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Covid-19: Le tourisme international coupable et victime à la fois

Nous avons interrogé Jean-François Hoarau, Professeur des universités en sciences économiques au CEMOI (Université de La Réunion), quant à l'impact économique du Covid-19, ainsi qu'à la part de responsabilité du tourisme international de masse, en particulier à La Réunion. Entretien.

Ecrit par Nicolas Payet – le dimanche 05 avril 2020 à 17H10

Zinfos974: Peut-on mesurer aujourd’hui l’impact économique de la crise sanitaire du Covid-19 ?

Jean-François Hoarau: Il est difficile aujourd’hui de donner une mesure précise des conséquences économiques du Covid-19. Il est encore trop tôt pour mener des études d’impact sérieuses, et cela dépendra notamment de la durée et de l’intensité de la crise, de la force et de l’efficacité des mesures de lutte prises par les Etats et de la nature même de chaque pays selon les secteurs d’activité les plus exposés.

Ce que l’on peut dire néanmoins, en suivant les conclusions d’un récent rapport de l’OCDE, est que toutes les économies du monde seront touchées de manière significative. Cette pandémie constitue, contrairement aux grandes crises de 1929 et 2008, un choc négatif venant du secteur réel avec la double dimension offre et demande. L’OCDE considère que les mesures de confinement mises en œuvre par les différents pays pour une durée de 1 mois devraient provoquer une baisse immédiate de l’activité économique (par rapport à un scénario sans crise) de l’ordre de 20% à 35% selon les pays, ce qui équivaut à une baisse de la croissance du PIB annuel d’environ 2% pour chaque mois de confinement. A l’exception peut-être du commerce alimentaire, aucun secteur n’échappe à la crise.

Le secteur du tourisme est-il particulièrement touché ?

Oui. C’est indéniable. La menace d’une épidémie, quelle qu’elle soit, est généralement suffisante en soi pour décourager la demande en matière touristique. La littérature a démontré à de nombreuses reprises, notamment pour le SARS en 2003, le Chikungunya en 2005-2006 ou encore la grippe A/H1N1 en 2009, que les pays touchés par une épidémie voient leur fréquentation touristique s’effondrer rapidement, même cette fréquentation finit par rebondir fortement après la crise.

Toutefois, pour le Covid-19, il faut y ajouter l’impact des mesures de restrictions fortes sur les vols commerciaux et la fermeture obligatoire des établissements et lieux culturels qui devraient à la fois aggraver et allonger la durée du choc subi par la filière. L’OFCE estime pour la France que les pertes pourraient tourner autour de 14 milliards d‘euros par mois. Il est évident que plus un pays est
dépendant du tourisme, plus l’impact de la crise sur son niveau global d’activité économique sera élevé.

On parle souvent du tourisme comme une victime des épidémies infectieuses et on oublie de préciser qu’il peut aussi en être la cause. Qu’en pensez-vous ?

C’est très juste. Là encore, la littérature est consensuelle sur le fait que le tourisme est un vecteur très puissant d’émergence et de propagation des épidémies infectieuses. Pour être tout à fait complet, plusieurs facteurs d’émergence ont été identifiés, à savoir le niveau général du développement humain, l’urbanisation et la concentration de la population, le degré d’ouverture des territoires, l’information et la communication et ce qui nous concerne directement ici le flux des personnes à travers le phénomène migratoire et surtout le tourisme international.

Le développement sans précédent du tourisme international (et donc des flux de population qui le caractérisent) sur les 50 dernières années a brisé les frontières permettant aux individus de voyager plus, plus loin et plus vite. Malheureusement, cela a également permis aux virus de se « mondialiser » avec la possibilité de faire le tour du monde en seulement 36 heures. Par ailleurs, les aérogares, les avions et les bateaux de croisière sont également reconnus comme des lieux de propagation importante de plusieurs maladies infectieuses.

Cette relation de cause à effet est-elle vérifiée pour le Covid-19 ?

Les premières estimations économétriques que je viens de réaliser sur un échantillon mondial en coupes transversales tendent en effet à montrer une corrélation forte entre le nombre de cas de Covid-19 (au 30 mars 2020) et le nombre d’arrivées touristiques internationales annuelles (de l’année précédente). De plus, cette forte corrélation semble se matérialiser en une relation positive
et significative entre les deux variables. En clair, toutes choses étant égales par ailleurs, plus un pays est attractif en matière touristique et plus il est susceptible d’être sérieusement touché par la maladie.

Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les 7 pays de loin les plus touchés par la pandémie au 7 pays les plus attractifs sur le plan touristique. L’on retrouve par ordre d’attractivité touristique la France, l’Espagne, les Etats-Unis, la Chine, l’Italie et le Royaume-Uni. A noter la présence de l’Iran parmi les pays fortement touchés que nous ne pouvons pas expliquer par la variable touristique. La corrélation forte et la relation positive entre nombre de cas de Covid-19 et attractivité touristique se confirment également sur l’échantillon restreint des petites économies insulaires dont les territoires et départements d’Outre-Mer.

Ceci est d’autant plus inquiétant que bon nombre de ces économies sont hautement dépendantes du tourisme international. Ce constat conforte un résultat que nous avions déjà trouvé dans le cadre d’une étude sur la vulnérabilité des économies insulaires au changement climatique : un modèle de développement économique basé sur la spécialisation touristique est trop vulnérable pour être considéré comme soutenable à moyen et long terme dans le contexte insulaire.

Qu’en est-il pour La Réunion ?

Le cas de La Réunion apparaît spécifique. En effet, au 30 mars 2020, elle est le 5 ème territoire le plus touché en termes de nombre de cas de Covid-19 (224 cas, et encore les chiffres sont largement sous-estimés par défaut de dépistage suffisant) dans l’ensemble des petites économies insulaires (58 territoires considérés). Seuls l’Islande (1020), Singapour (879), Hong-Kong (582) et le Bahreïn (515) font pire même si la courbe d’évolution semble se stabiliser pour ces quatre pays sur la dernière semaine (ce qui n’est pas le cas pour La Réunion).

Pourtant, La Réunion est loin d’être une petite économie insulaire touristique puisqu’elle se situe à la 21 ème place avec 525 000 arrivées touristiques en 2018. Ce décalage pourrait s’expliquer par un nombre conséquent de flux touristiques sortants, c’est-à-dire des touristes locaux qui partent à l’étranger et ramènent avec eux le virus. De ce point de vue, la période des vacances de mars a été décisive. Le retard de la mise en œuvre des mesures de gestion de crise en contexte insulaire par les autorités a aussi joué vraisemblablement un rôle significatif.

Dans le cadre de cette crise sanitaire, avez-vous des recommandations économiques à formuler pour le territoire de la Réunion ?

Regardons d’abord ce que représente la filière tourisme dans l’économie réunionnaise. Une étude commandée par l’IRT en 2018 a révélé que les recettes touristiques dans leur ensemble (internationales et locales) représente 1,51 milliards d’euros, soit environ 8% du PIB territorial. Ces recettes globales se décomposent entre 350 millions pour le volet international et 701 millions pour le volet domestique.

Le tourisme réunionnais est par conséquent, comme le reste de l’économie d’ailleurs, largement tourné vers le marché local (pour les 2/3). Aussi, l’importance modérée et la composition structurelle de son tourisme offrent à la Réunion la possibilité de transformer un facteur de vulnérabilité initiale, en l’occurrence l’insularité, en facteur de résilience dans la gestion économique d’une crise sanitaire «importée». Dans le cas d’une pandémie comme celle du Covid-19, le meilleur choix serait de « sacrifier » de manière temporaire mais précoce le tourisme international, sachant qu’il ne représente que 2% du PIB global, pour pouvoir maintenir en régime normal toutes les autres activités économiques fortement orientées vers le marché local.

L’isolement et la discontinuité spatiale qui caractérisent l’insularité nous protègent naturellement d’une épidémie « importée » et des conséquences (économiques, sociales, éducatives, sanitaires) dramatiques provoqués par un confinement généralisé. Néanmoins, l’efficacité d’un tel sacrifice nécessite la réalisation conjointe de plusieurs conditions :

– La limitation très forte de l’entrée potentielle de personnes malades. Cela exige la fermeture temporaire de tous les vols commerciaux et de l’accès aux bateaux de croisière, à l’exception du fret et des rapatriements de résidents. Néanmoins, ces derniers doivent à leur retour faire l’objet d’une quarantaine stricte et obligatoire dans un lieu isolé. C’est ce qui a été fait par bon nombre de petites économies insulaires peu touchées pour le moment par la maladie (Aruba, Bahamas, Curaçao, Dominique, Jamaïque, Maldives, Malte, Sao-Tomé-Et-Principe, …) alors qu’un grand nombre d’entre elles sont très touristiques ;

– La garantie du bon fonctionnement des activités portuaires à l’importation et à l’exportation ;

– La création d’un fonds régional de solidarité à destination de la filière touristique « sacrifiée », abondé par les autres secteurs économiques protégés. Ce fonds doit permettre, en temps de crise exceptionnelle, aux entreprises concernées de compenser les pertes occasionnées par l’arrêt forcé de leur activité par une aide financière conséquente ;

– La capacité à anticiper localement et de manière précoce les risques sanitaires importés afin d’éclairer du mieux possible la prise de décision. La question du timing est cruciale puisque la décision du sacrifice du tourisme international ne doit être prise ni trop tôt ni trop tard;

– La capacité à prendre des décisions rapides et adaptées aux spécificités du territoire à l’échelon local. L’on revient à l’éternel débat sur l’autonomie politique de l’île dont on peut constater les vertus lorsqu’il s’agit de gérer efficacement une telle crise.

 

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