Pierre Garçon). Il s’agissait d’une de ces antiquités dont les bouchons de batterie étaient encore ces plots en plastique transparent semblables à des tétines à l’envers. Je l’achetais donc pour trois bouchées de pain le jeudi… et la détruisis sans rémission possible le dimanche matin.

Pour ne pas trop utiliser sa Fiat, Zalan la laissa au pied du mur de l’usine du Gol et nous allâmes jusqu’à La Ravine dans ma Rolls façon Peter Boy. La soirée se passa le mieux du monde et, sur les coups de 4 heures du matin, nous repartîmes du Tout-Va-Bien, Zalan vaguement en forme, moi totalement murgé !

Je le déposai près de sa charrette à moteur et repartit vers La Rivière… et me réveillé, au milieu de la route, les bras en croix, houspillé par Charles Montrouge arrivant au pas de course. Il habitait tout près et avait entendu le fracas de tôles brisées de mon char-à-bœufs.

Plus con tu meurs

Charles me tira sur le bas-côté et nous attendîmes l’arrivée des pandores, j’avais une gueule à faire peur à Christopher Lee dans Frankenstein s’est échappé !

J’affirmai dur comme fer aux gendarmes qu’il fallait chercher mon chauffeur dans les cannes environnantes, le pauvre ayant sûrement été éjecté très loin.

Arriva Ange, des SuperJets, qui retournait à La Rivière, où ses beaux-parents habitaient face à l’école des filles du Ruisseau où habitait ma mère. Là, j’ai admiré l’élégance suprême de mon ami Ange.

Il frappa à la porte de Justy, ma mère, et lui dit d’entrée :

« Madame, Jules est là, avec moi… Il est en bonne santé mais il a des traces sur le visage ».

Façon de la rassurer… Je me dévoilai alors et Justy eut une des plus belles frayeurs de sa vie en découvrant mes yeux pochés, mon front gonflé, et tout le toutim.

Ce n’est que plus tard que je compris ce qui m’était arrivé : il y a paraît-il une pièce qui s’appelle la fusée, rattachant la roue à l’essieu. Elle avait cédé, la voiture partit en scoubidou et sous les différents chocs causés par cet engin diabolique, je fus éjecté de la bagnole. D’où contusions et gnons divers.

Ce qu’il y a de plus tordant, c’est que les braves gendarmes cherchèrent mon chauffeur dans les cannes des alentours jusqu’à 7 heures du matin ! Alors que Zalan ronflait paisiblement à l’Entre-Deux.

Peu après, j’achetais une Florett 5 vitesses gris et or chez Dindar… et l’écrabouillais devant l’église Notre-Dame-des-Neiges de Cilaos le dimanche suivant, toujours en compagnie de Zalan, juché sur sa Vespa Piaggio. Cette dernière s’en sortit mieux que mon tire-con ; et nous deux, sans doute mus par quelque leçon de judo, nous en tirâmes sans mal, merci monsieur Gérard ! Mais ceci est une autre histoire.

Le Bon-Accueil, temple incontesté du rhum charrette et de la castagne

Le Tout-Va-Bien se situait à une intersection. Dans l’angle opposé, à 50 mètres pile, il y avait le Bon-Accueil. Lequel affichait sans façon sa vocation de bal cagnards. La salle était à l’étage d’une vieille boutique Chinois toujours en activité (la boutique). On pouvait y aller en savates deux-doigts alors qu’au Tout-Va-Bien, une tenue correcte était exigée.

Les patrons étaient également moins stricts sur les comportements des consommateurs dont beaucoup ne considéraient la danse qu’avec un œil méprisant : au bar, il y avait plus de serveurs que de coutume vu le nombre de soiffards fréquentant le lieu. L’alcool coulait à flots, les coups de gueule étaient nombreux et les bagarres à répétition. Plus d’une fois les gendarmes durent y mettre le holà !

N’empêche que jamais un orchestre ne refusa un contrat là-dedans car les patrons payaient aussi bien que les autres.

Les Beach Boys version Sauger-Dupont-Peyron

A Etang-Salé-les-Bains, en août, Ethève ouvrait sa salle de bal (au-dessus de sa boutique) aux vacanciers tous les samedis soirs et dimanches après-midi. Salle vaste, bien rafraîchie par le vent du large, surveillance discrète des importuns par son fils Jo et toute la famille, public correct, presque jamais de biture et toujours les meilleurs orchestres.

Ces mêmes dimanches, une autre salle, au 23èKm de la Plaine-des-Cafres, lui offrait une concurrence directe : le Twist-Pavillon. Propriété de la famille TAK. C’était aussi une des plus fréquentées et lesorchestres y venaient de toute l’île. C’est là que pour la première fois, je vis et entendis l’orchestre de Serge Son-Houi, de Saint-Joseph. Avec, à l’accordéon, un de nos condisciple du lycée, Alain Payet surnommé Capitaine Mouche-à-Ver, va savoir pourquoi.

Il y avait, entre Langevin et Vincendo, le célèbre 97-4, qui fut vite fermé sur ordre administratif : les ivrogneries trop prononcées et coups de poing étaient réguliers et violents. Les murs sont toujours debout. Ils avaient du mal à trouver des musiciens.

A Cilaos, près des Mares, l’Etoile-des-neiges refusait les fêtards venus de Palmiste-Rouge (bagarres garanties) ; à Saint-Gilles, le Clic-Escale offrait à la fois salle de bal agréable et cuisine chinoise de haute teneur ; plus loin, la Cabane-Bambou proposait surtout ses services aux jeunes vacanciers en quête de drague et de bonne musique. C’est là que les Pois-du-Cap, la bande à Sauger/Peyron/Dupont/Crochet fit ses premières armes. Avec un ravissement certain pour les jeunes auditeurs : ils furent les premiers à chanter à quatre voix les airs de Beach Boys. Régal assuré !

 

La Société Ouvrière

Nous ne saurions passer sous silence deux des plus anciennes salles de bal de toute l’île. Elles se situaient à Saint-Denis. La plus connue était La Terrasse de la Belle Etoile. Dans le haut de la rue Jules-Olivier et accueillait, les samedis et dimanches après-midi, le gratin dionysien, au son des orchestres Jules Arlanda (père), Loulou Pitou, Vinh San…

L’autre, plus modeste, rue Laferrière, était la Société ouvrière, plus proche des guinguettes et autres bals-musettes de métropole. Les employés des sociétés de construction, les femmes de ménage, les chauffeurs de bus, les taximen, y venaient en foule. Son ambiance bon enfant était unanimement saluée : ceux que l’on appelait avec condescendance « le petit peuple » venaient réellement danser et s’amuser sereinement.

Des orchestres meilleurs les uns que les autres

J’ai déjà cité, par ailleurs, nos orchestres yéyé. Là, il faut mentionner les orchestres de bals où le rock/twist n’avait pas seul droit de cité.

Je ne pourrai nommer que quelques-uns et que ceux que j’oublie me pardonnent (il y en eut trop !) : les Superjets ; les Lynx ; le Fock-Group où Ti-Fock s’essayait encore à l’imitation de Claude François avant de développer son style si connu et apprécié ; les Lynx où Marco éclatait de rire en se lançant dans une chanson avant de se rendre compte qu’il ne l’avait pas encore apprise (ce fut le cas avec Ta-ta-ta-ta de Polnareff) ; les Pop’s de Ramakistin ; André-Philippe avec le flamboyant Jules Joron ; Serge Son Houi (dont la superbe fille, Lolita, nous faisait grimper aux rideaux) ; Julot Arlanda ; Claude Vinh San ;le Jazz des Îles ; le Club Rythmique, favori du restaurant chez Georges, rue Alexis-de-Villeneuve ; Armand Tropina ; Serge Barre ; l’AJER de Bastide/Mayer/Manglou, qui ne faisait pas que du rock, loin de là (avec ce coquin de Lilian Ethève planquant ses boutanches de Johnny Walker dans le gros cornet de son saxo baryton ; les Jokarys (Roger, Choby, Legras, Decotte) prisés tant pour leur excellence musicale que leur tenue très classe ; les Ombres sudistes, devenus les Flashes puis les Générations (Vally/Bardon/Pédro/Guy Taquet/Baptiste)…

Grands bals, bals mariages

Quelques « grands » bals étaient attendus comme si c’étaient des 14-juillet, ceux organisés par différentes associations, corps de métiers, administrations, où il convenait de se montrer… tenue chic exigée !

Ils étaient tous de très haute tenue et on peut les citer sans ordre de préférence.

L’un des plus courus était le bal de l’Ecole normale, à Bellepierre ; c’est là que pour la première fois, Lilian nous fit le coup du saxo-bar. Y sévissait souvent l’AJER, ceci explique cela. Bal de la Douane au Port, avec le Jazz des Îles ; bal de la Gendarmerie à la Redoute ; bal du lycée au Rio… et la boum de Juliette-Dodu où jouait la bande à Dormeuil sinon les Torpilleurs de Jean-Claude Maître.

Là, je peux affirmer sans trop de crainte d’être démenti que nos soirées préférées, nous les musiciens, c’étaient les bals mariages. D’abord, la famille du papa de la mariée veillait au grain ; que personne ne manquait ni de boire ni de manger ; que personne ne foutait le souk pour cause de libations insensées. La sono, dans ces salles décorées de feuilles de coco et de fleurs d’arums, était parfaite, pas un larsen !

Et puis nous, les animateurs de l’estrade, étions traités quasiment comme des dieux vivants. Il y avait, à gauche du podium, la « table des musiciens », avec autant de bouteilles qu’il y avait de joueurs plus nos mascottes.

Les soirs de bals mariages, nous té joué pas sec !

Et comme les musiciens bénéficiaient d’une cote d’enfer auprès de la gent féminine… vous devinez la suite. Dans les bagnoles des joueurs, sur le parking, bien dans le noir, il s’en passait de belles, n’ayant qu’un lointain rapport avec Terpsichore.

 

Le curieux mariage de Loulou Pitou

Que tous ces grands musiciens que j’ai cités n’en prennent pas ombrage : il y en a un, Loulou Pitou, que je considère comme le plus grand, le plus inventif (avec peut-être l’ami Luc), qui inventa notre quadrille et cette façon incomparable de jouer le séga « piqué » à l’accordéon. Comme on dit ici, « in’ façon rentre dans le morceau avec l’élan, le doigt et le coup d’rein « .

Loulou, peu après la guerre, était fauché comme in camaléon l’en train d’fume in mégot. Vint son mariage et là, Loulou voulut offrir quand même une petite lune-de-miel à sa chérie.

Il fit tant et si bien, grâce à sa renommée déjà bien établie, qu’il se fit embaucher pour quinze jours à l’Hôtel des Salazes, à Hell-Bourg.

Il anima les soirées de ce magnifique hôtel durant quinze jours, en échange de quoi sa femme et lui bénéficièrent d’une chambre et des repas à l’œil.

Lui seul, avec son accordéon, fit danser tout le monde, ce qui en dit long sur l’excellence de son niveau musical.

 

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