Gouverner c’est prévoir. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ARS n’a rien prévu concernant Mayotte.
Je ne prétends pas être médecin, mais il y a des choses que même un gamin de 10 ans comprendrait une fois qu’on lui aurait donné tous les éléments du dossier.
L’une des premières choses qu’on a dû dire à Mme Ladoucette, la directrice de l’ARS, quand elle a pris ses fonctions à une époque où l’ARS de La Réunion chapeautait encore Mayotte, c’est que les infrastructures sanitaires sont totalement insuffisantes dans l’ile aux Parfums.
Dans ce contexte, l’une des principales priorités des hauts fonctionnaires qui occupent les postes de direction à l’ARS et qui y touchent de très gros salaires, c’est justement d’imaginer tous les scénarios catastrophes possibles et de mettre au point des plans pour apporter les solutions les plus pertinentes.
Le constat est aujourd’hui accablant, ils ont échoué.
Quelle est la situation ?
Cela fait des semaines que l’on sait que le nombre de malades du Covid va exploser à Mayotte du fait de la présence avérée et massive du variant sud-africain chez son voisin comorien. Et du fait des échanges continus entre les différentes iles de l’archipel, soit au travers des liaisons aériennes régulières, soit au travers de l’arrivée quotidienne de plusieurs kwassas kwassas remplis de migrants illégaux.
On aurait pu interrompre les liaisons aériennes entre les iles, on ne l’a pas fait.
On aurait pu déployer les moyens militaires pour tenter d’intercepter les kwassas kwassas, on ne l’a pas fait.
Jean-François Collombet, le préfet de Mayotte, a beaucoup parlé, beaucoup promis, garanti que les mesures adéquates avaient été ou allaient être prises, mais le résultat est là : Mayotte était et est toujours une passoire et on y entre, encore aujourd’hui, comme dans du beurre.
Une catastrophe sanitaire pourtant largement prévisible
Cela fait donc des semaines, peut-être même des mois, que l’on savait de façon certaine qu’on allait au devant d’une catastrophe sanitaire.
Cette certitude était d’autant plus forte que Mayotte est très différente de La Réunion. Une bonne partie de la population vit entassée dans des bidonvilles, plusieurs générations se côtoient dans des cases minuscules, sans aucun respect possible des gestes barrière. Ajoutez à cela que 40% de cette population ne dispose pas d’eau potable, que près de 50% des personnes vivant à Mayotte sont des clandestins sans papiers qui rechignent donc à se manifester auprès des autorités, et que le niveau de vie est très bas, beaucoup plus bas qu’à La Réunion, et vous avez tous les ingrédients de la catastrophe annoncée.
Ce qui se passe aujourd’hui était donc largement prévisible.
Transférer les malades vers La Réunion plutôt que de les soigner sur place
Face à cette catastrophe annoncée, que pensez-vous que fit l’ARS ?
Elle aurait pu augmenter le nombre de lits de réanimation… Elle aurait même pu construire en urgence un nouvel hôpital. La crise a commencé il y a plus d’un an maintenant et rappelons-nous que les Chinois en ont construit un en 10 jours !
Et bien non, l’ARS avec Mme Ladoucette à sa tête a préféré imaginer un plan consistant à évacuer les malades les plus gravement atteints vers le CHU de La Réunion !
Cette solution pourtant cumulait tous les handicaps.
Avant d’être évacué, le malade qui, rappelons-le est déjà dans un état critique, va subir un véritable parcours du combattant.
Il va d’abord falloir préparer son évacuation, le transborder de son lit dans une ambulance, direction l’aéroport. Sauf qu’on est à Mayotte et que le CHM est situé sur la Grande Terre et l’aéroport… sur la Petite Terre.
Entre les deux, la barge avec ses dizaines de minutes d’attente.
Arrivé en Petite Terre, direction l’aéroport, où il sera à nouveau manipulé par les personnels soignants pour être transvasé dans l’avion, puis de prendre la direction de La Réunion.
Temps total écoulé : environ 8 heures !
N’oublions pas cette phrase d’un médecin : « A chaque étape de la manipulation, il y a un risque pour le patient, que son état se dégrade, qu’il décède pendant le transfert« .
Etonnez-vous ensuite si de nombreux patients sont décédés dans les heures ou les jours qui ont suivi ces évacuations sanitaires !
Et je ne parle pas des risques que ces différentes manipulations font courir au personnel soignant accompagnant ces évacuations.
Et voilà que maintenant, alors que La Réunion connait à son tour un risque de saturation de ses capacités en lits de réanimation, on envisage d’affréter un Boeing 777-300 pour évacuer le trop plein de cas graves de La Réunion vers la métropole. Temps de vol 11 heures, auxquelles il faut rajouter les heures de préparation avant l’évacuation plus les heures de transfert jusqu’à l’hôpital une fois arrivés en métropole. De l’avis de nombreux médecins que nous avons interrogés, beaucoup n’y survivraient pas. C’est peut-être d’ailleurs pour ça que cette solution tarde autant à être mise en place.
Pourquoi ne pas avoir augmenté les capacités en lits de réanimation de Mayotte ?
Autre remarque pleine de bon sens que m’a faite un médecin : « Pourquoi évacuer les malades dans un état souvent déjà critique vers La Réunion ? Il aurait été beaucoup plus simple, et beaucoup plus sûr pour le personnel soignant, de transférer ces derniers à Mayotte pour qu’ils soignent les malades sur place. Ces médecins et infirmiers sont en pleine forme et pour eux, quelques heures de vol ce n’est rien. Alors que ça peut être mortel pour un malade en réanimation« .
Dit comme ça, ça semble une évidence. Alors, pourquoi ne l’a-t-on pas fait ?
Nous sommes dit-on la 6ème ou la 7ème puissance au monde, et nous serions incapables d’envoyer à Mayotte le personnel soignant en nombre suffisant ?
Nous serions incapables de louer, ou de construire, un hangar et d’y créer le nombre de lits de réanimation suffisants ?
Notre armée est capable d’aller faire la guerre aux quatre coins du globe, de soigner ses blessés, et nous n’aurions pas la capacité de construire un hôpital militaire et d’y accueillir les malades mahorais ?
Qu’est devenu Le Mistral, ce porte-hélicoptère que l’on peut transformer en navire hôpital de 69 lits ? Il a fait un petit tour à Mayotte pour y transporter du matériel qu’il est venu récupérer à La Réunion, puis il est tranquillement rentré en métropole…
Il y a des choses que je ne comprends pas.
Au lieu de tout cela, on a préféré transférer entre 5 et 6 malades tous les jours de Mayotte à La Réunion, au point que maintenant, ce sont les capacités en lits de réanimation du CHU qui frisent la saturation et que nos fameuses têtes pensantes de l’ARS sont maintenant obligées d’envisager le transfert de patients réunionnais vers la métropole. Avec tous les risques que j’ai décrits plus haut !
Que se passerait-il en cas de catastrophe aérienne à La Réunion ?
Je conclurai par une série de questions que je transmets à Mme Ladoucette, puisque maintenant les journalistes n’ont plus la possibilité de l’interroger lors des conférences de presse. A croire qu’elle a peur qu’on ne lui pose des questions dérangeantes… Peut-être qu’elle pourra me répondre à l’occasion de la prochaine.
Selon la directrice de l’ARS, la situation est toujours sous contrôle et les capacités de La Réunion en lits de réanimation ne sont pas saturées. J’ai un gros doute, mais faisons semblant de la croire.
Comme je l’ai dit plus haut, gouverner c’est prévoir.
Que se passerait-il si demain La Réunion connaissait une catastrophe aérienne ? Où seraient soignés les blessés ? Disposerions-nous encore des capacités suffisantes pour les soigner sur place ?
Merci de me répondre, Mme Ladoucette.