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Françoise Vergès et un collectif veulent faire de l’Hôtel de la Marine un musée de l’esclavage, de la colonisation et de l’outre-mer

L’Hôtel de la Marine est à vendre. Ou, plus exactement, à louer pour environ 70 ans. Dans le cadre de la vente de ses « bijoux de famille » pour renflouer les caisses, l’État a lancé dans la plus grande discrétion un appel projet pour l’Hôtel de la Marine le 27 novembre dernier. Plutôt surprenant sur le […]

Ecrit par zinfos974 – le lundi 24 janvier 2011 à 12H52


L’Hôtel de la Marine est à vendre. Ou, plus exactement, à louer pour environ 70 ans. Dans le cadre de la vente de ses « bijoux de famille » pour renflouer les caisses, l’État a lancé dans la plus grande discrétion un appel projet pour l’Hôtel de la Marine le 27 novembre dernier. Plutôt surprenant sur le fond comme sur la forme quand on sait qu’il s’agit d’un fleuron de l’Histoire française où fut signé le décret d’abolition de l’esclavage de 1848 et conduite la politique coloniale. Depuis cette annonce, de nombreux historiens, intellectuels et acteurs culturels ont manifesté leur désapprobation à voir partir ce bâtiment historique et symbolique dans les mains d’investisseurs privés.

Alors que le plan de reprise de l’Hôtel de la Marine devait être officialisé et que c’est le jeune entrepreneur Alexandre Allard qui tenait la corde, l’appel d’offres a finalement été repoussé ou 7 février 2011. Une petite victoire pour les comités qui se sont créés et ont solennellement demandé que l’Hôtel soit transformé en musée.

L’un de ces collectifs, auquel adhère Françoise Vergès et composés majoritairement d’historiens, s’est offert une tribune libre dans le journal Le Monde daté du 19 janvier. Il propose « au futur propriétaire des lieux » que soit créé sur 8.000 des 25.000 m2 de l’hôtel « le grand ‘musée de l’esclavage, de la colonisation et de l’outre-mer' ».

Voici l’intégralité de cette tribune libre :

« Un des fleurons du patrimoine national, l’hôtel de la Marine, place de la Concorde, est à vendre au plus offrant. Dans ce lieu gorgé d’histoire, où fut signé le décret d’abolition de l’esclavage de 1848 et conduite notre politique coloniale, il serait judicieux d’en conserver une partie, à défaut de sa totalité, pour faire oeuvre d’histoire. Des historiens ont lancé cette semaine un appel dans Le Monde pour y installer la Maison de l’histoire de France voulue par Nicolas Sarkozy[]url:http://www.lemonde.fr/sujet/6ba2/nicolas-sarkozy.html . D’autres historiens et chercheurs en appellent ici au ministre de la culture, au maire de Paris et au président de la région pour sauvegarder ce patrimoine national et faire entrer le passé colonial dans l’esprit de nos contemporains en installant place de la Concorde un « musée de l’esclavage, de la colonisation et de l’outre-mer » (Mecom).

Le 17 janvier aura été une date historique et favorable à l’indignation. Au coeur de Paris, l’hôtel de la Marine (classé monument historique) aura trouvé un « repreneur ». Un appel d’offres « en urgence » a été lancé par le gouvernement avant les fêtes de fin d’année (mais il faut un mot de passe pour accéder au rapport de la Commission nationale des monuments historiques !), alors que tout le monde était en vacances, l’opération de « bail emphytéotique » a été menée tambour battant. La République vend ses meubles, et l’affaire ne serait pas grave si ce bâtiment, inauguré en 1774, était sans valeur historique. C’est un lieu d’histoire et de mémoire.

Ce fleuron de notre histoire nationale, au carrefour de l’histoire maritime, de l’histoire de l’esclavage et de l’histoire coloniale, va être transformé en supermarché du luxe par un orfèvre en la matière, Alexandre Allard. Certain de récupérer les 25 000 m2 et les 550 salons et pièces de ce palais de la République, situé place de la Concorde en face de l’Assemblée, avec le soutien de son « conseiller spécial », ancien ministre de la culture, Renaud Donnedieu de Vabres, l’heureux futur propriétaire prépare déjà une soirée pour fêter son acquisition. Cet hôtel, pour ce champion fortuné du Net, serait son coup de maître après l’achat-revente du Royal Monceau.

Boutique de luxe, salle de ventes, galeries d’art contemporain et hôtel haut de gamme sont au programme et feront partie de la proposition envoyée à France Domaine, chargé de gérer l’appel d’offres le plus expéditif de la Ve République. Qu’est-ce qui peut expliquer cette urgence du gouvernement, alors que l’état-major de la marine ne quittera le bâtiment prestigieux qu’en 2014 pour rejoindre le futur Pentagone à la française dans le 15e arrondissement de Paris ? On peut se demander en toute légitimité si l’urgence n’est pas dictée par le désir d’éviter un débat public sur ce que pourrait devenir ce bâtiment historique. L’ancien ministre de la défense Hervé Morin a rappelé que ce bâtiment « appart(enait) à l’histoire du pays » et plusieurs personnalités ont alerté le ministère de la culture de son importance majeure.

Certains ont lancé depuis des mois un appel à la sauvegarde du lieu, comme l’association Les Amis de l’hôtel de la Marine, afin qu’il demeure dans le giron du patrimoine national. Ils n’ont pas été entendus. Des historiens ont demandé, le mardi 11 janvier, dans un appel dans Le Monde, que soit installée la Maison de l’histoire de France, si chère au président de la République, dans ce bâtiment, en rappelant les grands faits historiques liés au bâtiment… mais en oubliant au passage le passé lié à l’esclavage et à la colonisation de ce lieu. Curieuse omission pour de grands historiens… Comme s’il y avait une « bonne » et une « mauvaise » histoire de France.

Néanmoins, nous partageons leur indignation, et comme eux nous sommes « révulsés » par cette vente à l’encan, mais nous envisageons une autre destination…

C’est bien un lieu d’histoire et de mémoire qui est appelé à disparaître. Là dessus nous sommes tous d’accord. C’est en effet dans ces murs que fut élaboré et signé en 1848, sous le gouvernement de la IIe République, le décret d’abolition définitive de l’esclavage dans les colonies françaises, date charnière entre deux épisodes majeurs de l’histoire nationale et de la colonisation : celle de l’esclavage et celle de la colonisation. En outre, c’est dans ce bâtiment, qui fut celui du ministère de la marine, que furent élaborées et conduites les conquêtes coloniales du Second Empire et de la République. L’hôtel de la Marine est donc bien un de ces hauts lieux qui offrent à nos contemporains une véritable « leçon » sur l’histoire.

Nous avons décidé de proposer au futur propriétaire des lieux un « partage » (à défaut de l’intégralité du bâtiment) bien compris entre intérêt personnel et intérêt général. Puisque l’affaire est quasiment faite (avec le soutien de la Caisse des dépôts et d’un fonds de pension qatari), faisons la proposition suivante au repreneur. Il va acquérir pour quelques millions d’euros et plusieurs décennies les 25 000 m2 de ces bâtiments place de la Concorde. Il en prend les deux tiers et, sur les parties les plus inestimables du patrimoine (8 000 m2), il accepte de créer, avec le soutien de la Ville de Paris, du ministère de la culture et de la région Ile-de-France, le grand « musée de l’esclavage, de la colonisation et de l’outre-mer » qui manque à la France, pays des musées, de la culture et de l’histoire.

Cinquante ans après les indépendances africaines, à la veille des commémorations de la guerre d’Algérie, alors que la France va célébrer le 80e anniversaire de son Exposition coloniale de 1931 et qu’elle va fêter les dix ans de la loi Taubira en cette Année des outremers, ce musée porté par la République et installé au coeur de la capitale serait le signe que nous sommes enfin entrés dans le temps du postcolonial en France. Les musées sur l’histoire de France sont déjà nombreux dans le pays, alors qu’il n’existe aucun musée sur notre passé colonial, un tel acte serait fondateur d’une République capable de regarder toute son histoire.

Nous avons le temps, car les lieux ne vont se libérer qu’en 2014 et les travaux d’aménagement vont prendre au moins trois ans. La création d’un consortium des trois partenaires – ville, région, Etat – donnera la possibilité de réfléchir, aux côtés des chercheurs et des structures concernées, à ce que devrait et pourrait être le Mecom : un véritable lieu de savoirs et de cultures, un espace d’histoire où pourraient aussi se croiser les mémoires, un véritable musée postcolonial dynamique et ouvert au public du monde qui vient visiter Paris et ses musées. Le Mecom offrirait une lecture croisée des récits et des diversités, inscrivant la France dans une approche comparatiste riche et complexe, révélant des échanges millénaires comme ceux induits par la colonisation et offrant un programme d’expositions dynamiques.

Monsieur le Ministre, Monsieur le Président de région, Monsieur le Maire, faites qu’en 2018 nos concitoyens puissent enfin avoir accès à ce passé dans un des hauts lieux de la République. Nous commémorerons alors le 170e anniversaire de l’abolition de l’esclavage et le 100e anniversaire de la fin de la Grande Guerre, où se sont illustrés des milliers de combattants venus des quatre coins du monde… A vous trois, en unifiant vos forces et vos volontés, vous convaincrez Alexandre Allard de consacrer un peu de son prestigieux palais à l’histoire de notre pays. Il en va de notre histoire, de notre présent et de notre futur. »

Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Esther Benbassa, Catherine Coquery-Vidrovitch, Marcel Dorigny, Benoît Falaize, Yvan Gastaut, Gilles Manceron, Pap Ndiaye, Benjamin Stora sont historiens ;
Françoise Vergès, politologue ;
Ahmed Boubeker, sociologue.

Collectif

 

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