Un certain 7 décembre 1848, Joseph Napoléon Sébastien Garriga dit « Sarda-Garriga » (association du nom de sa mère Marie Garriga et de Gaudéric Sarda), terminait son tour de l’île. De retour dans la ville de Saint-Denis au pont du Butor, il mettra pied à terre salué par des salves d’artillerie, au milieu des fanfares et des acclamations. Gustave Manès, le maire, est là, ainsi que tout son conseil municipal. Là également, la milice et les officiers de l’armée. Tous le saluent, le félicitent. La population et les autorités l’avaient accueilli en liesse.
Dans sa réponse, Sarda se laisse entraîner par l’enthousiasme général et déclare “ Ambitionner le titre de Créole… ” comme un certain Michel Debré des années plus tard.
Il devait faire face à une révolte d’étudiants, contre le proviseur Drouet qui leur avait inculqué des idées progressistes, une première dans les annales de l’Ile Bourbon.
Puis arrive le 20 décembre, l’abolition fut célébrée, après une messe à la cathédrale, saluée sur la place de la Préfecture par 21 coups de canon. Le peintre Potemont a immortalisé la cérémonie, place de la Préfecture. Le soir venu, sur la place du gouvernement, les “ libérés ” vont danser avec allégresse le séga-maloya de la Liberté.
Le lendemain chacun sera à son poste de travail. Une seule journée de repos et de fête, dans le calme et la dignité, aura marqué cette émancipation de 62251 esclaves, aussi attendue des uns que redoutée des autres. Et surtout aucune goutte de sang ne fut versée.
« Vous êtes libres. Tous égaux devant la loi, vous n’avez autour de vous que des frères » disait Sarda…
Le message passé était très simple à savoir, il n’y a pas de liberté sans travail, sans toit, sans ressource, sans soins et le ventre vide. : « La liberté élève le travail à la hauteur d’un devoir », disait Sarda.
Jean-François Samlong résume bien le personnage Sarda dans son livre « Il était une fois Sarda-Garriga » éditions Jacaranda, Juin 2009:
« J’ai été heureux de croiser ce doux révolutionnaire sur ma route. Au vu de ce qui s’est passé dans l’Ile, et surtout à lire et relire ce que cet homme a écrit durant ces années (hors prisme déformant d’une idéologie de droite ou de gauche), nul ne peut défendre avec beaucoup de sérieux l’idée que SARDA ait trompé les réunionnais.
Comme il l’a dit lui-même, il a jeté les esclaves dans la voie de la liberté, et la colonie dans la voie de la prospérité. Et après, qui peut prétendre maitriser les aléas de l’Histoire ?
Même si des rues et des places portent son nom à la Réunion, Sarda-Garriga, quarante-huitard inconnu, reste un personnage secondaire de la Deuxième République. Il est temps aujourd’hui de découvrir ce libérateur d’esclaves, puis geôlier de forçats et de déportés politiques qui voyait dans tous les hommes Noirs ou Blancs des citoyens du peuple français. »
Mesnil-sur-l’Estrée, 12 février 1987
Le manuscrit de Monsieur Jacques Denizé sur la vie exceptionnelle de Monsieur Sarda-Garriga a bouleversé ma propre vie. Mon voyage à l’Ile de la Réunion -trop court- a largement contribué à m’éclairer sur ce personnage de légende et cependant, tellement homme, avec ses faiblesses et ses qualités humaines.
Les éléments que j’ai obtenus à Saint-Denis, à Saint Paul, à Saint André, à la Possession, etc… des villes où le souvenir de Sarda est bien vivant, des villes où, plus qu’ailleurs, l’esclavage a marqué les esprits, me permettent aujourd’hui de mieux connaître l’homme et son action, à la Réunion principalement. C’était, et je pèse mes mots, ma cathédrale d’humanité.
Il était républicain dans l’âme comme le sont souvent les catalans et d’un patriotisme viscéral. Sa pensée était cohérente, souvent dépassée par ses paroles, mais toujours d’une rigueur morale surprenante.
Il était républicain, aimait l’ordre, mais détestait les atrocités gratuites.
Au moment de la Commune de Paris, il disait lui-même qu’il en acceptait les faits mais non les « boucheries » exécutées des deux côtés.
On comprend mieux, alors, son comportement dans le cadre de l’émancipation de l’Ile de la Réunion. D’aucuns ont dit qu’il était ambivalent, mais une relecture des évènements met en évidence un rôle de médiateur difficile. Comment plaire aux uns sans déplaire aux autres. Il faut se remettre en « situation ». C’était mission impossible ! Et pourtant, dans les dix-neuf mois que dura son séjour sur l’île, il gagna l’affection des esclaves et le respect des colons.
Les témoignages recueillis, pour une large part, émanant des deux « communautés », font ressortir les mérites de cette médiation ; bien sûr, il y a toujours des irréductibles. J’ai rencontré de ces réunionnais qui n’ont jamais fait le deuil de leur tragique histoire. Mes études latines et grecs me permettent d’insister qu’il en ait toujours été ainsi.
La mémoire est sélective et ne retient que les effets coupables. A ce titre le témoignage de Jolibois, du curé Mary et de Koqueman est révélateur. Sarda a toujours su que sa mission même réussie, ne pouvait être qu’illusoire.
Henri Mathieu
UN SIMPLE RAPPEL D’UN PAN D’HISTOIRE DE NOTRE ILE AU MOMENT OU AILLEURS ON RENVERSE DES STATUES DONT CELLE DE SCHOELCHER, PERE DES DECRETS DE L’ABOLITION DE L’ESCLAVAGE ;
Rappelons que Victor Schoelcher préconisait :
- L’extension des indemnités aux anciens esclaves
- L’attribution d’une parcelle de terre aux anciens esclaves
- L’expropriation des terres usurpées par les planteurs depuis le début de la colonisation.
Les amendements de Schoelcher en faveur d’une indemnisation des anciens esclaves sont rejetés et la loi d’indemnisation votée un an après le 30 Avril 1849 décide d’indemniser les seuls colons et reste silencieuse sur les victimes.
Ce qui a conduit Victor Schoelcher à démissionner de son poste de sous- secrétaire d’ETAT aux colonies.
Comme chaque année, la stèle de Sarda-Garriga sera fleurie au Barachois le 20 décembre, dans le respect des règles sanitaires et sa mémoire honorée par l’association « Les amis réunionnais de Sarda-Garriga » dont j’ai l’honneur d’être président.
C’est aussi ma façon de le remercier d’avoir le 20 décembre 1848 enlevé les chaines de la servilité à deux aïeux, père et fille esclaves d’origine indienne, colonne vertébrale de la famille Lucas dans cette ile de la Réunion.
Jules Lucas