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Entretien avec Édouard Habrant, Grand Maître de la Grande Loge Mixte de France

Grand Maître de la Grande Loge Mixte de France depuis un an, Édouard Habrant visite actuellement La Réunion à l’occasion de l’installation d’une troisième loge de la GLMF. Il évoque pour Zinfos974 les aspirations de la franc-maçonnerie pour élever la conscience, mais n’occulte pas le trouble que peut générer le mystère entourant l’activité maçonnique.

Ecrit par zinfos974 – le samedi 15 octobre 2016 à 07H00

Zinfos974 : Édouard Habrant, pourriez-vous présenter et nous expliquer ce qu’est la Grande Loge Mixte de France (GMLF) ?

Édouard Habrant : Je suis Grand Maître de la Grande Loge Mixte de France depuis octobre 2015. Une loge regroupe un certain nombre de frères et de soeurs qui travaillent ensemble régulièrement dans un cadre déterminé que l’on appelle le rituel.

La Grande Loge Mixte de France a cette particularité parmi les grandes loges françaises d’être la cinquième obédience libérale et adogmatique en terme d’effectifs, avec 52% de femmes et 48% d’hommes. Historiquement elle est relativement jeune puisqu’elle a été créée en 1982, comparativement aux autres obédiences comme le [Grand Orient de France]urlblank:http://obediences.maconniques.fr/GODF/grand-orient-de-france.php qui remonte à 1773 ou le Droit Humain, autre grande obédience mixte qui remonte à 1893.

Au-delà de la mixité, l’autre particularité de la GLMF est le pluralisme : nous travaillons à différents rites et nous avons une inclination qui est à la fois sociétale mais aussi spirituelle alors que d’autres obédiences prennent en général une inclination assez marquée. Ce pluralisme nous donne une capacité de débattre et de conclure à des accords, ce qui est assez exceptionnel et dont je pense que notre pays pourrait s’inspirer.

Pourquoi être devenu franc-maçon ?

Devenir franc-maçon c’est comme une naissance voire une renaissance comme on dit chez nous. La franc-maçonnerie est un ordre initiatique et traditionnel. Dans mon cas, je n’avais pas de contact dans la franc-maçonnerie ni d’influence familiale, c’est venu par hasard dans le cadre professionnel. J’ai pris attache avec différentes personnes et ce que l’on m’a laissé entrevoir m’a donné envie d’aller plus loin. La perspective d’être franc-maçon c’est un horizon qui se dévoile au fur et à mesure.

Qu’est-ce qui différencie la GMLF du GODF (Grand Orient de France) ou de la GNLF (Grande Loge Nationale Française) ?

Ce qui nous distingue de la [GNLF ]urlblank:https://www.fm-fr.org/francais/obediences/les-obediences-regulieres/la-grande-loge-nationale-francaise et du GODF c’est tout d’abord la mixité. Il y aussi les questions dites de régularité puisque la GNLF s’inscrit dans une filiation dite anglaise, bien que nous ayons des relations avec elles, comme avec le Grand Orient. La maçonnerie c’est un peu comme un arbre et tout le reste en découle.

Quelle place occupent les femmes et les jeunes dans la franc-maçonnerie en général et notamment à la GLMF ?

Je pense que les femmes et les jeunes occupent une place insuffisante à mon sens. Il y a une maçonnerie féminine, il faut le souligner, avec la GLFF (Grande Loge Féminine de France, ndlr) issue des loges d’adoption créées au début du 20ème siècle. Nous, nous nous inscrivons dans une filiation qui est celle de la [GLSE]urlblank:https://fr.wikipedia.org/wiki/Grande_Loge_symbolique_%C3%A9cossaise (Grande Loge symbolique écossaise, disparue entièrement en 1911, ndlr), de [Maria Deraismes]urlblank:http://www.droithumain-france.org/maria-deraismes/ (première femme à avoir été initiée, en France, à la franc-maçonnerie et à l’origine de la création de l’ordre maçonnique mixte international « le Droit humain », ndlr) ou encore de [Louise Michel]urlblank:http://www.glff.org/actualites/la-glff-a-rendu-hommage-a-louise-michel-une-femme-dexception—1er-mai—levallois-perret.html . Ces femmes-là ont émergé dans un contexte qui était assez particulier et ne leur laissait pas beaucoup de place.

La situation a évolué mais ça reste nettement insuffisant. La mixité est importante pour nous car nous considérons que c’est l’antichambre de ce que serait la société et il est dans notre ADN de travailler ensemble dès le départ avec nos représentations diverses.

Concernant la jeunesse, vous avez mis l’accent sur un point qui fait difficulté en maçonnerie car aujourd’hui la moyenne d’âge est d’environ 60 ans dans certaines obédiences. C’est vrai que c’est difficile de prétendre mettre en commun des représentations diverses pour dégager quelque chose de constructif.

Notre obédience a une moyenne d’âge comprise autour de 55 ans mais c’est un vrai défi de s’inscrire à la fois dans un ordre initiatique traditionnel et de s’ouvrir à la modernité. Auguste Lecomte disait que ‘l’humanité se compose de plus de morts que de vivants’ et c’est très vrai. Pour autant, le maçon est un bâtisseur : il ne peut pas se contenter de répéter en boucle ce qui a été fait par le passé. Bâtir, ça veut dire aussi concevoir les nouvelles idées qui permettront de mettre en place une société plus juste et plus féconde. Ce qui est intéressant ce n’est pas de chercher les idées les plus justes mais c’est de se dire comment est-ce qu’ensemble, on arrive à créer les conditions d’un débat pour faire émerger une société meilleure.

Que nous vaut votre venue dans l’île ?

J’ai le plaisir d’être actuellement à La Réunion pour assister à  l’installation d’une troisième loge de la GLMF, la troisième de l’île, régie par un rite différent des deux autres. Cela montre le dynamisme de cette île à la tradition maçonnique très forte. C’est un moment très fort où l’on scelle un accord. C’est en 2004 je crois que la Grande Loge Mixte de France a installé pour la première fois une loge à La Réunion et la seconde en 2011. Nous sommes actuellement une cinquantaine dans l’île et avec la création de cette troisième loge, nous serons aux alentours de 70.

Ça nous permet aussi de nous ouvrir à d’autres regards : il y aussi des obédiences à Madagascar où à l’île Maurice avec lesquelles ça nous permet aussi de nouer des ponts.

Comment se porte la franc-maçonnerie à La Réunion ? Avez-vous de bons rapports avec les autres loges ?

Elle est très dynamique et portée vers des échanges. Il peut y avoir des endroits où l’on reste un petit peu entre-soi. Il y a des obédiences qui évitent de se fréquenter les unes les autres. À La Réunion ce n’est pas le sentiment que j’ai : on se serre les coudes peu importe les chapelles ou les obédiences. Aujourd’hui ce qui est important c’est d’être réunis, rassemblés et déterminés.

Pouvez-vous aborder l’initiation à la franc-maçonnerie ? Comment ça marche ?

En gros, c’est l’irruption du ‘verbe dans le désordre’. L’initiation c’est un double mouvement : c’est d’abord un mouvement où l’initié va se mettre momentanément en retrait du monde pour mettre à distance sa propre pensée afin de la mettre à l’épreuve. Dans un second temps, il va pouvoir établir une nouvelle relation au monde : c’est un premier pas vers l’infini.

Parlez-nous de vos réunions qui sont marquées par de très nombreux rituels ?

Une loge se réunit en gros une à deux fois par mois pour travailler sur un rituel que l’on pourrait qualifier d’ordinaire. Ce rituel est un moment où l’imaginaire va se matérialiser à travers des allégories, des symboles, des analogies où la pensée va prendre forme, elle va prendre une consistance. Non seulement elle va prendre une consistance mais aussi être ordonnée selon un certain récit qui nous permettra après de mettre en commun nos représentations.

De plus, à travers les symboles, on va établir une relation entre quelque chose qui est visible, une image, et quelque chose qui le sera un peu moins et qui se laisse appréhender un peu moins facilement, plus du ressort du coeur et du spirituel.

Comment la GLMF s’inscrit-elle dans la politique, domaine qui joue énormément dans la société d’aujourd’hui ?

Le but d’un franc-maçon c’est de tendre vers une émancipation. La GLMF ne va pas délivrer des vérités ou des instructions. Il y a un certain nombre de principes qui sont essentiels comme la démocratie, la république et aussi chez nous de laïcité, à savoir le refus d’une parole qui nous serait imposée d’en haut. Chacun doit être capable de se forger sa propre opinion, y compris la possibilité de ne pas croire. La laïcité est un espace où toutes les représentations et spiritualités sont possibles.

Sur le plan politique, nous nous battrons sous l’angle de la démocratie, pas seulement avec le vote. La démocratie, c’est l’aptitude à ériger une critique, à s’ériger en contre-pouvoir. Et puis ça veut dire aussi proposer de nouvelles choses et sortir des ornières dans lesquelles on se situe sur le plan actuel de notre République et réfléchir peut-être à autre chose. Il y a des idées comme le tirage au sort qui pourrait être étudiées, mais il n’y a pas de position officielle.

Jamais la GLMF ne vous dira par exemple sur la question de l’euthanasie, où je sais qu’une obédience qui s’est réunie et qui a dit qu’on ‘aimerait faire tel texte de loi’. Nous on ne fonctionnera jamais comme ça. On a constaté au contraire qu’il n’y avait pas de consensus, que ça relevait de la sphère intime et privée de chacun et on ne va émettre un avis sur l’euthanasie.

En revanche, créer les conditions pour que chacun soit émancipé et libre, c’est ça qui nous paraît essentiel, dans un cadre républicain bien évidemment. Imaginer l’âge d’or maçonnique de la IIIe République où les francs-maçons faisaient les lois, ce n’est pas ça du tout. On s’inscrit dans autre chose.

L’entraide et la solidarité entre membres sont des valeurs fortes de la franc-maçonnerie. N’y a-t-il pas un risque de voir certains initiés vous rejoindre par intérêt professionnel ?

Il y a deux concepts dans ce que vous venez de dire. Si vous prenez le cas des premières loges créées au début du 18ème siècle, là oui c’étaient des sociétés d’entraide car il n’y avait pas de mutuelles ni de garanties. Aujourd’hui, les loges ne sont pas des sociétés d’entraide, c’est beaucoup plus que cela. Qu’il y ait une solidarité, oui, mais par solidarité j’entends solidarité de destin : nos destins sont mécaniquement solidaires. C’est un peu l’effet papillon. Pour autant cette solidarité de destin est un peu passive. Nous ce que nous souhaitons créer c’est une solidarité active, qui se ne se résume pas uniquement entre ses membres, mais à toute l’humanité.

Penser que la maçonnerie serait une tour d’ivoire ou un refuge qui nous mettrait à l’abri des turpitudes de ce monde serait une grave erreur. Je dirais à ceux qui viendraient pour ces motivations de rester à l’écart car ils seraient déçus…

Peut-être, mais les loges maçonniques ­réunissent malgré tout des gens influents…

On ne cible pas par exemple une catégorie sociale. En revanche, je sais qu’il existe des obédiences où certaines loges seraient plus intéressées par des médecins, des députés et autres. Il y a aussi le courant des fraternelles qui réunit des individus qui exerceraient la même profession. Ça existe mais pour moi ce n’est pas l’esprit d’une loge.

L’esprit de cette dernière c’est de regrouper des soeurs et des frères venus d’horizons divers et de tous les parcours. Mais c’est vrai que c’est plus dur paradoxalement de faire venir un plombier dans une loge qu’un médecin ou un avocat et c’est particulièrement dommage pour la représentativité. Si les membres de votre loge sont orientés sur une même profession, ils vont établir eux-mêmes des liens avec la même profession : c’est pour cela que c’est essentiel d’être aussi ouvert que possible au début parce que sinon vous vous mettez dans des ornières et à un moment vous vous enfermez dans quelque chose qui vous mènera vers une impasse.

Que pensez-vous des fantasmes liés à la franc-maçonnerie ? Souffrez-vous toujours des mêmes préjugés ?

Un des objets de la maçonnerie est de lutter contre les préjugés donc c’est un beau défi qui nous est soumis (rires). Effectivement on souffre des préjugés mais c’est aussi de notre responsabilité : c’est à nous de les dissiper en communiquant.

Mais il y a aussi autre chose et qui là dépasse les préjugés, c’est l’anti-maçonnisme. On sait que par nos valeurs républicaines, humanistes et anticommunautaires, on dérange un certain nombre de courants de pensées. Nous sommes victimes d’un certain nombre d’attaques de fanatiques en général. Le Grand Orient a été victime de cyberattaques sur son site internet, tout comme la GNLF. Nous sommes également régulièrement menacés.  

Nous ne sommes pas une république parallèle ou un État dans l’État. On est au service de la République et complètement ouverts pour mettre à disposition de tous des outils qui ont fait leurs preuves.

La maçonnerie c’est au départ un saut dans l’inconnu. Et ce saut dans l’inconnu va vous permettre de prendre la mesure des choses, de vous-même et des autres que vous ignoriez. Elle vous permet de vous dépasser. Et se dépasser c’est ce que je peux souhaiter à tout le monde. 


[Le Grand Maître du Grand Orient de France répond à vos questions]urlblank:http://www.zinfos974.com/Le-Grand-Maitre-du-Grand-Orient-de-France-repond-a-vos-questions_a101100.html

 

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