Nous sommes tous dévastés depuis que nous avons appris la fin d’André. Un des hommes les plus talentueux, les plus gentils, des plus chaleureux, des plus souriants de notre univers musical. J’en donnerai une seule preuve…
André, souffrant d’une leucémie plusieurs fois traitée en pure perte, était lucide sur son état de santé. « Je sais que je suis au bout, Jules, me disait-il voici quinze jours. Il ne faut pas se leurrer, quand faut y aller, faut y aller, comme le chantait Salvador. Il y a une chose dont je suis fier, c’est notre chanson « Zoréole ». Quand nous l’avons enregistrée, qu’est-ce qu’on a pu se faire enguirlander ! »
Une courte explication s’impose. C’était au milieu des années 60… Une chanson d’un racisme effréné avait été lancée au cours d’un radio-crochet. Plus tard elle avait été enregistrée ; en version instrumentale seulement, les paroles d’origine étant épouvantables et aucun de nos chanteurs locaux n’ayant voulu en prendre la responsabilité. Cela s’appelait « Oté Zoreil » et, en gros (sic !) « Koça toué la ni faire ici ? Artourne à toué dan’ ton pays ! »
Le sang des Jokarys n’a fait qu’un tour. « Oté Jules, ça té pas not’ Réunion, ça ! Alors, on a sorti Zoréol pour dire exactement le contraire, que les Zoreils étaient chez eux chez nous. Et tu vois, aujourd’hui, tout le monde ici ne parle que du « Vivre ensemble ».
C’était ça André et ses Jokarys. Car ils sont indissociables. Le regard et le coeur tournés vers les autres, l’amour des autres, l’empathie… le sourire spontané, la main tendue.
André et son complice Henri avaient effectué quelques années au petit séminaire de Cilaos, où ils se sont formés au chant polyphonique, ce qui explique cette aisance vocale, ce don inné pour la belle chanson et, surtout, les compositions marquant les âmes. Ils se sont d’abord appelés « Le Trèfle », puis le « Trio Jokary » (Legras-Maingard-Choby), puis les Jokarys tout court avec l’arrivée de Roger Ébrard, Louis Decotte, Alain Bastide (eh oui !), Daniel Watson.
Outre leurs compositions personnelles, les Jokarys ont repris, et de quelle belle manière, les grandes chansons de Georges Fourcade. Alors que ces gaillards se voulaient orchestre yé-yé, ils se sont retrouvés, contre leur gré, catalogués « orchestre folklorique ». A ce titre, ils ont effectué le tour de la planète avec toutes les troupes dignes de ce nom, notamment celle de Bernadette, la soeur d’André.
Ce groupe palimpseste en a-t-il vu défiler des pointures : Max Dormeuil, Daniel Vabois, la grande Jacqueline, Betty… Car tous nos artistes ont voulu, un jour ou l’autre, enregistrer quelque chose avec eux, avec « la troupe à André ».
Ce dernier, au demeurant, a toujours réfuté être un « leader ». Il aimait se retrouver avec ses amis musiciens : « Il n’y avait pas de chef chez nous. On mettait nos idées en commun et on y allait ».
André n’a jamais tiré la couverture à lui, disant volontiers que le titre-phare du groupe était « Viens voir La Réunion » de son grand pote Henri Maingard.
Au titre de ses exploits, André peut se targuer d’avoir transmis son « virus » musical à quasiment toute sa famille. Y compris les petits-enfants. On a pu en voir le résultat il n’y a guère, à Champ-Fleuri, avec ce petit surdoué qui se fraye un très beau chemin sur les traces de son formidable grand-père.
Je te souhaite d’être bien là où tu es, André. Sans doute vas-tu gazouiller un « Joli zoiseau » avec l’ami Henri… avec tous ces gens que tu aimais et qui te le rendaient si bien. Comme nous.
À in d’ces quat’, l’artiste !