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Il va nager pour montrer qu’il n’y a pas de risque requin

Didier Dérand est délégué de la Fondation Brigitte Bardot à la Réunion. Jusqu'ici il ne s'était "pas impliqué dans la polémique qui fait rage depuis un an et demi s'agissant des attaques de requins sur des surfeurs". Une position qui a bien changé. Il a en effet envoyé un courrier aux média dans lequel il donne sa point de vue et, surtout, annonce que "dans la mesure de mes possibilités physiques et de conditions météo acceptables - j'ai l'intention d'accomplir dans les semaines à venir quatre traversées en mer dans la réserve marine et au large des communes concernées par les derniers accidents ou alertes requins : Saint-Paul, Trois Bassins, Saint-Leu, Etang-Salé. Si après ça le bonhomme est encore vivant et entier, la population pourra juger sur pièces…". Voici son courrier intitulé: "Allons nager pou défend nout patrimoine ek ban réquins !"

Ecrit par zinfos974 – le jeudi 16 août 2012 à 17H30

« Je ne m’étais, jusqu’à présent, pas impliqué dans la polémique qui fait rage depuis un an et demi s’agissant des attaques de requins sur des surfeurs.
Mais devant la propagande outrancière diffusée, de façon parfois violente, par certains groupes de pression, surfeurs très « remontés », nombre de pêcheurs, chasseurs sous-marins et braconniers, voire même des élus dont un député-maire victime (le pôvre !) d’une « médiatite » obsessionnelle, il n’est plus possible de rester silencieux.

A partir du moment où, dans une démocratie digne de ce nom, une poignée de pratiquants d’une banale activité nautique (fut-elle sportive, même de haut niveau) prétend imposer sa loi et ses vues à 850 000 réunionnais – à priori détenteurs de droits identiques, et dont la vie devrait avoir la même valeur – j’estime qu’il y a en effet un problème sérieux.
Surtout quand l’Etat, à son plus haut niveau (ministère de l’outre-mer, préfecture) se fait ouvertement complice de cette mascarade, par une reculade permanente.
En tant que réunionnais, je dirai donc désormais publiquement ce que je pense.

Nous sommes actuellement confrontés à une situation où une grande partie de la population réunionnaise, littéralement intoxiquée par le battage médiatique constant entretenu autour de cette affaire, est terrorisée à la seule idée de se baigner ou de pratiquer une quelconque activité en pleine mer. Ce sentiment s’étend encore plus aux touristes – peu connaisseurs de l’océan et souvent mal informés – avec les conséquences que l’on sait pour l’économie locale.
Je suis né à la Réunion, il y a 55 ans. Chef d’entreprise, deux petites filles de 11 et 14 ans que j’adore. Et je ne pense pas être un fou furieux.
La mer, je suis tombé dedans quand j’étais petit, comme Obélix dans sa marmite de potion.
Voilà 45 ans que je nage en pleine mer tous les jours, que je plonge en bouteilles ou en apnée, 30 ans que je pratique le bodysurf, le tout entre Manapany et Boucan Canot.
En 45 ans, je n’ai vu des requins que trois fois. Les deux premières fois en bouteilles à la Pointe au Sel : deux pointes blanches sur 45m de fond ; un banc de 7 requins-marteaux sur 25m. La troisième fois, en natation sur 15m au large de Manapany : un gros bouledogue.
A chaque fois, la panique et la débandade : impossible de les approcher. On aurait dit des souris blanches nudistes débarquant par erreur sur une plage réservée aux chats…

En tant qu’écologiste convaincu, en tant que surfeur, j’ai évidemment longuement réfléchi aux causes de ces accidents répétés sur une période relativement courte.
Je ne prétends pas détenir la vérité. Je ne suis spécialiste de rien. Et je n’ai de leçons à donner à personne, surtout pas. Je m’exprime simplement au vu de mes 45 ans d’expérience en pleine mer à la Réunion. Les requins, à dire vrai, je les ai très souvent cherchés. Jamais trouvés.
Les hypothèses sont multiples, elles ont déjà été énoncées : diminution de la ressource halieuthique au large (nourriture des requins), pollution des eaux côtières par des rejets organiques (eaux usées, décharges), turbidité accrue du fait d’apports terrigènes (érosion et ravinement des pentes), présence des baleines (volumes importants de sang, placenta et liquides amniotiques rejetés à la mer lors des naissances), imprudences des pratiquants, surpopulation chronique sur les spots de surf, etc….

Mais le problème majeur à mon sens, pour les surfeurs en planche, est leur comportement en surface et l’image qu’ils donnent aux prédateurs éventuels :
1) vu d’en dessous, un surfeur qui attend la vague au repos sur sa planche, avec ses 4 « nageoires » qui dépassent, ressemble à s’y méprendre à une tortue marine en train de respirer à la surface. Les tortues sont les proies favorites de certaines espèces de requins, en particulier le requin tigre, présent à la Réunion et déjà impliqué dans des accidents. Et le moment où une tortue doit venir respirer en surface, la tête hors de l’eau, est probablement celui où elle est le plus en danger dans toute son existence marine. Car elle se trouve alors totalement aveugle vis-à-vis de ce qui peut venir d’en dessous, de l’océan. Le requin le « sait », bien entendu…..
2) que ce soit lorsqu’il démarre la vague, ou lorsqu’il la remonte surtout quand il tente d’échapper en urgence à une grosse série qui déferle, le surfeur a, inévitablement, un comportement de nage « frénétique ». Et ses va-et-vient en surface n’arrangent pas les choses. Il est alors perçu comme un animal marin avec un comportement anormal, probablement en difficulté (malade ou blessé) donc proie potentielle susceptible d’être attrapée facilement.
A mon sens, toutes les attaques relèvent donc à la base d’une erreur de « jugement ».

Partant de là je pense :
que tous ces accidents sont un problème spécifique aux surfeurs en planche. Et que par conséquent ils doivent trouver, à leur niveau, avec la participation éventuelle des communes et de l’Etat, la solution à leur propre sécurité. Les baigneurs, nageurs, plongeurs, voire bodysurfeurs, n’ont à mon avis rien à craindre des requins.
que la mise en cause systématique de la réserve marine en tant que « garde-manger » pour les requins est une vaste opération de propagande diligentée avant tout par ceux qui y trouvent un intérêt financier ou politique : les pêcheurs et certains maires (liberté d’action sur « leur » littoral, hors de tout contrôle). Et il est navrant de constater que nombre de surfeurs ne se rendent même pas compte à quel point ils sont manipulés, à quel point certains indélicats surfent sur la mort des leurs…
que les requins ne sauraient être tenus pour « responsables » dans cette affaire. Ils sont chez eux : en mer, nous ne sommes que des intrus. Ils font leur « boulot » de super-prédateurs : ils ont été conçus pour ça. Ils ont le droit au respect, comme tout être vivant. Et leur élimination programmée par l’Etat est une infamie !

Comme le disait très justement un journaliste, il y a désormais à la Réunion 850 000 spécialistes des requins. Je m’en aperçois moi-même tous les jours. Vous pourrez dire ou écrire ce que vous voulez : la plupart des gens sont désormais convaincus que la mer c’est dangereux, que les requins sont partout, et qu’ils attendent la gueule ouverte à la surface que les touristes et les surfeurs viennent se jeter dedans (une image bien sûr, mais pourtant à peine exagérée). Et rien ne les fera changer d’avis, surtout ceux qui ne connaissent pas la mer : les plus catégoriques, ceux qui parlent le plus fort, ceux qui auront raison de tout façon, sont souvent ceux qui n’y mettent jamais les pieds.
Sachant qui plus est que les écologistes sont sans cesse accusés par les surfeurs – « seuls à braver l’océan » selon une réthorique désormais classique – de parler sans savoir et sans jamais risquer quoi que ce soit, je ne vois qu’une solution pour tenter de convaincre la population et, éventuellement, les pouvoirs publics : aller au charbon soi-même.

Par conséquent je vous informe que – dans la mesure de mes possibilités physiques et de conditions météo acceptables – j’ai l’intention d’accomplir dans les semaines à venir quatre traversées en mer dans la réserve marine et au large des communes concernées par les derniers accidents ou alertes requins : Saint-Paul, Trois Bassins, Saint-Leu, Etang-Salé. Si après ça le bonhomme est encore vivant et entier, la population pourra juger sur pièces…
Première étape : de Roches Noires à Boucan (4km300), RV dimanche 19 août, plage de Roches Noires à 10h30.
Les sportifs confirmés qui veulent se faire une opinion objective de la réserve marine et de ses très nombreux requins sont les bienvenus (palmes, masque  et combinaison conseillés).
Pour ceux qui prendraient la responsabilité de se joindre à moi j’insiste lourdement sur un point capital : il n’y a aucune organisation, aucun organisateur, aucune sécurité. Outre la fatigue et le froid, cela peut être dangereux. Si vous venez, c’est votre propre décision : vous êtes adultes, vous êtes responsables, et vous prenez vos risques ! Un point, c’est tout.
Il est hors de question pour moi qu’en sus du reste, je puisse me retrouver en prison parce qu’un amateur n’aura pas su juger de ses propres compétences. Alors à bon entendeur, salut.
Bien évidemment je m’engage par contre – par conviction personnelle comme par obligation légale – à « porter secours à personne en danger ».

Didier Dérand
Délégué de la Fondation Brigitte Bardot
Ordre National du Mérite au Titre de l’Environnement. »

 

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