Ce dernier dimanche de mars, dans la matinée, on a cru qu’un grand coup d’orage éclatait dans le ciel de l’Est. Il n’en était rien.
C’est notre ami « Ti-Jean » qui, avant de rejoindre sa gare de départ pour l’autre-part, nous rappelait qu’il restait avec nous, en nous, avec ses grands coups de baguettes magiques. Ces mêmes baguettes de génial drumer qui l’ont aidé à charmer nos âmes, bien des décennies durant.
« Ti-Jean » Ébrard n’a jamais vraiment rien fait comme tout le monde… Alors que son grand frère, l’immense artiste que demeure Roger-la-classe, une des figures de proue des Jokarys, commençait à taper sur des cartons avant que de fabriquer ses propres fûts (dans des cartons à chapeaux !), Jean ne semblait pas trop s’y intéresser. Curieux, me direz-vous ? Effectivement.
Peut-être attendait-il son heure, va savoir ? Mais lorsqu’il la trouva, aussi…
En ces époques glorieuses des sixties, nous allions écouter nos idoles à l’entrainement, l’AJER, les Jokarys, les Chats Noirs à Joinville. Au sein de ce dernier groupe, il y avait un batteur absolument fabuleux, « Pépère », le rondouillard, le jovial Philippe Personné. Ce dernier nous ébahissait, capable d’exécuter le « Little B » de Brian Bennet, « ran-pour-plan », sans la moindre milli-seconde de décalage.
Lorsque Pépère décida de rejoindre les rangs du Jazz-Club en gestation, il fallut bien songer à lui trouver un remplaçant. Quelqu’un qui fût assez audacieux, téméraire mais talentueux aussi pour reprendre les baguettes sans rougir.
Ce fut Ti-Jean. Ce ne pouvait être que Ti-Jean.
On vit alors débarquer à Joinville un Ébrard moins grand que l’autre, au style totalement différent. Mais si Ti-Jean a été plus impétueux, plus nerveux que Roger, ne comptez pas sur moi pour vous dire si l’un était meilleur que l’autre ! L’un était (et est toujours) « la classe ». Et l’autre « la fougue » peut-être ? Qu’est-ce qu’on s’en tape !
Après plusieurs années de bons et loyaux services chez les Chats Noirs, Jean apporta son concours et tout son talent à bien d’autres formations rock ou orchestres, y compris dans le domaine très réservé du jazz.
Je ne sais si c’est l’effet d’une mémoire quelque peu branlante avec l’âge, mais il y a un souvenir qui me hante… Je « vois » comme si j’y étais, Ti-Jean délaissant un instant ses caisses claires et autres cymbales pour s’emparer du micro et nous donner un « Only you » des plus convaincants. Peut-être Roselyne, l’adorable chanteuse des Chats, pourra-t-elle nous éclairer sur ce point ?
Là où ma mémoire ne se trompe pas, c’est lorsque je vois un Ti-Jean souriant, affable, répondant aux questions oiseuses sans se gourer de tempo, avec l’éternelle bonne humeur le caractérisant.
Vous imaginez un peu le magnifique orchestre jouant là-haut ? Si ! Tendez bien l’oreille et vous reconnaîtrez Luc et Jules au violon ; Tarby à la clarinette ; Julot, Loulou et Claude à l’accordéon ; Benoîte, Maxime et Michel au micro ; Madoré et Ti-Basson à la guitare ; René au piano ; Péters marquant la mesure… soutenus sans relâche par les frappes fermes et claires de Ti-Jean. Qu’est-ce qu’ils doivent s’éclater, ces amis chers.
Ti-Jean s’en est allé le jour du vendredi saint, l’avant-veille du jour des poissons farceurs.
C’était tout lui, ça, nous faire une dernière blague, car c’était bien dans son tempérament de s’en aller sans pleurs ni grincements de dents ; plutôt en chansons et en sourires.
Salut, l’artiste et ami, tu conserves une place privilégiée dans nos coeurs.
À ta famille, tes amis, tes milliers d’admirateurs, nous présentons notre sympathie émue.