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Covid-19 : Les Outre-mer entre inégalités sociales et urgence de résilience

L’épidémie du Covid-19, qui a débuté en novembre 2019 à Wuhan en Chine, a aussi touché l’Outre-mer français, même s’il l’a été plus tardivement que l’Hexagone. Les premiers cas ont été détectés à Saint-Barthélémy et à Saint-Martin le 1er mars et pour l’instant le taux de contamination et le taux de mortalité semblent moins élevés […]

Ecrit par Vincent Defaud – le mardi 14 avril 2020 à 18H31

L’épidémie du Covid-19, qui a débuté en novembre 2019 à Wuhan en Chine, a aussi touché l’Outre-mer français, même s’il l’a été plus tardivement que l’Hexagone. Les premiers cas ont été détectés à Saint-Barthélémy et à Saint-Martin le 1er mars et pour l’instant le taux de contamination et le taux de mortalité semblent moins élevés qu’en France métropolitaine. Bien sûr les chiffres sont en constante évolution. Globalement les Outre-Mer sont au stade 1 ou 2 de l’épidémie tandis que la Métropole en est au stade 3. Par ailleurs le nombre exact de contaminés est sûrement minoré Outre-mer en raison de l’insuffisance de matériel de dépistage sur place. Des syndicats antillais et diverses personnalités politiques, juristes, personnels soignants ou tout simplement des citoyens issues des Outre-mer ont d’ailleurs porté plainte devant les tribunaux administratifs contre l’État, les ARS, les Centres Hospitaliers pour obliger l’administration à fournir à nos territoires des masques de protection et à procéder localement à des tests massifs. Mais les juridictions concernées, après quelques atermoiements, ainsi que le Conseil d’État ont déboutés les plaignants. Pourtant à la suite de l’épidémie de chikungunya qui a frappé durement l’île de La Réunion en 2006, mais aussi à cause de l’explosion des maladies tropicales telles que la dengue, le zika et face aux maladies émergentes (SRAS, grippe A (H1N1)), un grand nombre d’élus locaux estiment qu’il faut revoir la gouvernance sanitaire de nos territoires pour aller vers une gestion locale, régionalisée, des politiques de santé pour être plus efficients dans la gestion et plus réactifs dans la prise de décision en tenant compte des contextes locaux. L’idée est de prendre les décisions politiques au meilleur échelon pour le bien-être et la santé de nos populations.

A ce propos, depuis des mois les élus d’Outre-mer alertaient le gouvernement sur le piteux état de leur système de santé et singulièrement celui des hôpitaux. Finalement l’opération “Résilience” du Président de la République avec l’envoi de l’armée en soutien logistique pour l’acheminement et la distribution de denrées alimentaires et de matériel médical est significatif des carences actuelles de l’État en Outre-mer

Inédit par sa vitesse de propagation, le virus du Covid-19 a infecté les Outre-mer par les échanges aériens et par le tourisme de croisière. En effet, les premiers touchés par le Covid-19 étaient des personnes qui revenaient de bateaux de croisière ou d’un voyage en France métropolitaine. Cette source d’infection et de propagation de la maladie a provoqué d’ailleurs des mouvements de colère en Martinique et à La Réunion, où des collectifs citoyens ont voulu empêcher le débarquement des croisiéristes à quai. De même une certaine pression populaire a réclamé l’arrêt des vols entre la métropole et les destinations d’outre-mer par crainte d’une diffusion massive du virus. C’est finalement le gouvernement autonome calédonien qui le premier a décidé de suspendre tous les vols commerciaux à destination du pays par crainte d’une propagation du virus en Nouvelle-Calédonie. Les autorités préfectorales des autres collectivités territoriales ont ensuite suivi un chemin similaire en réduisant drastiquement les liaisons aériennes entre la Métropole et les Outre-Mer. A ce titre, il serait bon que les décisions de ce type se prennent par les autorités régionales qui peuvent mieux évaluer localement la gravité de la situation de crise sanitaire. Les collectivités régionales auraient ainsi une plus grande autonomie décisionnelle.

Le modèle de développement basé exclusivement sur le tourisme de masse et de croisière, particulièrement aux Antilles avec des touristes venus de lointaines et riches contrées (Europe, Amérique du Nord, Japon), montre rapidement ses limites avec l’avènement des risques majeurs (maladies, cyclones, terrorisme, piraterie, conflits armés, récession économique comme annoncée avec la crise du Covid-19) qui rendent nos territoires dépendants d’aléas internationaux, de facteurs extérieurs sensibles et fragiles mettant en péril des pans entiers de nos économies locales. Il est bien plus préférable, pour nos économies ultramarines, de miser sur un tourisme local respectueux de l’environnement et de nos patrimoines culturels et naturels.

Quant au modèle agricole, il est à bout de souffle. Plutôt que de produire de la canne à sucre et de la banane destinées à l’exportation, il est préférable d’orienter nos modes de production vers une agriculture vivrière saine et durable qui approvisionnent nos populations en fruits, légumes, viandes et produits laitiers en garantissant la sécurité alimentaire de nos territoires pour sortir de cette dépendance. 

Nous avons en Outre-mer les ressources locales en matière agricole. Nos agriculteurs sont formés dans d’excellents établissements d’enseignement agricole. C’est une profession qui s’adapte rapidement aux réalités économiques, qui est organisée dans des syndicats et coopératives de producteurs et qui est depuis longtemps dans une démarche de qualité et de diversification agricole, dans le maraîchage, dans l’horticulture, l’élevage et l’éco-tourisme.

Alors que nos paysans, nos sols et nos terres agricoles permettent de nourrir largement nos populations, la réalité du confinement et de la réduction des échanges avec la métropole nous montre que des pénuries alimentaires voire des crises alimentaires sont à craindre à très brève échéance. Ainsi les autorités ont instauré par exemple un pont aérien entre La Réunion et Mayotte pour approvisionner l’île aux parfums en denrées alimentaires. De même, signe de la grande misère sociale qui frappe nos territoires, les demandes de colis alimentaires affluent dans les mairies, les associations caritatives et dans les antennes des Conseils Départementaux. Saluons ici l’engagement des élus locaux, des fonctionnaires territoriaux, des agents des CCAS (Centres Communaux d’Action Sociale), des travailleurs sociaux des Départements et des nénévoles associatifs qui prennent des risques pour livrer aux plus démunis un nombre toujours plus important de colis alimentaires. 

La réduction de notre dépendance alimentaire est une urgence absolue. La puissance publique doit accompagner les opérateurs locaux à créer des filières agro-alimentaires locales, en misant sur l’innovation (transformation des produits frais d’origine végétale et animale, conserveries, minoterie, etc…) dans chaque entité territoriale d’outre-mer tout en évitant également les situations monopolistiques que ce soit dans l’industrie,  la grande distribution ou encore l’import/export. 

Cette remarque est valable pour l’ensemble du tissu industriel. La crise du Covid-19 a révélé la faiblesse structurelle des industries locales d’outre-mer (par exemple l’industrie textile) mais aussi le génie des entrepreneurs locaux qui ont adapté leur outil industriel pour fabriquer des masques en tissu par les couturières locales pendant que les rhumiers antillais ou réunionnais se lançaient dans la production de solution hydroalcoolique avec le stock d’alcool dont ils disposent. Le génie d’outre-mer, ce sont aussi les artisans qui possèdent une imprimante 3D et qui réalisent des visières et des plaques de plexiglass en un temps record. L’outre-mer français est riche de ses talents qui ne demandent qu’à éclore et pas seulement en temps de crise.

Le développement industriel Outre-mer passe aussi par la constitution par exemple des filières textiles, ameublement, verrerie et électro-ménager qui peuvent très bien se déployer localement en puisant leurs matières premières dans les ressources issues de l’économie circulaire et du recyclage. Les pouvoirs publics doivent être en première ligne pour accompagner et soutenir les porteurs de projets industriels dans ces domaines en adaptant au passage une fiscalité encore plus avantageuse et protectrice pour toutes nos productions locales.

L’économie des outre-mer par principe devra être diversifiée et s’inscrire dans une logique de coopération économique régionale (Caraïbes, Océan Indien, Océanie). Ainsi la bioéconomie qui regroupe plusieurs secteurs en lien avec l’utilisation de la biomasse (agriculture, forêt, agro-alimentaire, énergies durables) est appelée à devenir un des piliers de ce nouveau modèle durable, plus autonome donc moins dépendant – notamment aux énergies fossiles – et par conséquent moins vulnérable, plus résilient. Dans ce cadre, les nouvelles mobilités durables pourront également y trouver des solutions innovantes et soutenables (vecteur hydrogène par exemple).

La crise sanitaire du Covid-19 met en relief les fortes dépendances (énergie, alimentation, produits finis de première nécessité, matériel médical) et souligne les profondes inégalités sociales qui perdurent outre-mer : logement indigne, accès à l’eau potable, fracture numérique – comment suivre des cours en ligne quand les foyers modestes n’ont ni électricité, ni connexion internet, ni matériel informatique ? –, faiblesse du pouvoir d’achat, échec scolaire, faiblesse de l’emploi industriel, fréquence de pathologies telles que l’obésité, le diabète, l’hypertension qui rendent les individus plus fragiles face au coronavirus… Voilà les priorités d’action pour faire de nos collectivités des territoires résilients prêts a affronter les prochaines crises climatiques.  Car ne l’oublions pas le coronavirus n’est pas la première ni la dernière crise liée à l’action de l’homme sur l’environnement. Le monde “d’après” sera encore confronté à des crises écologiques sans précédent et au changement climatique qui va exposer l’Humanité, en premier lieu les Outre-Mer, à des risques majeurs (glissements de terrain, effondrement d’une très riche biodiversité dont le récif corallien, cyclones dévastateurs, tsunamis/montée du niveau des océans). À cet effet, il nous faut impérativement mobiliser tous les moyens – circuits courts, énergies durables, économie circulaire, relocalisations, renforcement des coopérations régionales… – les ressources, les compétences et les volontés vers cet objectif d’autonomie durable et résiliente, seule capable de répondre aux urgences sanitaire, économique et sociale, climatique auxquels sont confrontées, de manière encore plus prononcée, les Outre-mer.

 

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