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Jim Morrison

Au cours de mes obligations militaires. Nous étions une quinzaine d’appelés dans la chambrée. Durant l’espace de deux mois le commandement nous coltina un engagé sans grade tellement il buvait. Il en avait prix pour cinq ans d’engagement. On l’appelait la rampouille. C’était pour lui cette condition obligée ou la prison dans le civil car […]

Ecrit par gilles.laravineblanche@orange.fr – le lundi 10 août 2009 à 09H13

Au cours de mes obligations militaires. Nous étions une quinzaine d’appelés dans la chambrée. Durant l’espace de deux mois le commandement nous coltina un engagé sans grade tellement il buvait. Il en avait prix pour cinq ans d’engagement. On l’appelait la rampouille. C’était pour lui cette condition obligée ou la prison dans le civil car il avait braqué une petite vieille pour lui voler son sac. Il picolait le jour, somnambule la nuit.
En plein sommeil il est venu pisser sur le bord de mon lit. Réveillé opportunément à deux heures du matin. À peine il commença, dans un sursaut de défense je lui envoyais un coup de pied dans les parties. Il retourna au padoque faire dodo. Au petit matin je le scrutais discrètement, j’avais un peu peur des représailles mais à première vue il ne se souvenait plus de rien.
Dans la chambre, j’ai choisi le plumard que personne ne voulu car placé au bord de la fenêtre. Le rebord me servait de desserte, j’y mis le petit poste de radio, mes livres. Pas de double vitrage, en hiver la froidure nous tenaille les tripes. L’Alsace n’a rien à voir avec le climat sous les tropiques. Heureusement c’est un froid sec. Supportable à vingt ans, à l’aise. J’étais bien, c’était le seul lit à ne pas être superposé.

Je souffrais d’une réputation à part, accusé comme déserteur. Je me suis présenté trois semaines en retard, trop pris dans le tourbillon de la vie d’artiste en tous genres avec mes copains pas loin de la rue Quincampoix et mes potes de Caen. Julien Clerc chantait la Californie. Hair touchait à sa fin. Rue Rambuteau je croisais Miou-Miou.
J’habitais au sixième étage sans ascenseur d’un joli immeuble ancien, rue des Francs-bourgeois à Paris. La propriété de ma compagne Noëlle, elle avait deux fois vingt ans, belle comme Marie La Forêt. 69 année érotique, mini jupe et bottes Courrèges. Elle m’a énormément appris. En amour je lui dois tout. Chaque matin c’était Noëlle au jour de l’an itou. Poétesse un peu. Top model beaucoup avec chauffeur. Paris by night aussi. Sur les Grands Boulevards, j’ai vu les débuts de Rémy Bricka l’Homme Orchestre chantait au côté du dessinateur à la craie sur le large trottoir, des pièces de dix balles partout autour de la corbeille, elle débordait.
À table au drugstore des Champs-Élysées, Jacques Dutronc désinvolte comme d’habitude est venu saluer ma belle sans mot dire en relevant ses Ray ban d’un geste. Gracieux il fît demi-tour en fredonnant « Un gamin de Paris ». La classe. L’époque ne connaissait pas la crise. J’avais souvent la bonbonnière des Francs-bourgeois pour moi seul.

Désertion, refus de porter l’uniforme, grève de la faim et cheveux longs. Pas la peine d’en rajouter. Mes comédies d’idées courtes n’ont pas convaincu le Colonel que je cherchais à duper pour me faire réformer. En bon père de famille il m’aura convaincu à l’obéissance pour ne pas m’envoyer dans un camp disciplinaire spécialisé aux objecteurs de conscience à Fort d’Aiton.
– Tu me fais de la peine j’ai un fils de ton âge ! Tu vois cette feuille de papier j’ai juste à mettre ma signature au bas et tu pars dans moins d’une heure pour deux ans en prison, tu mangeras et dormiras avec les rats !
Totoche ! Je réalise tout de suite que la plaisanterie avait assez duré.
– J’accepte Monsieur ! Marmonnais-je timidement du haut de mes vingt ans.
Un beau sourire affiché au milieu du visage. Ravi d’avoir bataille gagnée qui n’amusait plus personne depuis plus de huit jours. Comme papa il connu la guerre.

Une révélation pour moi. J’eus la preuve ce jour là qu’il valait mieux avoir à faire au bon dieu qu’à ses saints. Nous traversâmes dans toute sa longueur l’interminable cour déserte de la caserne. Le Colonel tenait sa main droite sur mon épaule droite. La stupeur des soldats torse nu les pieds sur la table, la bière à la main, le cheveu hirsute, le haut parleur du poste hurlait Brown Sugar à tue-tête. Panique à bord quand ils ont vu le chef du régiment débouler sans crier gare dans le centre d’habillement à trois heures de l’après-midi. Un petit gradé débraillé et tremblant a bien failli s’étouffer, bancal sur ses jambes il bégaya un garde-à-vous à peine audible. Je ne comprenais rien mais c’était comique.
– Repos ! Donnez-lui ce qu’il y a de mieux !
Puis il disparu. Mon orgueil de révolté, rebelle et provocateur en pris un coup. Je fus vexé d’avoir eu à faire à quelqu’un de bien. Le Colonel Leguyader.
Deux superbes treillis satin pour moi tout seul. Une magnifique paire de Rangers rôdée aux conditions voulues parfaitement cirée car les neuves font mal aux pieds. Les gars encore sous le choc :
– Tu veux boire un coup ?
– C’est pas de refus ! Dis-je hébété dans ma nouvelle tenue.
Jaloux mes compagnons de section ont cru que je sortais de chez Pierre Cardin. Et la chemise de Ted Lapidus.

Plus tard après avoir sommairement appris les bonnes manières militarisées car j’avais raté les classes. Rentrant d’un de nos nombreux raids d’endurance, au minimum 35 km à pied, le sac à dos bondé de feuilles de journaux chiffonnées, un leurre pour faire croire au barda. Rangers aux pieds, le casque lourd, fusil en bandoulière. Chemin faisant je cueilli quelques fleurs sauvages soigneusement enveloppées dans le papier journal préalablement humidifié pour préserver la fraîcheurs des fragiles pétales. Rentré au bercail je les mis dans un bocal de nescafé rempli d’eau posé sur le rebord de la fenêtre. Ce petit agrément me fit oublier rien qu’un instant seulement l’austérité de la caserne. Ce jour là le petit transistor m’annonça la fin tragique de Jim Morrison.

Le soir même le sergent-chef de mes fesses est entré en faisant voler la porte. Tout le monde au garde-à-vous. Des boites de sardines et de pâté gisaient sur l’imposante table en chêne placée au plein milieu de la pièce. Le semi gradé dans un élan d’excès d’autorité les yeux exorbités face à mon joli pot de fleurs. La voix éraillée qui sentait la choucroute et le mauvais schnaps de contrebande s’égosilla :
– Ah le PD !
Deux mondes, deux cultures.

Gilles Bayet de la Ravine Blanche.

 

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