Kripal Mandal était ouvrier. Il était parti travailler dans l’émirat pour nourrir sa famille et payer les frais de scolarité de ses cinq enfants. Il est mort d’une crise cardiaque au Qatar le 17 février dernier, à seulement 38 ans. Son décès n’est pas un cas isolé. Des milliers d’ouvriers travaillant sur les chantiers en lien avec la Coupe du Monde de football sont revenus au pays dans des cercueils en bois.
Les causes vagues des décès déclarées par les autorités qataris sont vagues comme « mort dans son sommeil » ou « mort naturelle ». Nombre de migrants vivent dans des conditions parfois extrêmement précaires, entre travail forcé et logements insalubres.
C’est ce que dénonce Manish, l’un des frères de Kripal, qui a lui aussi travaillé un temps au Qatar. Les travailleurs endurent un traitement inhumain. Ils sont forcés à travailler sans relâche, 12 heures par jour, six jours sur sept.
Le gouvernement népalais a mis en place une aide financière au rapatriement des corps. Si l’employeur du défunt refuse de payer pour renvoyer un corps, le Népal mobilise alors les ressources d’un fond d’aide sociale pour garantir l’envoi du cercueil et son transport. Le rapatriement d’un cadavre depuis les pays du Golfe coûte au minimum 300.000 roupies népalaises, soit 2.400 euros.
Mais tous ne sont pas éligibles à cette aide. Sur 4,5 millions de travailleurs immigrés, seulement 1,9 sont partis légalement. Et il faut impérativement être enregistré dans une agence de travail et avoir souscrit une assurance reconnue par le gouvernement pour obtenir cette assistance publique.
Au Népal, la société est basée sur le concept de la famille élargie. Un népalais qui a un salaire doit prendre en charge tout le reste de la famille. Quand celui-ci est renvoyé au pays et qu’il n’est plus apte à travailler, qui en supporte la charge ?
Dans la culture népalaise, travailler à l’étranger est une fierté sociale et c’est perçu comme un accomplissement qui offre une place dans la société. De même, des milliers de jeunes paysans népalais prennent la route des pays du Golfe pour fuir un mécanisme d’esclavage local appelé haruwa-charuwa. Haruwa désigne celui qui laboure la terre et charuwa celui qui garde le bétail.
L’Inde aussi compte des familles endeuillées et sans ressources. Ramsulu Pasawan laisse derrière lui quatre enfants. Il était bétonnier sur des chantiers du stade de football. La famille a un jour reçu un appel pour l’informer de la mort de Ramsulu et depuis tout a changé. Le corps a été enterré dans un cimetière au Qatar. Sanjit Pasawan, le fils, a dû mettre fin à ses études pour subvenir aux besoins de sa famille. Les décès des travailleurs immigrés ne font qu’accroître le problème de travail des enfants dans ces pays. Dans la famille Pasawan, le frère âgé de 7 ans travaille dans une pisciculture dans le nord du Népal. Sanjit déplore le fait que l’entreprise où son père travaillait reste insensible à leur sort. Ils n’ont rien reçu en termes de compensation ou de prime d’ancienneté bien que cet argent leur serait utile afin de continuer leur scolarité.
Shashi Kumari Yadav, employée de Safer Migration Project, une ONG spécialisée dans le conseil psychosocial aux femmes et enfants de travailleurs migrants, en fait son combat. Gayatri Mandal, mère de famille, explique comment son mari est revenu du Qatar en juin 2021 avec une insuffisance rénale. On lui avait fait la promesse d’un virement de 200.000 roupies pour couvrir les frais de sa greffe de rein. Malheureusement il est décédé avant l’opération et l’argent n’a jamais été versé. Depuis, le seul revenu de la famille est celui de leur fils de 13 ans qui travaille dans une usine de briques. A l’âge de 18 ans, il sera aussi appelé à partir au Golfe tout comme son père.