Revenir à la rubrique : Société

Conséquences de l’engagisme: « Même à La Réunion je suis discriminé en tant que malbar 3 V »

Abady Egata Patché mène un combat depuis plusieurs années, celui de la reconnaissance de la souffrance endurée par ses ancêtres venus d’Inde en tant qu’engagés. Cette souffrance, selon lui, perdure de nos jours. Il en tient pour preuve la stigmatisation "malbars 3 V" (vilain, voleur, vantard) qui poursuivrait, quoi qu’ils fassent, les descendants des engagés à La Réunion. Le gérant d'entreprise de BTP à Saint-Paul nous livre le cheminement de sa réflexion qui débouche sur cette nouvelle plainte, six ans après la première.

Ecrit par 1639 – le mardi 11 janvier 2022 à 18H18

Zinfos : Qu’est-ce qui change par rapport à votre plainte de 2015 ?

Abady Egata Patché : Aujourd’hui, notre souffrance reste toujours en nous. Chaque fois qu’il y a une fête hindoue, on repense à ça. Nous on a vécu cette souffrance, on ne peut pas oublier. 

En 2015, la plainte n’avait pas abouti. Le procureur de la République de l’époque n’avait pas donné suite ?

Il n’avait pas répondu. On avait relancé une fois pour savoir si oui ou non il y avait une suite mais rien, donc nous voilà avec cette nouvelle plainte.

Vous allez au combat cette fois-ci avec de nouveaux avocats plus spécialisés ?

On peut dire qu’on part avec l’appui d’un avocat étranger. Je dis « étranger » parce qu’il a la même souffrance que nous. Ces ancêtres italiens, ses grands-parents, sont passés par la même situation. Il est fier de combattre pour nous. Il n’est pas là pour l’argent et mettre notre dossier en sommeil comme certains avocats de La Réunion avec qui il n’y a rien qui avance. C’est lui, Me Bianchi, qui fait avancer le dossier et il s’est entouré d’autres personnes, des avocats sensibles aux questions des droits de l’Homme.

Et aujourd’hui je ne suis pas tout seul. Ce combat c’est pour La Réunion entière. C’est pour la souffrance de tout le monde. On dit : « Nous sommes malbars », mais aujourd’hui il n’y a plus de malbars à La Réunion ! Nous sommes malbars métissés. 

Qu’est-ce qui vous a marqué dans votre enfance qui alimente le combat que vous menez aujourd’hui ?

Je pense surtout à mes parents qui ne sont pas partis à l’école. Ils ont dû faire du petit commerce au bazar. On avait pas beaucoup à manger. On était misère mais en famille on était quand même capables de s’entraider. Je suis en colère de n’être pas parti à l’école. Je n’arrive pas à m’exprimer en français couramment. 

Vous avez commencé à travailler très jeune ?

C’est plutôt l’école qui nous a foutus dehors. Si tout le monde allait à l’école, qui allait planter pour nous faire vivre ? Il y avait les enfants qui allaient à l’école et d’autres qui allaient planter. Voilà pourquoi on ne peut pas s’exprimer dans le monde. Ni en français, ni en anglais, ni en indien. Pourquoi on a perdu notre langue maternelle…

Le problème aussi c’est que quand vous arrivez en France, vous êtes discriminé. Et quand vous arrivez en Inde, vous êtes discriminé aussi parce que là-bas ils considèrent que tu as quitté ton pays, l’Inde, soit pour l’Angleterre, soit pour la France, et tu n’as plus le droit de venir ici. Sauf qu’ils ne vous le disent pas directement… Voilà, je n’ai plus d’endroit où partir. Je n’ai que La Réunion qui est mon pays. Dans tous les endroits où je vais je suis discriminé et même à La Réunion je suis discriminé en tant que malbar 3 V. 

Qu’avez-vous ajouté ou amélioré dans la plainte de 2021 par rapport à celle de 2015 ? 

Me Bianchi c’est un combattant. Il n’a peur de personne. Je vous dis clairement : le petit avocat de La Réunion il a peur. Moi je n’ai peur de rien. Je n’ai pas peur de mouiller la chemise. Je suis en colère et non violent en même temps. Je dis la vérité. Vous pouvez avoir le pognon comme vous voulez mais pour combattre pour vos ancêtres, il faut combattre contre l’Etat ! 

Quand j’étais en Inde, j’ai discuté avec un avocat indien et il me disait : « Mais pourquoi vous n’avez pas porté plainte depuis longtemps ? Regardez les Vietnamiens, les Marocains, les Algériens,… tous ont porté plainte contre l’Etat français. Pourquoi vous ne faites pas quelque chose ? »

Le combat que je mène c’est aussi pour la jeunesse demain matin. Parce qu’on est discriminés dans beaucoup de domaines. Regardez dans l’administration, tous nos dossiers ne passent pas. Pourquoi ? Parce qu’on est malbars ! 

Vous pensez qu’il existe ce genre de traitement ?

Bien sûr, à 99%. C’est le système qui n’est pas bon. Vous pouvez changer le maire comme vous voulez, ça sera toujours comme ça. Voilà pourquoi il faut que l’on remette un nouveau système à la place pour ouvrir le chemin à nos petits-enfants un jour et pour La Réunion.

Est-ce que vous avez l’impression que votre avis est partagé par d’autres personnes de la communauté indienne ?

À La Réunion, tout le monde souffre mais, par contre, tout le monde a peur. C’est la peur qui vous défend d’avancer parce que certains vont dire : « Mon patron c’est un zoreil, mon patron c’est un blanc », vous comprenez.

Concernant l’expression malbar 3 V que vous utilisez dans votre plainte pour appuyer votre démarche, ne pensez-vous pas qu’il s’agit simplement d’une blague un peu comme un Français peut charrier un Belge et vice-versa ?

Ce n’est pas pour rigoler. I met a ou plus bas qu’à terre. C’est différent ici, c’est une marque de l’esclavage de l’engagé. Je prends l’exemple d’un papier qu’on avait demandé au TCO pour continuer l’entreprise, il a fallu attendre 8 mois pour l’obtenir alors que la DEAL attendait le papier… C’est de la discrimination ! 

Vous pensez que c’est lié ?

C’est pire que de la discrimination. Si vous voulez je vous donne un autre exemple : on avait un hôtel à construire, ils ont détruit notre projet. Donc on me donne un document de permis de construire mais on ne me donne pas un document complet par exemple. On aurait pu me dire : « Monsieur, quel problème vous avez ? Allons donne la main ensemble car nou na quand même 40 emplois pour créer, kossa i manque a ou ? ». Au contraire, ils vous renvoient un papier avec des impôts pour payer alors que les travaux n’ont pas encore commencé. C’est comme si on me disait : « Ou lé réunionnais ou lé faible mi connait, les zoreils lé plus fort que ou ». Nous on a une entreprise qui, quand on essaye de s’installer à tel ou tel endroit, quand on essaye de passer, on est cloutés ! 

Vous voulez dire que ça été plus difficile pour vous de réussir ? 

Dans tous les domaines. 

En disant dans votre plainte que la population tamoule est victime de comportements vexatoires, vous n’avez pas peur de diviser la société réunionnaise ?

Aujourd’hui vous êtes un malbar 3 V, vous êtes un malbar croisé en même temps. Qui est malbar ? Qui est Chinois ? Dans toutes néna le sang malbar, le sang yab, le sang caf, etc… toute lé comme un manger cochon comme dit créole. Par contre le zarabe i reste à part. Li néna sa religion et son nation. 

En Inde, vous dites que vous êtes rejeté, à La Réunion vous dites être discriminé. Comment vous vous définissez alors ?

On a perdu notre culture, notre langue, notre identité. Je ne suis pas Français d’origine française. Je n’ai pas besoin de passeport, je suis un homme vivant, c’est tout. Je ressemble à rien sur cette terre. Mon origine je l’ai perdue. Nous avons perdu la source de nos ancêtres. 

Si la plainte va cette fois-ci jusqu’au bout, attendez-vous plutôt une reconnaissance symbolique de l’engagisme comme crime contre l’humanité ou souhaitez-vous aller jusqu’à réclamer une réparation financière comme le MIR aux Antilles ? 

Nous demandons tout d’abord la reconnaissance de crime contre l’humanité. La souffrance de nos ancêtres, il n’y a pas de prix ni d’estimation. Il faut arriver à négocier après. 

Vous dites dans votre plainte que « la communauté tamoule a perdu son identité collective » mais tous les Réunionnais peuvent constater que, tout au long de l’année, il y a beaucoup de cérémonies religieuses qui permettent à cette communauté de se retrouver donc pourquoi vous dites cela ?

C’est-à-dire qu’à La Réunion, la religion c’est un folklore ! Le malbar va bat’ tambour et dire bien fort : « je suis malbar » et le lendemain matin li va tendre la main pour gagner à manger devant les autres. Il peut mettre les fleurs partout pour dire qu’il y a la lumière mais il est malade psychologiquement. Il n’arrive pas à régler son problème interne. Peut-être que s’il n’était pas malade, il n’aurait pas fait le folklore. Il aurait gardé l’authenticité. Il fait la cérémonie parce qu’il n’a pas d’autre chose à occuper. Il n’a pas de position pour aller plus loin. Moi aussi j’ai suivi les cérémonies parce que c’est une tradition, j’ai amené mes enfants pour leur montrer c’est quoi les tambours, comment on casse les cocos mais la religion ce n’est pas seulement le Dipavali à Saint-André ou ailleurs, le plus important c’est de faire reconnaître les droits de nos ancêtres ! C’est simple, nos descendants ne viennent pas des Gaullois, de la France, nous venons du métissage entre Madagascar, l’Afrique de l’Est et l’Inde. L’important c’est de montrer à l’Etat français qu’il est responsable de tous ceux qu’il a fait entrer entre l’Afrique, Madagascar et l’Inde. 

SUR LE SUJET :

Il porte plainte pour faire reconnaître l’engagisme comme crime contre l’humanité

« Notre but est de restituer à cette communauté malbaraise son honneur et sa dignité »

Thèmes :
Message fin article

Avez-vous aimé cet article ?

Partagez-le sans tarder sur les réseaux sociaux, abonnez-vous à notre Newsletter,
et restez à l'affût de nos dernières actualités en nous suivant sur Google Actualités.

Pour accéder à nos articles en continu, voici notre flux RSS : https://www.zinfos974.com/feed
Une meilleure expérience de lecture !
nous suggérons l'utilisation de Feedly.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

Dans la même rubrique

Lutte contre la pollution : Opération « 100 km de littoral propre à La Réunion »

L’Observatoire Marin de La Réunion (OMAR) lance la grande opération participative « 100 km de littoral propre à La Réunion ». Objectif : mener des opérations pour nettoyer les déchets présents au total sur 100 km de littoral de notre île (sur les 220 km linéaires de côte actuels), trier les déchets (recyclables ou non) et les peser pour chaque action.

Météo : Du vent et des nuages

Le ciel de la Réunion est très nuageux à couvert et les conditions en mer sont dégradées par un vent assez fort et une mer forte sur le Sud sauvage.