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Ferdinand Mélin-Soucramanien : « Une amélioration sensible du climat éthique à l’Assemblée nationale »

Trois ans après avoir été nommé déontologue de l’Assemblée nationale, le professeur de droit public et constitutionnaliste réunionnais Ferdinand Mélin-Soucramanien a laissé sa place à Agnès Roblot-Troizier. Il revient avec nous sur son mandat au sein du Palais-Bourbon.

Ecrit par zinfos974 – le mercredi 09 août 2017 à 11H43

Zinfos974 : Que retenez-vous de ces trois années passées à l’Assemblée nationale ?

Ferdinand Mélin-Soucramanien : La mission a été, certes passionnante, mais aussi éminemment délicate et exposée. C’est sans doute la raison pour laquelle en six années, trois personnes se sont succédé à cette fonction. Pour ma part, j’ai été désigné par le bureau de l’Assemblée nationale à l’unanimité de ses membres et avec l’accord des présidents des groupes d’opposition, sur proposition de son président, le 16 avril 2014 et mon mandat s’est achevé à son terme prévu le 20 juin 2017 à l’échéance de la XIVème législature. Une nouvelle Déontologue, Mme Agnes Roblot-Troizier, vient d’être désignée.

A titre personnel, malgré les turbulences des « affaires », à l’issue d’un mandat d’un peu plus de trois années, je peux témoigner d’une amélioration sensible du « climat éthique » au sein de l’Assemblée nationale. L’institution nouvelle et originale du Déontologue fait désormais partie du paysage institutionnel. Son existence et ses missions sont garanties par le Règlement de l’Assemblée depuis l’adoption le 28 novembre 2014 d’une résolution portée par le président de l’Assemblée nationale, M. Claude Bartolone. Les moyens mis à la disposition du Déontologue ont progressé notamment avec la création d’une division administrative dédiée à la déontologie. Dans le même temps, le champ des compétences du Déontologue a été considérablement étendu. Ces progrès notables qui rapprochent peu à peu le contrôle interne à l’Assemblée nationale des modèles que peuvent représenter en la matière le Parlement européen ou des parlements étrangers comme le Parlement canadien sont, à mes yeux, irréversibles.

Le poste de déontologue de l’Assemblée nationale a été créé en 2011. En quoi consiste-t-il concrètement ?

Le rôle du Déontologue de l’Assemblée nationale est simple, en apparence, tout au moins. Il s’agit principalement de conseiller les députés en respectant une stricte obligation de confidentialité afin qu’ils se conforment aux recommandations découlant d’un code de déontologie. Il s’agit d’un rôle de conseil exercé à titre préventif. Le Déontologue est donc avant tout un pédagogue, un aiguilleur, mais en aucun cas un enquêteur, et encore moins un juge.

Accessoirement, c’est aussi au Déontologue qu’il revient de recevoir les déclarations de cadeaux ou d’invitations d’un montant supérieur à 150 euros reçus par les députés, les déclarations de voyages dès lors que ceux-ci ont été financés par des tiers ou encore, depuis 2015, les déclarations sur l’honneur relatives au bon usage de l’indemnité représentative de frais de mandat conformément aux prescriptions du Bureau de l’Assemblée. Ce rôle correspond, plus ou moins, à celui qui est généralement confié aux instances chargées de la déontologie parlementaire dans les grandes démocraties.

Dans une tribune au HuffPost parue en juin 2017, vous avez déclaré que « l’institution du Déontologue à l’Assemblée doit (..) être consolidée et ses moyens humains et budgétaires accrus ». Avez-vous été limité dans votre action durant votre mandat ?

Assurément, en raison du cadre même de mon action que, bien évidemment, je n’avais pas défini puisque cette compétence appartient au bureau de l’Assemblée nationale.

A mes yeux, la première lacune est un manque de moyens humains et budgétaires suffisants afin de mener à bien l’ensemble des facettes de la mission. Bien sûr, a été créée tout récemment une division administrative de la déontologie et du statut du député rattachée au secrétariat général de l’Assemblée et de la présidence, mais ses moyens demeurent encore limités pour l’heure. La première urgence se situe à ce stade. Si l’Assemblée nationale entend se rapprocher de l’exemple qui lui a servi de modèle, à savoir celui du parlement canadien, il importe qu’elle s’en donne les moyens en renforçant sensiblement l’équipe qui assiste le Déontologue. C’est cette idée que soutient aussi, en fin connaisseur de l’Assemblée, M. Jean-Jacques Urvoas dans ses propositions du 9 juin 2017 : « Pour une Assemblée sereine » (consultables sur le site internet de la Fondation Jean Jaurès, ndlr).

La seconde lacune est que le Déontologue est totalement dépourvu de pouvoir d’investigation ou d’injonction. Dans son activité courante, cette absence ne soulève pas de difficulté particulière. En effet, encore une fois, comme l’essentiel de son rôle est de conseiller à titre préventif en se fondant sur les déclarations spontanées des députés, de tels pouvoirs sont, dans la plupart des cas, parfaitement inutiles. En revanche, il en va tout autrement lorsque, comme cela a été le cas sous cette législature, le Déontologue se retrouve confronté à des affaires fortement médiatisées dans un contexte de campagne électorale dont les enjeux dépassent largement le rôle qui lui est assigné. Dans de telles hypothèses, il me paraîtrait hautement souhaitable, qu’à l’instar de son homologue canadien, le Déontologue de l’Assemblée nationale puisse être chargé par le Bureau d’ouvrir des enquêtes sur les manquements possibles au code de déontologie, en disposant d’un véritable pouvoir d’investigation et d’injonction. Dans certains cas, pour les affaires difficiles et fortement médiatisées, les enquêtes devraient pouvoir se dérouler dans la plus grande transparence et leurs résultats devraient pouvoir être rendus publics. Cette faculté d’enclencher une seconde vitesse, laissée à l’appréciation du Bureau de l’Assemblée nationale, me semble la seule à même de permettre que ne pèse pas sur le Déontologue le soupçon d' »enterrer » des affaires potentiellement gênantes pour l’image de la représentation nationale, alors même qu’il ne fait que se conformer à sa stricte obligation de confidentialité.

Le cadre de l’action et ces règles devraient évoluer très prochainement sous l’impulsion du nouveau président de l’Assemblée nationale, M. de Rugy, qui a exprimé clairement ses intentions en ce sens.

Que pensez-vous des réformes sur les retraites des députés et sur l’interdiction de travail des membres de la famille des députés comme attachés parlementaires ?

Globalement, toutes ces reformes vont, bien entendu, dans la bonne direction. Il faut simplement relever qu’elles sont partielles et ciblées principalement sur les parlementaires. Or, tous les exemples étrangers en la matière montrent bien que les problèmes éthiques se situent aussi au niveau des membres du gouvernement et, par ailleurs, des élus locaux. Il ne faudrait donc pas que de telles reformes soit manquent leur but, soit contribuent à alimenter encore davantage l’anti-parlementarisme qui est déjà très puissant dans notre pays.

Quels sont vos projets futurs ?

Reprendre normalement, et plus sereinement, mon métier de professeur d’Université qui me passionne toujours autant et consacrer un peu plus de temps a ma famille, mes amis et a mon île !

 

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