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Journée internationale des droits des femmes : Le Droit, une affaire de femmes à Saint-Pierre

Alors que la question des droits des femmes devient une problématique incontournable dans la société, ce mouvement est corrélé à un autre phénomène : la féminisation de la justice. Depuis plusieurs décennies, les femmes se sont lancées dans les métiers de la justice, devenant majoritaires dans de nombreuses juridictions. C’est le cas à Saint-Pierre où le mot "justice" confirme qu’il est féminin.

Ecrit par 1776023 – le mercredi 08 mars 2023 à 10H18

Procureure, bâtonnière, greffière et magistrate sont des mots que le correcteur automatique du logiciel qui écrit ces lignes considère comme des fautes d’orthographe. En effet, le féminin de ces métiers du droit n’est pas considéré comme orthographiquement valable, alors que son utilisation est devenue majoritaire. Les métiers féminisés sont d’ailleurs majoritairement utilisés dans nos articles.

Depuis plusieurs décennies, les femmes se sont fait leur place dans les palais de justice de France et La Réunion ne fait pas exception. Au tribunal de Saint-Pierre, 16 magistrats du Siège sur 20 sont des magistrates, comme au greffe. Le Parquet est entièrement féminin, tandis qu’au 1er janvier, le barreau était composé de 69 femmes pour 40 hommes.

Une prise de pouvoir qui n’est pourtant pas intégrée dans l’esprit collectif. « Est-ce que dans les films récents vous ne voyez pas toujours des hommes qui représentent l’autorité ? Dans ce qui est projeté dans les films, je crois que ça reste dans les idées reçues qu’un homme exerce l’autorité », note la procureure de la République Caroline Calbo, qui s’agace de toujours recevoir des courriers adressés à « Monsieur le Procureur ». Une étiquette masculine qui est pourtant dépassée depuis plus de 20 ans. 

L’évolution des femmes dans le droit

Les femmes ont obtenu le droit de plaider le 1er décembre 1900, soit 44 ans avant le droit de voter. Il faudra patienter deux ans de plus pour que, en 1946, « l’un et l’autre sexe » puisse accéder à la magistrature. La parité homme-femme dans la magistrature est finalement atteinte en 2002.

Bien qu’à présent majoritaires, les femmes ne sont pas encore les plus représentées à la tête des tribunaux. Une simple question de temps avant que la tendance ne s’inverse pour Bertrand Pagès, le président du tribunal de Saint-Pierre. « C’est la logique de la pyramide des âges. Sur les plus âgés, il y a une majorité d’hommes et sur les générations plus jeunes, il y a une majorité de femmes. Actuellement, sur les promotions de l’école de la magistrature, on est sur 70% de femmes, voire 80% », indique-t-il.

« Comme beaucoup de professions, la justice est de plus en plus féminine. Du fait de l’évolution de la place de la femme dans la société et de l’accès plus facile à l’université, les femmes ont pu faire des études plus longues et de devenir avocates ou magistrates », explique de son côté Séverine Ferrante, la bâtonnière du barreau de Saint-Pierre. 

L’évolution du rôle de la femme dans la société durant les années 50-60 ans leur a donc permis d’accéder aux universités et au marché du travail. Le choix pour elles de s’orienter vers les métiers du Droit s’est opéré naturellement au fil des décennies. 

Si la perception des femmes incarnant l’autorité n’est pas encore totalement acquise, celle de femmes assurant la défense a par contre bien été assimilée. « Depuis que j’exerce, les justiciables n’ont jamais fait de difficultés d’être défendus par un homme ou une femme. Je n’ai jamais vu de récusation d’avocate pour le fait qu’elle soit une femme. C’est rassurant cette évolution, car la robe n’a pas de sexe. Et ça, le justiciable l’a bien entendu », assure Me Séverine Ferrante.

D’un changement sociétal à un autre

Mais si l’évolution de la société a permis aux femmes d’accéder aux métiers du Droit, ce n’est pas pour autant que les femmes ont pu régler le respect de leur droit. En 2017, le déclenchement du mouvement Me Too a opéré un changement sociétal. La parole s’est libérée et le regard ne pouvait plus être détourné concernant les injustices que les femmes subissent, notamment au niveau des agressions sexuelles et des violences intrafamiliales.

« Il y a une augmentation des plaintes. Je crois que c’est ça qu’il faut souligner. Je pense qu’il y a toujours eu autant de violences intrafamiliales (VIF) dans la société mais que là, enfin, les femmes osent revendiquer leurs droits. Le droit à une sexualité qui est choisie et non subie. Parce qu’à l’occasion des plaintes pour des VIF, il y a des plaintes pour viols et autres agressions sexuelles. Il faut que les femmes puissent revendiquer leur droit sur leur corps. Maintenant, elles osent beaucoup plus car on peut en parler », signale la procureure, particulièrement impliquée contre ce fléau.

Sur la question des VIF, le Parquet de Saint-Pierre a consulté 442 victimes en 2019, contre 4153 en 2022. Du côté des conjoints violents, les déferrements connaissent également une augmentation exponentielle. Alors qu’en 2020, 94 déferrements ont eu lieu, il y en a eu 174 en 2021 et 330 en 2022. Des prévenus jugés plus rapidement au travers de procédures de comparution immédiate, qui ont augmenté de 25%, afin d’éloigner l’agresseur de sa victime le plus rapidement possible.

Une hausse des plaintes qui est une « bonne nouvelle car cela indique un changement de mentalité », pour Me Ferrante, qui ne cache pas que cette augmentation implique une plus forte mobilisation des avocats. « Lorsque nous défendons les parties civiles, nous les accompagnons dans toutes les démarches. Lorsque nous défendons les prévenus, nous assurons notre rôle d’avocat de la défense. Ils ont besoin d’être défendus, c’est notre fonction », rappelle la bâtonnière. 

Une myriade de droits bafoués

Si les VIF et les agressions sexuelles sont malheureusement l’aspect le plus représentatif du non-respect du droit des femmes dans un tribunal, Caroline Calbo tient à préciser que ce n’est pas la seule difficulté que les femmes rencontrent dans la société. « Tout est affaire de discrimination à l’embauche. Est-ce que vous envisagez d’être enceinte ? Bah non si vous envisagez d’être enceinte. C’est ce qui est en lien avec des salaires moins importants. Contrairement à Monsieur qui est là tout le temps, qui ne fait pas forcément un boulot plus efficace, mais qui a une vraie présence, alors que Madame va peut-être devoir rentrer plus tôt pour s’occuper des enfants. Alors qu’ils font le même travail ». Les Prud’hommes peuvent donc avoir à traiter des questions autour du droit des femmes.

L’autre point sur lequel un tribunal peut avoir à faire respecter le droit des femmes concerne les affaires familiales. Si de base « une séparation se fait dans un cadre égalitaire et n’affaiblit pas le droit des femmes, il peut y avoir des situations compliquées »; souligne la bâtonnière. Ces cas concernent notamment les situations de violences qui nécessitent des mesures de protection pour les femmes qui doivent être demandées dans l’urgence. 

Malheureusement, ces ordonnances de protection ne concernent pas les enfants, même pour un père maltraitant. Le temps de la procédure pour leur retirer sa garde et protéger les enfants, les mères doivent toujours remettre les enfants aux pères pour leur droit de visite. Certaines femmes ayant peur de laisser leur enfant à leur ex-conjoint violent préfèrent éviter de le lui remettre. En s’opposant à une décision de justice pour le bien des enfants, elles peuvent se retrouver elles-mêmes poursuivies. 

« Le droit des femmes est compliqué », conclut Me Séverine Ferrante. Un avis partagé par la procureure Caroline Calbo qui garde cependant l’espoir avec les nouvelles générations.

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