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Contre les réductions et les simplifications

L’association Espace pour Promouvoir l’Interculturel (EPI), dont je suis l’actuel président, a cru bon de réagir contre tout raidissement sur la question du port des signes ostensibles dans les écoles, les collèges et les lycées publics (Zinfos 974, 16/03/2018). Et ce, compte tenu des réactions négatives de certains groupes et/ou associations, pointant de ce fait […]

Ecrit par Reynolds MICHEL – le mardi 03 avril 2018 à 11H12

L’association Espace pour Promouvoir l’Interculturel (EPI), dont je suis l’actuel président, a cru bon de réagir contre tout raidissement sur la question du port des signes ostensibles dans les écoles, les collèges et les lycées publics (Zinfos 974, 16/03/2018). Et ce, compte tenu des réactions négatives de certains groupes et/ou associations, pointant de ce fait la contre-productivité de la directive du rectorat de La Réunion. 

Disons, pour éviter toute caricature de notre positionnement, que la laïcité est pour les membres d’EPI bien plus que la séparation-neutralité (L’État autonome et neutre, refus de toute religion officielle et liberté des Églises de s’organiser et de vivre), c’est la liberté de conscience liée à la non-discrimination pour raison de religion. Et évidemment, la liberté (collective) des cultes, sous la seule réserve de l’intérêt de l’ordre public. Mieux, la laïcité est pour nous émancipatrice grâce à la pensée critique et la raison, sans toutefois tomber dans l’illusion positiviste du XIXe siècle. A ce titre, elle est bénéfique aux religions elles-mêmes. Avec Mohammed Arkoun, je n’hésite pas à dire que « toute religion, privée des apports de la raison critique, est exposée aux dérives de la crédulité et aux manipulations des idéologues… En ce sens, la laïcité est une chance pour les religions » (La Croix, 26/06/2003).

La laïcité, ça s’apprend

À l’EPI, nous ne parlons pas de sacrilège, ni de blasphème et nous n’érigeons pas non plus la laïcité ou la raison en magistère souverain. Par contre, à l’EPI, nous parlons de dialogue, d’échange, d’interaction entre les porteurs de cultures et traditions diverses, mais également de lutte contre les formes de repli et d’enfermement en prônant le désenclavement des cultures. Bref, nous cherchons sur le terrain à défendre les valeurs de la laïcité et de l’interculturalité : liberté, égalité, respect d’autrui et de ses convictions, accueil de la diversité et de la différence, solidarité, fraternité… Pour nous, la laïcité, un pilier de notre vivre-ensemble, ne se résume donc pas à la lutte contre le « port des signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » (Loi du 15 mars 2004). Se focaliser exclusivement sur le port des signes religieux est, nous semble-t-il, un acte contre-productif. La laïcité, ça s’apprend en traduisant les principes en actes. Les enfants et les adolescents, comme nous tous, sont en attente de repères pour, selon les mots de Kant « s’orienter dans la pensée ».

Le problème n’est pas dans je ne sais quelle opposition fantasmée entre laïcité et vivre ensemble, mais réside souvent dans l’application du principe de la laïcité sur le terrain. Peut-être, comme le pense Nicolas Cadène, rapporteur de l’Observatoire de la laïcité, lors de son passage à La Réunion, parce que « il y a souvent une mauvaise interprétation de ce qu’est la laïcité, une mauvaise compréhension de celle-ci, et donc une mauvaise application des règles qui en découlent. » (Clicanoo, 24/10/2017). Quoi qu’il en soit, je pense que si le principe de laïcité doit être pensé à l’échelle nationale, son application doit être déclinée au plus près du terrain et des problématiques locales et par les acteurs locaux (élus, responsables religieux et associations). Le principe de la laïcité de l’État et de l’école peut et doit donner lieu à des concrétisations diverses selon les contextes. En outre, c’est sur le comportement qu’il convient d’être ferme, et non sur le vêtement. D’ailleurs, exclure tous les signes religieux visibles n’est pas conforme aux principes généraux du droit et à la tradition républicaine. Les signes discrets sont autorisés par la loi et la jurisprudence. « Il ne s’agit pas non plus de faire de l’école un lieu d’uniformité et d’anonymat, qui ignorerait le fait religieux (L’exposé des motifs du projet de la loi relatif à l’application … Cf. Le Monde, 09/01/2004).

Pas de défi de la laïcité dans l’île

À La Réunion, il n’existe pas dans l’ensemble de défi de la laïcité. « La société réunionnaise, est, d’une certaine manière, une réalisation in vivo de la laïcité ». Ce n’est pas une déclaration d’Idriss Issop Banian, mais d’un spécialiste de la laïcité française, M. Henri Pena-Ruiz (La laïcité, un combat – Entretien exclusif avec Henri Pena-Ruiz, In Témoignages, 28/08/2006). Dans la même ligne d’idées, écoutons Paul Vergès : « Je pense à ces cultures originelles qui, à l’ombre d’une religion dominante, ont poursuivi leur vie souterraine, jeté entre elles des passerelles et donné naissance à une communauté réunionnaise originale et plurielle. Oui, je pense à ce miracle de l’échange, qui a fait naître de cette diversité un seul peuple. Peuple de migrateurs, tous venus de quelque part, tous « étrangers », tous « immigrés » au départ, et qui, dans le partage d’un espace, de valeurs, d’idéaux et de combats communs, ont fait que, sur cette île, au fil des siècles, chacun est devenu, chaque jour un peu plus, un frère pour l’autre, en un mot un Réunionnais » (Intervention au Sénat. Cf. Témoignages 29/09/2005). D’autre part, Dominique Rivière a raison d’ajouter en soulignant que « notre tolérance religieuse provient [aussi] de l’école publique, laïque et obligatoire et de la loi de 1905 fondant notre laïcité » (Le Quotidien 20/03/2018).  

Tout cela pour dire, à tout le moins, que la laïcité ne pose globalement aucun problème dans notre île. D’autres diront plus volontiers qu’issue de notre processus de créolisation, la laïcité est notre art de vivre depuis longtemps. Quoi qu’il en soit, projeter je ne sais quelle ou quelle citation d’un prédicateur intégriste venu d’ailleurs sur notre réalité réunionnaise pour tenter de montrer que la  laïcité est loin d’être entrée dans les mœurs du monde religieux réunionnais ne fait pas honneur à la pensée rationnelle. C’est le moins qu’on puisse dire.

Certes, la quête identitaire qui traverse la société réunionnaise dans son ensemble depuis quelques décennies peut générer des effets pervers (repli communautaire, valorisation des identités uniques, juxtaposition d’identités singulières, essentialisation de la culture et de l’identité culturelle, opposition radicale entre « eux » et « nous » …). Mais, c’est là qu’intervient l’éducation interculturelle ou l’éducation à la citoyenneté. Cette éducation, il convient de le préciser, ne peut se faire efficacement que dans la prise en compte de la pluralité de la société réunionnaise. Voilà le défi à relever ensemble.

Il n’y a pas que les fondamentalistes religieux qui dénaturent la laïcité. « Ceux qui dénaturent la laïcité sont ceux qui en font un outil antireligieux, antimusulman, ce qui est une monumentale erreur sur le principe même de la laïcité » écrit Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, tout en constatant que « il est vrai qu’une réaction laïciste intégriste se développe depuis quelques années en France. » (J.-L Bianco, Une réaction intégriste se développe, Entretien, Le Monde, 21/01/2016). Pour Jean Baubérot, spécialiste des religions et de laïcité, « La laïcité est également menacée par ceux qui transforment la neutralité laïque, de moyen au service de la liberté de conscience et de non-discrimination, en fin en soi, ce qui la dénature » (Jean Baubérot, La laïcité me semble doublement menacée, Clicanoo, 07/12/2016 ; également Gare aux laïcarts extrémistes, Le Monde, 22/01/2016). 

Dire, par exemple : « La laïcité, c’est vider la religion de sa dimension communautaire », c’est faire de la laïcité un outil antireligieux. Car le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion implique le droit de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites (article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, ratifiée par la France.) Quant à la loi 1905, elle affirme, dans son l’article premier, que la République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes. C’est dire que l’État reconnaît et garantit la dimension sociale de la religion. La laïcité n’est pas la répression contre les religions.

Disons pour terminer que ce dont nous avons besoin à La Réunion, c’est d’une laïcité rassembleuse face aux fondamentalistes de tous bords.

 

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