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Effondrement : seul scenario réaliste

La dynamique des systèmes étudie le comportement des systèmes complexes dans le temps. L’exemple type est celui du Club de Rome, le World3, en 1972, décrit par Dennis Meadows dans « The Limits of Growth ». Quand on veut comprendre l’évolution d’une société, on utilise la théorie des systèmes dans lesquels cette dynamique prévaut.  Cette […]

Ecrit par Bruno Bourgeon, porte-parole d’AID – le jeudi 11 juillet 2019 à 11H30

La dynamique des systèmes étudie le comportement des systèmes complexes dans le temps. L’exemple type est celui du Club de Rome, le World3, en 1972, décrit par Dennis Meadows dans « The Limits of Growth ». Quand on veut comprendre l’évolution d’une société, on utilise la théorie des systèmes dans lesquels cette dynamique prévaut.  Cette dynamique est celle de Joseph Tainter dans « L’effondrement des sociétés complexes », et Jared Diamond dans « Effondrement ».

Attachons-nous à deux données biophysiques, l’empreinte écologique et la bio-capacité, ou encore la capacité bio-productive de la Terre. L’empreinte écologique (EE) est l’impact que l’Humanité laisse sur Terre. Elle touche trois secteurs : les ressources que l’on prélève, les déchets et les pollutions que l’on rejette, et les dégradations que l’on inflige à notre environnement. La bio-capacité (BC) est la capacité qu’a la Terre à régénérer les ressources, à absorber les déchets et pollutions, enfin à réparer les dégâts. La dynamique des systèmes nous dit que ces deux composantes sont liées : l’EE ne peut dépasser durablement la BC.

La courbe que suit l’EE est exponentielle. Dans « The Great Acceleration », publié dans Anthropocene Review, en 2015, par Will Steffen, l’auteur montre de nombreuses exponentielles : la production de méthane, l’acidification océanique, la croissance démographique, particulièrement urbaine, le PIB qui s’amortit mais n’en demeure pas moins exponentiel à l’échelle planétaire, l’usage de fertilisants… Cela est-il concevable dans le monde fini qu’est notre planète ? Ou plutôt : comment expliquer ce paradoxe ?

A cet égard, l’Humanité se positionne selon quatre imaginaires.

1°) Les illimitistes : pour eux, soit la BC reste supérieure à l’EE, soit on peut l’accroître, en niant une limite possible même sur une planète finie. Ce que les énergies fossiles nous ont permis de croire, ou la Révolution Verte avec l’utilisation d’engrais et de pesticides. Sauf que l’EE n’est pas exponentielle, mais une courbe sigmoïde, dont l’évolution s’amortit avec le temps. Elle se ralentit.

2°) Le deuxième imaginaire est celui des soutenabilistes : il résulte du dogme que tant que la BC est supérieure à l’EE, le développement sera soutenable. Puisque l’EE ralentit, comme par exemple le PIB (Loi des rendements décroissants), l’innovation domptera l’EE sous la BC. Variante : la R&D permettra d’augmenter la BC. Sauf que la réalité est toute autre, l’EE a déjà dépassé la BC…

3°) Nous sommes donc devant une courbe sigmoïde pour l’EE, et la BC lui est déjà inférieure. Ceci existe depuis les années 70. Cette situation entraîne, puisqu’on attaque les services écosystémiques rendus par la planète, une diminution de la BC : les ressources non renouvelables s’épuisent, et les ressources renouvelables sont dépassées par notre consommation. Ainsi pour l’utilisation des sols pour l’agriculture, ou pour la ressource halieutique. Deux possibilités :

– celle des Objecteurs de Croissance, qui disent que puisque de toutes façons on va décroître, autant s’y préparer et amener la société à descendre par paliers notre EE, jusqu’à stabilisation du système, i.e. ajuster l’EE sur la BC. Pour vivre dans de relatives bonnes conditions durablement.

– ou celle de ceux qui croient en la croissance verte, diminuer l’EE en assurant une croissance économique, pour préserver le système, entre autres sur le plan social. En quelque sorte découpler l’écologie de l’économie. Beaucoup misent sur cet avenir : la majorité des écologistes, les start-up : la croissance verte, soit la croissance en soulageant l’environnement. Théoriquement possible, empiriquement faux : ce découplage absolu ne s’est jamais produit. Il n’est que rarement relatif, lorsque l’économie croît, alors que l’EE croît moins vite. En 1973, lors du premier choc pétrolier, on a vécu une diminution de la production de CO2 alors que le PIB, ralenti, continuait de croître (la croissance est restée positive). Ce fut le seul cas dans l’histoire de l’Humanité. Le découplage absolu ne s’est jamais positivement produit. Pire, on assiste actuellement à un recouplage : pour un point de PIB supplémentaire, on consomme plus de matériaux qu’il y a 20 ans.

4°) Enfin on ne fait pas ce qu’il faudrait faire : décroître. Deux évolutions :

– On se fiche de l’écologie comme de l’an quarante, et on ne jure que par la croissance. Dominique Bourg, philosophe à Lausanne : « Si vous ne vous intéressez pas à l’écologie, l’écologie, elle, s’intéresse à vous. » Car l’écologie concerne tout le monde. Or on est au seuil du basculement de la BC.

– L’autre évolution est la dégringolade de l’EE, beaucoup plus rapide que prévue. C’est le seul imaginaire qui tienne la route. Les décroissants ont raison dans leur volontarisme, mais ils sont seuls, et quand on est seul, on a tort. Leurs idées auraient dû être mises en application dès les années 70. On est dans le déni en entretenant le mythe du découplage. En définitive, le seul imaginaire possible est l’effondrisme. Ce que nous enseigne la dynamique des systèmes.

Peut-on encore choisir ? Il faut sortir du déni, arrêter d’exploiter la Nature, l’aider à se régénérer. Ou alors on se croit invincible, et la décroissance sera rapide, brutale, avec son cortège de pénuries, de panique, de chaos, de violences. Pour éviter ces pires, nous avons besoin de repeupler nos imaginaires, de les meubler de récits. Car le premier scenario est farfelu, c’est celui de Trump. Le deuxième est très en retard, pas mis à jour : qui sait ce qu’est le Jour du Dépassement ? Ce scenario est celui de Macron, de l’Union Européenne.

Le troisième est celui de ceux qui croient en la croissance économique sans dégât écologique, c’est celui des COP, décrit dans l’article 3 alinéa 5 de leurs rapports, où la croissance économique doit rester incontournable, comme relatée dans le rapport Brundtland en 1987 (« Notre Avenir à Tous ») sur la première définition du développement durable. C’est aussi celui des Objecteurs de Croissance, inaudibles. Tout va donc se jouer dans le quatrième scenario, où l’effondrement peut être brutal, ce que nous promettent les survivalistes, décrits par Hollywood à longueur de métrages post-apocalyptiques. Ces survivalistes sont bellicistes et créent les conditions de conflits multiples, en juxtaposant des territoires bunkérisés : leur vision n’est pas résiliente. La vision des partisans des Villes en Transition (« Transition Towns » de Robert Hopkins), plus douce, est celle du développement de zones de résilience : elle décrit une entraide et une résilience à l’échelle locale. C’est aussi la position qu’a adoptée Pablo Servigne dans son dernier ouvrage : « Une autre fin du Monde est possible », paru en 2018. Ou la résilience passe par l’entraide, « l’autre loi de la jungle ».

 

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