Le moins que l’on puisse dire, c’est que Raoul Lucas ne donne jamais dans la facilité.
Traiter d’un sujet aussi pointu que l’existence d’une société syndicale expose pourtant l’auteur à un risque majeur, se laisser emporter par ses propres passions en fait d’action et d’opinions politiques et/ou syndicales. Ici, Raoul Lucas n’obéit qu’à UNE passion, incontournable, exigeante mais ô combien respectable, celle de l’authenticité, de la véracité. Raoul Lucas est de ces passionnés d’histoire locale pour qui seule la vérité des faits commande l’écriture.
On lui en est reconnaissant.
Il ne « lit » jamais l’histoire, comme d’autres souvent, en fonction de l’orientation qu’ils souhaiteraient lui donner, quitte à « tordre » la réalité, quitte à modifier les photos officielles comme cela se fait encore aujourd’hui ; il la « lit » en fonction des seuls faits, avérés, prouvés, irréfutables. Une honnêteté intellectuelle qui force le respect !
Voici quelque cinquante années, un congrès parisien de la CFTC décidait la création de la CFDT. La scission laissa de la place aux tenants de la vénérable CFTC, tandis que la section locale de la CFDT prenait son envol.
Une histoire qui fourmille de dates, d’actions, de bons et mauvais jours, de réussites retentissantes comme de défaites qui ne le sont pas moins.
Reste une constante, et de taille : la défense des droits des travailleurs.
Les luttes syndicales ont eu pour toile de fond un débat statutaire souvent acharné, voire violent, que l’auteur ne tente jamais de minimiser, précisant même, détails à l’appui, que c’est ce qui a quelque peu obéré le moteur-même de l’action de la centrale.
Au fil des pages, on retrouve les grandes dates, les grands faits ayant marqué cette action ; on retrouve des noms, parfois quelque peu oubliés ; des conquêtes ayant incontestablement changé en profondeur le vécu quotidien des travailleurs de cette île.
Le livre de Raoul Lucas fourmille de faits, d’anecdotes. On y retrouve les reproductions nostalgiques d’anciennes affiches vieilles de plusieurs décennies, des photos de moments importants lors d’événements majeurs. Des visages connus ou pas, apparaissent au détour de pages très documentées et on imagine sans peine le travail de fourmi qu’a pu constituer cette recherche d’archives et de témoignages. Ici et là apparaissent les noms et les visages des anciens « patrons » de l’organisation syndicale qui, quoi qu’on en dise et malgré sa discrétion (voulue ?) demeure la première de l’île.
Cette iconographie très riche vient atténuer l’effort certain que réclame la lecture d’un sujet pas très « léger », il faut bien le reconnaître. Mais Raoul Lucas n’a jamais chassé en terrain de facilité.
Ce livre est préfacé par Joachim Maillot, Joseph Gagnant, Jean-Jacques Payet et Axel Zettor, anciens secrétaires de la centrale, et Jean-Pierre Rivière, l’actuel responsable. Pour ses recherches, l’auteur s’est assuré l’aide de M. Mario Serviable.
Le livre n’a été tiré qu’à 1.000 exemplaires (pour l’heure) car on se doute bien que ce genre de sujet, malgré son évident intérêt historique, n’attire pas autant les lecteurs qu’un manga ! Je ne peux que conseiller aux connaisseurs de l’acquérir au plus vite, pour le plaisir de s’y retrouver, peut-être ? Et pour bien se pénétrer de l’idée que libertés syndicales et avantages sociaux ou politiques ne sont jamais « généreusement » accordés d’en haut : il faut aller les arracher de haute lutte. La certitude aussi que cela exige du temps, du courage, de la patience, voire de l’obstination, mais qu’au bout du compte, on en est récompensé. C’est aussi une des leçons de cet ouvrage majeur, en même temps qu’un hommage à ceux qui y ont consacré leur temps et leur énergie, bien souvent au prix de sacrifices individuels personnels.