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Conventions collectives : Lettre ouverte à Madame la députée Monique Orphée

Madame la députée,   J’ai appris par la presse que vous vous opposiez à l’application immédiate à la Réunion des conventions collectives nationales et prévoyez, en conséquence, un amendement à la loi El Khomri. Cela ne me surprend pas outre-mesure. « Je propose, dites-vous, d’appliquer les conventions collectives (nationales) de façon progressive« . Dans un délai de […]

Ecrit par zinfos974 – le lundi 11 avril 2016 à 16H44
Madame la députée,
 

J’ai appris par la presse que vous vous opposiez à l’application immédiate à la Réunion des conventions collectives nationales et prévoyez, en conséquence, un amendement à la loi El Khomri.

Cela ne me surprend pas outre-mesure.

« Je propose, dites-vous, d’appliquer les conventions collectives (nationales) de façon progressive« . Dans un délai de trois ans. Et vous précisez : « Ma proposition consiste à relancer le dialogue social (…) en contraignant patrons et salariés à se mettre autour d’une table pour discuter« . Car, dites-vous encore, « il ne s’agit pas de déstabiliser notre système économique en appliquant tout systématiquement« .

Permettez quelques observations.

D’abord, cette affaire de l’application des conventions collectives nationales remonte à… 22 ans ! A la loi Perben de 1994 avec son article 16!

Dès le début, la CGTR, s’y est opposé. Elle a saisi la commission supérieure des conventions collectives, puis est partie en cassation sociale. Sans succès. Probablement à cause de ce « risque de déstabiliser notre système économique« .

Et vous proposez d’ajouter à ces 22 années, trois de plus !!!

Quant à « relancer le dialogue social« , il faut au moins reconnaitre que les organisations syndicales, dont la CGTR, n’ont pas attendu une loi pour l’engager. L’exemple du BTP est là pour le prouver. Mais, plus précisément dans le secteur de l’automobile, cela fait près d’une vingtaine d’années que les syndicats réclament l’application de la convention collective nationale, et plus de 10 ans que des négociations ont été engagées.

Pour que le lecteur comprenne, dans une convention collective, il y a ce qu’on appelle le « corps« , avec notamment la définition des postes, la classification, et puis, les « avenants« , et notamment de salaires, qui eux, son modifiés au fil du temps ( tous les ans).
Ce n’est pas le « corps » qui pose problème  mais bien l’avenant de salaires.

Dans l’automobile, le 16 décembre 2002 – il y a 14 ans – un protocole d’accord a été signé sur le « corps » de la convention. Les discussions sur l’avenant de salaire ont commencé en 2008, il y a sept ans. Elles ont été interrompues du fait des organisations patronales.

On se trouve donc depuis 14 ans dans une situation des plus abracadabrantesques : les ouvriers réunionnais sont classifiés sur la grille de classification de France. Avec les compétences de France. Appliquent, dans leur quotidien, des tâches telles que préconisent les constructeurs français, ainsi que la réglementation européennes en matière de réparation et des normes. La seule différence qui subsiste, ce sont les salaires et les dispositions conventionnelles: ce ne sont  plus alors des travailleurs de France ou d’Europe puisque leurs salaires sont « adaptés » voire « spécifiques » : des salaires cocotier quoi !

Est-ce là l’illustration de cette fumeuse « égalité réelle » dont on nous rebat les oreilles ?

J’ajouterai – ce que tout le monde ici connait d’ailleurs – que le prix des voitures, celui des pièces détachées, les coûts de réparation et autres, eux ne sont même pas « de France » puisque abondés, majorés  encore plus que de l’index de correction dont on parle tant ces temps-ci.

Dernier élément : ce ne sont pas les petites entreprises qui bloquent, mais les concessionnaires, et les grands groupes, certainement les plus fragiles et  qui connaissent les situations les plus difficiles. ! Les pôvres !

Alors, la question se pose de savoir à quoi correspond ce que vous appelez « relancer le dialogue social » ? Il n’y a que deux réponses à cette question :

Soit, il s’agit de mettre en place un échéancier, mais pour cela, nul besoin de longues discussions et à plus forte raison d’un amendement à la loi.

Soit, et là, c’est plus grave, il s’agit « d’adapter » la convention collective nationale à  ce qu’on appelle la « situation locale« . Pour déboucher sur une convention nationale bâtarde. Pour ne pas dire une convention « nationale cocotier« .

Alors, il faut le dire, franchement.

Votre argumentation renvoie à deux précédents.

Le premier, un « fâcheux précédent« . Il faut en effet savoir que cet article 16 de la loi Perben a été refusé par toutes les organisations syndicales de la Réunion. A l’exception d’une seule, la CFDT locale, qui a signé un accord interprofessionnel rendant possible cet article 16 de la loi Perben. J’ai enregistré la position affichée par le secrétaire général (national) Bernard Berger. Mais que de gâchis entre temps ! Payé au plus fort par les travailleurs !

Le deuxième, moins fâcheux, c’était la veille de l’élection présidentielle de 1988. Jacques Chirac, jusque-là  partisan de la « parité sociale » était opposé à l’égalité du SMIC. Un peu pour les mêmes raisons que vous d’ailleurs. Et là, considérant qu’il avait été induit en erreur par des technocrates prédisant une catastrophe économique et sociale, si d’aventure le SMIC de la Réunion était aligné sur le SMIC de France, changeait son fusil d’épaule et s’engageait à mettre en application la revendication syndicale. Ce qu’il a fait, une fois élu… sept ans plus tard Et, cet alignement du SMIC que d’aucuns redoutaient n’a provoqué aucune catastrophe. Bien au contraire.
Au fond, à vous lire, vous reprenez les mêmes arguments de Jacques Chirac d’avant 1988… près de 30 ans après ! Alors, la question est de savoir si vous, député socialiste et de gauche, êtes capable de cette petite révolution culturelle qu’a faite Jacques Chirac à cette époque. Autrement, ne soyez pas surprise si les travailleurs vous demandent trois années de réflexion et de dialogue pour savoir quoi faire aux prochaines échéances électorales.

Deux dernières observations.

Vous vous déclarez par ailleurs favorable à l’attribution d’un treizième mois aux fonctionnaires des collectivités territoriales. Vous avez raison. Je pense même qu’ils valent plus et mieux qu’un treizième mois. Pourquoi pas la titularisation… d’ici trois ans ?! Il n’y a manifestement pas que dans le secteur privé qu’il faut « relancer le dialogue social » !

Mais… n’y a-t-il pas une certaine contradiction entre cette demande et la prudence dont vous faites preuve à l’égard du secteur privé ? Ce qui est possible dans le secteur public ne le serait pas dans le secteur privé ? Au nom de quelle logique ? Parce que c’est de l’argent public ?

Dernière observation, mes camarades du BTP sont aujourd’hui en grève. Ils réclament 3% d’augmentation de salaire. Ce n’est pas la mer à boire, cela représente pour l’ensemble des salariés du BTP autour de dix millions d’euros. Répartis entre toutes les entreprises : davantage pour les plus grosses et moins pour les petites et toutes petites.

Par ailleurs, vous n’ignorez pas que tous les matériaux du BTP sont frappés de surcoûts : le ciment, le fer, le bitume, tout le matériel électrique, le bois…

Rien que pour le ciment, de l’ordre de 50% plus cher qu’en France, rapporté aux prix pratiqués et à la quantité consommée, cela doit tourner entre 25 et 30 millions d’euros. Alors,

  • 10 millions pour une quinzaine de milliers de travailleurs qui vont remettre aussitôt leur argent dans l’économie locale.
  • Le double ou le triple de « surcoûts« , rien que pour un produit, et qui va prendre le chemin de dehors. Sans rien laisser dans l’économie locale.

Qu’est-ce qui, à votre sens, « déstabilise (le plus) notre système économique » ? Vous ne croyez pas que cela mérite réflexion et, éventuellement, votre mobilisation ?
 
Georges-Marie Lépinay
Ancien secrétaire général de la CGTR, à la retraite

 

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