
Il m’en est arrivé une bien bonne, ce matin.
Lorsque j’étais plus jeune, mettons de 10 à 50 ans, je n’aurais jamais osé bousculer un " ancien " pour lui piquer sa place dans la file d’attente. Que ce fût en attendant le car, à la fontaine publique, à la boutique Chinois… JAMAIS ! Mon coquement lété assuré, à coups d’blouk ceinturon si i fallait. Mais cela ne me serait jamais venu à l’idée. Le respect, tu comprends ?
Ce matin, je me fais conduire, invalidité oblige, à l’agence bancaire rond-point du Boulevard Banks,Saint-Pierre. Quatre femmes attendent au guichet du dehors, quatre au guichet de l’antichambre. Je choisis l’antichambre, histoire de pouvoir m’appuyer au mur puisque la station verticale prolongée m’est pénible. Quatre femmes attendent là aussi.
Manque de bol, le guichet de l’antichambre se retrouve à court de liquide. Ni une ni deux, les quatre femmes se ruent vers l’extérieur. Moi aussi mais faute de " me précipiter ", vu mes béquilles, je claudique. Il y en a deux qui m’ont bousculé pour être sûres de ne pas perdre de temps.
Aucune ne s’est retournée pour savoir si ma verticalité était toujours valable.
J’arrive dehors bon dernier, bien sûr. Je me mets en bout de file et m’attire les regards compatissants, les sourires mielleux, les attitudes empathiques de toutes ces sacrées femelles. Je les aurais pilées.
Il était facile de constater que j’ai une station debout pénible. Mes béquilles en faisaient mille fois preuve. Eh ben non ! Elles s’en tapaient comme de leur premier coup de p... . Elles papotaient, ces grosses dondons. Elles ricanaient, ces vides-du-ciboulot. Elles vont sûrement à l’église, ces rombières du non-respect. Ces pétroleuses du chacun-pour-soi. Elles trempent leurs mains grasses et repoussantes dans le bénitier. Pour se crucifier de leur propre inhumanité ?
La dernière grosse vache avant moi expliquait à son pâle rejeton qu’il ne fallait pas se fier à un testament écrit sur le coin d’une table " car il ne vaut pas autant qu’un testament devant notaire ". J’espère qu’elle se reconnaîtra et les autres aussi. (Au passage, un testament olographe a pleine valeur s’il est authentifié, grosse c... !)
Je n’ai rien fait, rien dit. Je me suis appuyé au mur en me disant que bof, après tout, il y a pire dans la vie.
Mon pote Vally, qui m’avait emmené là, était outré.
Il était bien le seul.
Jules Bénard