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Jean-Louis Deshaies: « Seul un professionnel bien traité peut être bien traitant »

Son oeil averti d'ancien directeur d'établissement social fait de lui un intervenant régulier auprès des établissements recevant des publics à la prise en charge spécialisée. Jean-Louis Deshaies était dans notre département la semaine dernière où il revient régulièrement. Conseil général, EHPAD, établissements sanitaires et médico-sociaux… font appel à lui pour rétablir des situations apaisées entre usagers et accompagnants/soignants, entre directeurs et personnel, voire entre agents, lorsque des non-dits paralysent l'institution. Un travail autant préventif que curatif sur un sujet tabou : celui de la maltraitance de pensionnaires déjà vulnérables.

Ecrit par zinfos974 – le lundi 13 juillet 2015 à 18H03

Jean-Louis Deshaies, présentez-nous votre parcours
J’ai travaillé 5 ans à la Caisse des dépôts et consignations. Je me suis rendu compte que j’avais mieux à faire que cocher des grilles et donc je suis devenu éducateur spécialisé puis chef de service. J’ai commencé dans le secteur de la délinquance dans un premier temps, puis après dans les ITEP (anciennement Institut de rééducation) en Maine-et-Loire, avec des jeunes ayant des troubles de la personnalité. Et j’ai pris la direction d’une MECS (Maison d’Enfants à Caractère Social) dans le Béarn. On avait un foyer à Lourdes mais j’étais plus en lien avec le commissariat qu’avec la grotte (rires). On recevait 2/3 de jeunes en alternative à l’incarcération. Ça été une expérience riche, formatrice mais sans doute aussi éprouvante. Après cela, je suis revenu dans mon Maine et Loire où j’ai pris la direction d’un foyer d’hébergement et d’accompagnement à la vie sociale pour des personnes en situation de handicap.
 
Quel a été le déclic pour devenir formateur de directeurs et de cadres ?
 J’ai constaté un mépris des droits fondamentaux des personnes qui étaient plus considérées comme des objets que des sujets. Ça ne voulait pas dire qu’il y avait de la maltraitance physique active, c’était insidieux. C’est là que j’ai pris conscience d’un certain nombre de réalités. Et puis les personnes vulnérables sont celles qui se plaignent le moins. Dans ma dernière expérience dans le Béarn, il y avait énormément de violence, de la violence entre usagers, mais aussi entre professionnels eux-mêmes. C’était ma première approche dans la démarche qualité…
 
Justement, c’est ainsi que vous avez réagi dans vos propres services ?
On a mis en place cette démarche qualité. On a même envisagé de prendre en compte le cadre bâti autour de ces questions de violence puisqu’avant, les usagers pouvaient être trois dans un appartement, sans vraiment qu’ils aient le choix, comme si nous, on pouvait vivre avec n’importe qui. En clair, le gîte et le couvert étaient garantis mais pas le projet de vie.
 
Des pensionnaires traités comme des objets, n’est-ce pas exagéré ?
Malheureusement, et même si les nouvelles lois ont contribué à améliorer le regard sur les personnes, il y a encore des héritages d’une forme de toute puissance, y compris de certains professionnels. Cela concerne aussi bien les centres accueillant du public en difficulté sociale, avec un handicap ou ceux qui sont dépendants du fait de leur grand âge.
 
La réponse doit venir de qui ?
Les professionnels sont en capacité d’évoluer à condition qu’au niveau des directions on considère ça comme une priorité. Je dis souvent que seul un professionnel bien traité peut être bien traitant.
 
Les directeurs d’établissement doivent penser à tout. Ils doivent aussi rendre des comptes aux administrateurs…
Aujourd’hui on dit qu’il y a une raréfaction des moyens financiers. C’est une réalité mais il ne faut pas que ça soit l’arbre qui cache la forêt. Commençons par bien utiliser les moyens et à rendre compte de leur utilisation. Il y a une volonté du côté de l’ARS ici mais il faut que ça soit une volonté partagée.
 
A quel(s) niveau(x) peuvent intervenir les blocages ?
Le directeur c’est le chef d’orchestre. Chacun doit jouer son rôle et on peut penser que le travail d’équipe fera la différence. Il faut que la gouvernance fonctionne sur des bonnes bases. Que la parole soit libérée. Pour quelle le soit, il faut que le cadre soit bien posé et c’est la direction qui garantit le cadre.
 
Vous intervenez à titre préventif ou curatif ?
Les deux ! J’intervenais peut être plus ces dernières années en amont, à partir de ce qu’imposaient les lois, en faisant des évaluations, en accompagnant les établissements dans leur projet. Et plus récemment, j’interviens plus dans les phases de conflit, voire de crise.
 
Le personnel et les familles des patients ont-ils leur mot à dire ?
Les familles des pensionnaires sont aussi impliquées. Que ce soit en amont ou pendant la crise, ma démarche part du principe que ça ne peut être qu’à partir des regards croisés des uns et des autres qu’on peut poser un état des lieux et pas forcément que ça soit la direction qui dise que c’est ça qui ne va pas ou que ça soit des syndicats qui le disent.
 
Comment intervenez-vous ?
Il y a trois phrases qui résument ma démarche. La première : seul un problème bien posé peut être résolu. En deux, il n’y a pas de petite difficulté pour celui qui l’a vit. Enfin, et c’est capital : il n’y a pas de noblesse de fonction. C’est-à-dire que la vérité, si tant est qu’il y ait une vérité de parole, n’est pas proportionnelle au nombre d’années après le bac. Il y a le bon sens sur le terrain. Le surveillant de nuit qui est confronté seul à des toilettes qui n’ont pas été nettoyées par la personne qui en était en charge à la fin de la journée, ça peut amener à des conflits. Hormis le personnel accompagnant des établissements, il y a les surveillants de nuit, les maîtresses de maison jusqu’aux secrétaires, toutes ces personnes ont des observations pertinentes à faire partager.
 
Le regard du simple employé a autant d’importance que celui du chef ?
Oui. Il y a trois avantages dans cette démarche des regards croisés. Chaque personne écoutée va pouvoir vérifier qu’elle a été écoutée. Le deuxième c’est que chacun va pouvoir relativiser son point de vue en découvrant ceux des autres. Et le troisième qui, malheureusement, n’est pas toujours compris des directeurs, c’est qu’ils ont tout à y gagner parce qu’ils auront montré leur capacité à accepter la confrontation. Les établissements qui sont dans cette logique là, ils ont un avenir devant eux, ils peuvent générer de la sérénité. Ce directeur là, il est légitimé ! Celui qui est autoritariste, il ne peut pas être apprécié en tant que pilote chef d’équipe. Si on est dans le camouflage, ça ne marche pas.
 
Ce sont vos responsabilités passées de directeur qui vous disent comment intervenir aujourd’hui ?
Je ne me pose pas en donneur de leçons parce que j’ai été directeur d’établissement. J’ai été aussi confronté à des difficultés. Je n’ai pas été plus brillant que d’autres pour les résoudre. Je sais par expérience qu’il y a des possibilités de sortir des ornières à condition de s’appuyer sur le bon sens, la considération de la personne et la volonté de promotion de l’humain.
 
Comment se situent les établissements de La Réunion par rapport au national ?
J’ai trouvé, quand je suis venu pour la première fois en 2005, que La Réunion était en avance par rapport à certains établissements de métropole, notamment au niveau des outils et des droits des usagers. La petite différence, peut être, c’est qu’il y a une hyper hiérarchisation des fonctions et des statuts qui fait que 1 : le chef a raison et que article 2 : si le chef a tort, il a toujours raison. Et ça, ça me paraît être une contre indication aux évolutions collectives.

Votre reconversion dans un cabinet consulting est-elle bien perçue ?
Pas toujours, les gens croient que les cabinets se font … en or. Quand j’ai commencé à être consultant, je gagnais moins que ce que je gagnais comme directeur donc ça c’est la réalité. Je crois au contraire qu’on me fait confiance grâce à ce double parcours justement.
 
Etes-vous redouté des directeurs ?
Il y en a qui font appel à moi 4 ou 5 ans après, qui m’avaient contesté pendant la formation et qui finalement, mesurent que oui, c’est un passage obligé pour avancer. A La Réunion, j’ai le souvenir d’un directeur qui avait passé commande par simple obligation réglementaire. Il ne pensait pas que mon analyse allait mettre sur la table des questions de fond. Il ne m’avait pas fait une publicité très flatteuse disons…(sourire).
 
Et des syndicats ?
Je me souviens d’un tract intersyndical en métropole, en Indre et Loire, où j’avais été accueilli le premier jour par : « non, à Jean Louis Deshaies, non à la marchandisation du social ». Je suis pour qu’il y ait du dialogue social mais on voit aussi que – et c’est quelque chose à dénoncer – dans beaucoup d’institutions les syndicats ont un pouvoir absolument phénoménal. Ça vient travestir la cohérence de tous les niveaux de décision et de pilotage. Attention, je suis pour les organisations syndicales (JL Deshaies était lui-même délégué syndical, ndlr) mais quand c’est les organisations syndicales qui en arrivent à choisir tel ou tel intervenant ou à refuser tel ou tel directeur qui va être nommé – j’exagère à peine – là ça devient préoccupant. Il y en a qui sont dans l’abus de fonction. C’est ça le problème, les gens ne restent pas à leur place.
 
Les établissements sont pourtant soumis à des évaluations aujourd’hui ?
Tout ce qui concerne l’évolution des évaluations me fait un peu mal au cœur parce que d’une intention de départ qui était noble – mettre des établissements en situation d’évaluer pour évoluer, ce qui était très bien – on en est rendu aujourd’hui à une évaluation quasi essentiellement normative. Il suffit simplement que les lumières marchent bien, on note un peu sous forme de QCM, et on évacue complètement le domaine qualitatif de l’évaluation. J’ai tellement vu d’établissements qui ont la norme ISO alors que c’était pitoyable au niveau de la qualité des relations humaines, avec les usagers et les professionnels… Pourtant, ces établissements étaient normés !

« Briser l’omerta » aux presses de L’École des hautes études en santé publique [ www.presses.ehesp.fr]urlblank:http://www.presses.ehesp.fr/
 

 

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