
Titulaire d’un doctorat en économie, Anne-Marie Geourjon est responsable de programmes à la Ferdi, et expert pour le FMI en politique fiscale et administration douanière. Elle a occupé le poste de Maître de Conférences à l’Université Clermont Auvergne puis de Conseiller en assistance technique au Département des finances publiques du FMI (Washington, DC). Bertrand Laporte est maître de conférences-HDR à l’Université Clermont Auvergne, membre du Cerdi (centre d’étude et de recherche sur le développement international) et expert pour le FMI
Supprimer l’octroi de mer ! Dans un rapport passé inaperçu en pleine pandémie fin avril, les chercheurs Anne-Marie Geourjon et Bertrand Laporte en arrivent à la conclusion qu’il faut supprimer cette imposition propre aux départements et régions d’outre-mer.
À la demande du ministère des Finances, ils se sont donc penchés sur l’efficacité de l’octroi de mer. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils n'y vont pas par quatre chemins. Ils remettent en cause son existence même puisqu’il représente, selon eux, "un outil dévoyé et inefficace de politique fiscale". (...) Au vu des nombreux inconvénients de l’octroi de mer, l’objectif final d’une réforme du système actuel de l’OM devrait sans nul doute viser sa suppression", préconisent-ils tout bonnement.
Point par point, arpentons ensemble leur rapport réalisé au sein de la FERDI (la Fondation pour les études et recherches sur le développement international) et pour le compte de Bercy.
L’évolution de l’octroi de mer : un droit de douane devenu une taxe difficilement maîtrisable
Une absence de visibilité
Un mécanisme complexe source d’inefficacité
La multitude de taux rend le système peu lisible, aussi bien pour les décideurs que pour les bénéficiaires
Sa suppression engendrerait une baisse des prix à la consommation…
…ainsi qu’une réduction du nombre de demandeurs d’emploi
Quelle solution pour compenser sa suppression progressive ?
Quel calendrier ?
"En 2014, le régime actuel de l’octroi de mer a été reconduit jusqu’au 31 décembre 2020 par une décision du Conseil européen. Ce dispositif, considéré comme transitoire, ne peut plus être reconduit en l’état, sa réforme au cours des prochains mois est donc indispensable", mentionnent les deux chercheurs auteurs de ce rapport.
À la demande du ministère des Finances, ils se sont donc penchés sur l’efficacité de l’octroi de mer. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils n'y vont pas par quatre chemins. Ils remettent en cause son existence même puisqu’il représente, selon eux, "un outil dévoyé et inefficace de politique fiscale". (...) Au vu des nombreux inconvénients de l’octroi de mer, l’objectif final d’une réforme du système actuel de l’OM devrait sans nul doute viser sa suppression", préconisent-ils tout bonnement.
Point par point, arpentons ensemble leur rapport réalisé au sein de la FERDI (la Fondation pour les études et recherches sur le développement international) et pour le compte de Bercy.
L’évolution de l’octroi de mer : un droit de douane devenu une taxe difficilement maîtrisable
"« L’octroi aux portes de mer » est un impôt créé par Colbert en 1670 afin de protéger les colonies françaises. La taxe appliquée aux produits importés dans les territoires d’outre-mer visait à favoriser la production locale, et permettait de mobiliser des recettes au profit des communes. Ses effets étaient équivalents à ceux d’un droit de douane avec la spécificité de s’appliquer à toutes les « importations », y compris celles de la métropole. (…) L’OM a cessé d’être un simple droit de douane en 1992, date de création de l’OMI qui est une taxe indirecte interne, dont par nature, l’objectif est uniquement la mobilisation de recettes. Ce dévoiement de la taxe initiale a conduit à un système hybride, difficilement maitrisable, et dont l’évolution reste problématique. La composante « droit de douane » de l’OM dépend du différentiel de taux entre deux « taxes » : l’OME et l’OMI qui n’ont ni le même objectif initial, ni la même assiette, ni la même nature…"
Une absence de visibilité
"L’OM est un système instable et non prédictible. Les taux peuvent être modifiés par les conseils régionaux de Guadeloupe et de la Réunion, les assemblées de Martinique et de Guyane, et le conseil départemental de Mayotte plusieurs fois par an, à n’importe quelle fréquence. Par exemple, en 2017, ils ont été revus trois fois : en mars, en juin et en décembre. Les opérateurs économiques, comme les administrations, doivent ainsi se tenir informés à tout moment. Pourtant, il est reconnu que la stabilité de la loi fiscale, au moins au cours d’un exercice budgétaire, est favorable à une réaction positive des contribuables aux signaux qu’elle est censée donner pour modifier les comportements des agents économiques. La fréquence autorisée des changements de taux encourage les modifications ad hoc, notamment pour augmenter les taux afin de mobiliser davantage de recettes.
Le risque est d’aboutir à des incohérences de taux, et de susciter un accroissement des demandes d’exonérations en réponse aux hausses de taux. Le rapport réalisé en 2019 par l’Autorité de la concurrence relève ainsi que des produits importés non produits localement ont des taux d’OM élevés. Le dernier document relatif au dispositif de l’exonération d’OM suite à la délibération du Conseil régional de Guadeloupe du 23 décembre 2019 illustre bien la pléthore d’exonérations : c’est un document de 527 pages qui précise les 126 activités locales éligibles ainsi que les longues listes de produits concernés."
Un mécanisme complexe source d’inefficacité
"La complexité du système de l’OM découle principalement de trois facteurs : les exonérations, la multitude de taux, et les écarts entre les taux. La multitude des exonérations, qui par définition sont des exceptions au droit commun, est en soi une complication. Les mécanismes prévus pour en bénéficier viennent renforcer cet effet. L’éligibilité des activités locales implique des démarches fastidieuses alors même que certains producteurs éligibles aux exonérations d’OME ne peuvent pas en bénéficier s’ils n’importent pas directement leurs intrants. En dehors des modalités précisées dans les textes, la possibilité de faire des demandes spécifiques en dehors de celles-ci par lettre à l’autorité compétente, rend le système encore moins transparent. Cette pratique accroit le risque de décisions discrétionnaires et favorise une fois de plus les rentes de situation et leurs effets négatifs."
La multitude de taux rend le système peu lisible, aussi bien pour les décideurs que pour les bénéficiaires
"Le grand nombre de taux pour l’OM rend le système moins simple à maitriser aussi bien pour les décideurs que pour les bénéficiaires alors que le mécanisme est déjà en lui-même très compliqué. L’OM est pour les activités locales équivalent à un droit de douane. Le niveau de la protection offerte ne dépend pas d’un taux, mais de deux taux, celui de l’OME et celui de l’OMI, ce qui n’est pas simple et rend le système difficilement lisible. C’est encore plus compliqué dans la mesure où un grand nombre de taux peuvent s’appliquer. Il existe par exemple 5 taux différents pour les eaux consommables en Guadeloupe en 2019. (…). La complexité du mécanisme de l’OM le rend inefficace car ses effets sont difficiles à évaluer et à maitriser et qu’il conduit à un gaspillage important de ressources. La charge de travail pour les administrations est importante et les opérateurs économiques sont incités à des comportements de recherche de rente au détriment de l’efficacité économique."
Sa suppression engendrerait une baisse des prix à la consommation…
"Avec la suppression de l’OM, la baisse du niveau général des prix dans les quatre DOM est significative, en moyenne entre 4,6% (Martinique) et 9% (Guyane), toutes choses égales par ailleurs, et sous réserve que les commerçants répercutent entièrement sur leurs prix la baisse du niveau de taxation. L’effet est encore plus important pour les populations les plus pauvres en raison de la part plus élevée de l’alimentation dans leur consommation (de l’ordre de 12 points de pourcentage de plus que la moyenne pour chacun des DOM) et d’un taux d’OM moyen plus élevé sur les biens alimentaires (entre 11,78% et 15,47% selon les DOM) que sur les biens non alimentaires (entre 6,53% et 7,45% selon les DOM). L’OM a donc un impact significatif sur le niveau général des prix. Sa suppression devrait donc se traduire par une baisse des prix, particulièrement sensible pour les ménages les plus pauvres."
…ainsi qu’une réduction du nombre de demandeurs d’emploi
"La baisse des prix à la consommation attendue entraînera une augmentation de la demande globale, hausse qui compensera l’effet de la baisse de l’offre des secteurs dé-protégés. L’augmentation de l’activité induite pourrait se traduire par une augmentation du PIB par tête de 1% à 2%, et réduire ainsi l’écart avec la métropole de 1,5% à 4%, selon les DOM. L’effet net sur l’emploi serait significatif, avec une réduction du nombre de demandeurs d’emploi de plus de 4% en Guyane et en Guadeloupe, de 2% à la Réunion."
Quelle solution pour compenser sa suppression progressive ?
"La TVA apparaît comme l’outil le plus efficace pour mobiliser des recettes. Elle est aussi économiquement neutre pour les opérateurs assujettis, ce qui constitue un avantage supplémentaire. Une augmentation des taux actuellement en vigueur dans les DOM sera ainsi nécessaire. Les taux aujourd’hui appliqués dans les DOM (hormis Guyane et Mayotte) sont de 2,10% pour le taux réduit et de 8,5% pour le taux majoré, ce qui constitue un écart significatif relativement aux taux métropolitains respectivement de 5,5% et 20%. Les droits d’accises, notamment sur les tabacs pourraient également être utilisés pour combler une partie des pertes de recettes d’OM. En tout état de cause, en raison de la restructuration du tissu économique nécessaire pour accompagner la suppression de l’OM, cette dernière devra être progressive et la durée de la période de transition, permettant aux agents économiques de s’adapter, est à déterminer."
Quel calendrier ?
"En 2014, le régime actuel de l’octroi de mer a été reconduit jusqu’au 31 décembre 2020 par une décision du Conseil européen. Ce dispositif, considéré comme transitoire, ne peut plus être reconduit en l’état, sa réforme au cours des prochains mois est donc indispensable", mentionnent les deux chercheurs auteurs de ce rapport.

Ministres et élus locaux sont-ils désormais prêts, en 2020, à une évolution de l'octroi de mer ? Le 1er juin 2015, George Pau-Langevin faisait part de sa « satisfaction après l’adoption sans opposition, par l’Assemblée nationale, du projet de loi modifiant la loi devant permettre la reconduction au 1er juillet 2015 de ce régime fiscal spécifique aux DROM qui est à la fois une source de financement des collectivités territoriales et un outil indispensable pour stimuler le développement économique »
En conclusion de leur étude, ils privilégient la mise en oeuvre d’un scénario conduisant à la suppression progressive de l’octroi de mer sur 5, 7 ou 10 ans. "Le choix de la durée de la période de transition sera essentiellement politique. Le calendrier devra toutefois être clairement annoncé afin de donner une visibilité aux opérateurs économiques, ainsi qu’aux administrations", avisent-ils, bien conscients de l’effet que provoquera leur rapport alors que l’octroi de mer a par exemple été maintes fois défendu au Parlement, comme ici en 2004, dans un autre rapport présenté par Roland du Luart et qui faisait valoir son mécanisme devenu indispensable pour l'Outre-mer.
Contactés, les auteurs de ce rapport nous confirment que "leur conclusion est basée sur un avis technique qui ne tient pas compte des contraintes politiques", déclare Bertrand Laporte. Bercy devra sans doute faire preuve de beaucoup de persuasion auprès des élus locaux si le ministère des Finances prend à son compte cette préconisation d'ici la fin de l'année.
L'octroi de mer constitue en effet la première ressource fiscale des communes des régions d'outre-mer et sa suppression viendrait à contre-courant des discours officiels de ces dernières années.
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Le rapport dans son intégralité : Impact économique de l'octroi de mer dans les départements d'Outre-mer français
Contactés, les auteurs de ce rapport nous confirment que "leur conclusion est basée sur un avis technique qui ne tient pas compte des contraintes politiques", déclare Bertrand Laporte. Bercy devra sans doute faire preuve de beaucoup de persuasion auprès des élus locaux si le ministère des Finances prend à son compte cette préconisation d'ici la fin de l'année.
L'octroi de mer constitue en effet la première ressource fiscale des communes des régions d'outre-mer et sa suppression viendrait à contre-courant des discours officiels de ces dernières années.
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Le rapport dans son intégralité : Impact économique de l'octroi de mer dans les départements d'Outre-mer français