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Commentaires sur le livre de Sudel Fuma « La révolte des oreilles coupées » ou l’insurrection des esclaves de Saint-Leu en 1811 à Bourbon – Île de La Réunion

Le comité pour une meilleure connaissance de l’histoire de La Réunion et pour l’avènement d’une Réunion fraternelle, laïque et républicaine vous propose. Soyons objectif ?

Ecrit par zinfos974 – le mardi 10 janvier 2012 à 16H28

Les quelques observations et même les quelques contradictions que nous relevons ici, n’entament en rien la valeur et le sérieux de l’auteur, un spécialiste reconnu de l’histoire de l’esclavage qui comme chacun sait, n’est pas à son premier ouvrage sur ce sujet. Il en a publié plusieurs qui sont tous, incontestablement, des apports importants et enrichissants à l’histoire et à la culture de notre île.
C’est faire preuve de bon sens que d’accepter que des personnes interprètent différemment l’histoire, cela est une question de culture, de sensibilité, et les avis divergents sont par essence, enrichissants. Ce sont les guerres, hélas, qui produisent le plus grand nombre de héros, et il n’y a pas de guerre propre, c’est bien connu. Pour beaucoup de gens Napoléon est un héros, et pourtant, il a du sang sur les mains…

Bon nombre de Réunionnais n’approuvent pas l’idée de faire d’Elie, le leader de la Révolte de Saint-Leu, un héros, comme c’est le cas du Kolektif Lané Elie, créé et animé par l’universitaire Sudel Fuma. Le fait de vouloir s’affranchir de l’esclavage par la force, comme d’autres l’avaient fait avant lui, peut se comprendre, mais lui prêter pour autant une sorte d’altruisme, de valeur morale, de conscience politique créole comme le dit l’auteur du livre, semble pour le moins hasardeux.

D’après les recherches de l’auteur, Elie n’est pas un sauvage, dans le sens noble du terme, il n’est pas un de ces esclaves venus des plateaux malgaches sans aucune culture occidentale, totalement étranger au mode de vie réunionnais, non, il est un esclave créole, il est né dans l’île tout come sa mère Emilie qui est une femme métisse. Il est peut être même un « quarteron ». Elie a grandi entre les enfants des familles blanches de Saint-Leu, les Hibon, les Macé, les Ricquebourg, il a subi leurs influences et à ce titre, il n’est pas tout à fait un esclave comme les autres. On peut supposément lui prêter de l’intelligence, du discernement, de la conscience politique. Ce faisant, on aggrave son cas, car, prendre la décision de se lancer dans une vraie guerre par pure idéologie, entrainant avec lui un grand nombre d’acolytes alors que l’issue fatale était inéluctable, c’est une attitude suicidaire qui met à mal sa clairvoyance et le bon sens qu’on veut bien lui reconnaitre.

Le titre de l’ouvrage faisant allusion aux oreilles coupées semble ne pas correspondre aux Noirs du soulèvement de 1811, à priori, aucun de ses acteurs n’ont subi cette flagellation, ni avant, ni après leur révolte. Pour beaucoup d’entre eux d’ailleurs, il aurait mieux valu subir cette peine là, que celle qu’on leur a infligée. Ce titre, a-t-il été volontairement choisi pour faire porter l’anathème des Blancs du dix-huitième siècle à ceux du dix-neuvième ? L’histoire de l’esclave Jouan datant de 1786, racontée en page 14, semble judicieusement choisie pour justifier une telle manœuvre.

Au début l’auteur monte en épingle l’affaire du viol de la mère de Géréon, avec une telle habilité littéraire qu’au bout du compte, on a tous envie de trucider ce monstre de Blanc, voir de bousier tous les Blancs de Saint-Leu ! En guise d’introduction, c’est réussi. Le ton est donné, l’ouvrage ne cherche pas à se positionner sous l’optique impartiale de l’historien, mais du romancier qui se sert des ces faits pour mieux rendre son récit.

Les viols perpétrés sont décrits avec des détails révoltants. Une terrible punition est infligée à une femme, par jalousie, qui par la suite dépérit à petit feu. Géréon apprend que l’homme qui venait souvent assouvir ses besoins sexuels chez lui, est en réalité, son père (Page 20). Sans aucun doute, ce genre de faits ont bel et bien existé, et ils ont été récurrents durant l’esclavage, et peut-être même plus souvent qu’on ne croit. Décrits ainsi, ils prédisposent admirablement le lecteur à choisir son camp, celui des Noirs bien sûr.
Suit sur plusieurs pages un véritable réquisitoire contre ce Blanc violeur qui devient du coup, l’archétype de tous les autres Blancs. A noter que dans ces pages, aucune référence historique n’est indiquée, il y a beaucoup d’inspiration. Les portraits de certains Blancs sont très noirs, et les portraits de certains Noirs, sont très blancs !

(Page 35 et 93) « Louise Saiarane, épouse du premier Payet, est enfouie dans l’histoire, pourvu qu’elle y reste… » Or, cette femme Malgache pour avoir eu deux maris, un premier Grondin, et après son veuvage, un Payet, est l’ancêtre de ces deux grandes familles Réunionnaises et elle est rappelée dans toutes les généalogies qui les évoquent. Peut-on dire qu’elle est enfouie dans l’histoire ? Et pourquoi rajouter « pourvu qu’elle y reste » ?

En page 62 l’auteur dépeint Elie comme un garçon de forte taille et respecté par tous, pour un héros, c’est mieux. Dans les écrits de monsieur de Chateauvieux, repris en page 174 par Sudel Fuma lui-même, il est indiqué qu’il est le plus petit des trois frères.
En page 79 l’auteur cite les noms de quelques compagnons d’Etienne Regnault mais pour certains, selon les minutieuses recherches effectuées par le père Barassin, cette affirmation n’est pas exacte, car les personnes citées, sont arrivés après 1665. Il s’agit de François Mussard premier du nom, arrivé en 1668 ; Athanase Touchard, faisant partie des « débris de Madagascar », arrivé lui en 1670. Jean Bellon (Géréon dans le roman) est arrivé en 1667. Par ailleurs, le père Barassin dit qu’aucun texte n’affirme la présence de Pierre Hibon en 1665.

(Page 96) L’auteur donne une bien mauvaise image des catholiques de l’île, les Blancs sont des mauvais Chrétiens, « à l’exception d’une infime minorité qui comprend les valeurs de l’église, […] les autres, pour ne pas dire presque tous les colons de l’île, fréquentent l’église par habitude ».

(Page 97) Pour l’auteur, Armel Macé est un alcoolique dangereux, « Plus il avance dans son discours, plus son visage devient rouge, plus sa voix tremble. Le vin aidant, une sourde colère prend possession de lui… » C’est une piètre image que l’auteur donne à ce Blanc, pour les besoins de son roman, en réalité, on ne sait rien sur lui, à part sa robustesse soulevée dans les écrits de monsieur de Chateauvieux. Quel est le ressenti de ses descendants ?
On sait qu’Armel n’est qu’un petit nom, puisqu’il s’appelle en réalité Jean Arzul, et son frère, Henry Jean, ce qui n’est pas précisé dans le roman, mais cela ne change rien à l’histoire, de toute façon.

(Page 108) L’Angleterre « fait la part belle aux colons, aux tyrans de cette terre créole, auxquels sa Majesté britannique tend honteusement la main… » Le Roi Georges III en prend pour son grade. Et à Bourbon, il n’y avait que des tyrans ? Et puis, qu’est-ce que veut dire une « terre créole » ?

(Page 117) L’auteur prête au prêtre catholique de l’époque, la phrase suivante : « je suis comme vous convaincu que l’esclavage est nécessaire dans ce pays. Un jour peut être trouvera-t-on un autre système pour le remplacer, des machines, que sais-je, mais en attendant, les bras des Noirs sont irremplaçables… » Cela ne choque pas vraiment car nous savons qu’il y a eu beaucoup de prêtres esclavagistes. Cette phrase fait partie du roman, c’est l’auteur qui fait parler le curé dont le nom n’est même pas cité. Tant mieux, car personne ne sait s’il était pour ou contre l’esclavage. Pour information, le curé de Saint-Leu en 1811 était le père Béqué. Monsieur de Chateauvieux affirme qu’Elie ne tenait pas en son cœur le clergé de l’époque.
Pour des besoins de son histoire, Sudel Fuma transforme tout Saint-Leu en un immense lupanar, (43) Pierre Hibon « adore les femmes malgaches qu’il trouve séduisantes », « la mère de Figaro a du subir les assauts d’un Blanc et il [Figaro] n’est que le résultat des besoins sexuels d’un esclavagiste » (81). Monsieur de Lossandière est malhonnête (133) ; monsieur Fougeroux « reçoit les jeunes femmes esclaves dans son habitation pour combler ses nuits de solitude » (134). « Les Blancs ont l’habitude d’abuser des femmes noires, notamment des femmes d’origine malgache, surtout si celles-ci sont déjà métissées… » C’est intéressant de noter que l’auteur met souvent en avantage les métisses malgaches. Pour une fois le sang du blanc leur rend service !

Elie est le produit d’un viol (56) alors que sa mère, Emilie, est transformée en une catin des plus libertines, qui sait très bien simuler le plaisir pour le plus grand bonheur des pauvres Blancs impuissants (Page 58). Si l’inspiration de l’auteur a fait d’Emilie une femme publique, c’est pour mieux justifier la révolte de son fils, car là aussi, il n’y a pas de citation historique.

Que des Blancs aient profité de leur situation dominante pour abuser des esclaves, cela est évident, mais dans beaucoup des cas le « charme irrésistible » des femmes malgaches, souvent mis en avant par l’auteur, a aussi fait son œuvre, et depuis longtemps, souvenons nous de la débâcle de Fort Dauphin de septembre 1674, l’histoire des « marmites » et des « ramatoas », ces femmes tournaient déjà la tête des marins français !

En page 157, l’auteur cite Armel au lieu de Jean: « Armel Macé n’a-t-il pas eu pour nourrice Emilie, la mère d’Elie ! » « …il se connaissent et ils s’adressent la parole dans certaines occasions… » Au fond, ils ne sont pas des ennemis, il n’y a pas de contentieux entre eux, et pourtant, sous les ordres d’Elie il sera massacré de la pire des manières pour les besoins de sa cause ! Un fratricide ? Et Armel subira le même sort…

(Page 157) Le plus jeune des deux frères Macé est Jean, né le 31 juillet 1784. Elie est né le 7 décembre 1785. Jean est donc un an et demi plus âgé qu’Elie. Armel lui, est né le 8 décembre 1782, il a donc 3 ans de plus qu’Elie. Dans ce cas, il est plus logique que ce soit Jean qui ait eu pour nourrice la mère d’Elie comme il est rapidement évoqué dans le livre. Monsieur de Chateauvieux les dit « frères de lait ».

En page 163 l’auteur place le Maloya de Firmin Viry dans l’histoire, « ah, chemin Grand Bois ça lè long, ah ti pa, ti pas n’a rivé… » Belle inspiration anachronique, puisque ce maloya très connu date de la fin des années 1960. C’est la meilleure démonstration que, dans le texte, une grande partie est le fruit de l’inspiration, de l’imagination.

Page 167 – « Elie a embrassé sa femme et ses enfants avant de retrouver ses amis qui l’ont laissé seul entrer dans sa petite maison voir pour une dernière fois sa petite famille… » Là, le ton change, il devient attendrissant, il y a des diminutifs, il y a des formules savamment placées dans la phrase pour la remplir de sentiments. Néanmoins, si on se réfère à d’autres textes tout indique qu’Elie n’avait pas de femme au moment de la révolte, et s’il en a eu une avant, il a du avoir des problèmes car dans celui de Sosthène de Chateauvieux, Elie dit : « quel est celui d’entre nous dont la femme est encore honnête ? »

Bien sur, dans l’histoire de Saint-Leu de monsieur de Chateauvieux, l’ouvrage presque entier est romancé et il prend manifestement parti pour les Blancs, et sur ce point les deux auteurs s’équilibrent. Dans le récit de monsieur de Chateauvieux, cette phrase d’Elie sur la femme, apparait un peu détachée dans le contexte, elle ne semble pas le fruit d’une inspiration mais plutôt une information rapportée par un témoin.

A la fin de la page 180, l’épouse de Jean Macé (Geneviève Hibon) est donnée comme enceinte de six mois, mais si on se reporte à Camille Ricquebourg, elle n’est que de trois mois seulement.

(Page 249) L’auteur n’admet pas que des descentes des marrons ont aussi été motivées par le désir de revanche, de régler leur compte avec certains propriétaires qui leur avaient fait du mal d’une manière, ou d’une autre. Pour l’auteur, toutes les descentes sont pour des raisons de survie, donc, légitimes. « Le grand marron est un danger pour la vie tranquille des Blancs et leur statut social » Dans la société tumultueuse de l’époque décrite par l’auteur lui-même, peut on dire que les Blancs vivaient tranquilles ?

Il parait évident qu’autant Voïart que de Chateauvieux, ne se sont pas basés uniquement sur les articles de La Gazette de Bourbon pour écrire leur chronique, ils ont côtoyé et interrogé plusieurs des acteurs de cette révolte qui étaient encore vivants à leur époque respective. Paulin Céma est l’un d’eux, cet ancien esclave d’Armel Macé n’avait que 10 ans en 1811, et il a très bien connu monsieur de Chateauvieux, et à plus forte raison, Voïart.

Dans la note au bas de la page 257, l’auteur discrédite les deux chroniqueurs de la Révolte de Saint-Leu de l’époque, Voïart en 1844 et de Chateauvieux en 1865, disant qu’ils se sont fait « induire en erreur » par les articles de la Gazette de Bourbon qui, pour avoir été rédigés un mois après le soulèvement, n’étaient plus crédibles. Lorsqu’on rapporte des faits aussi lourds, dire qu’on les a oubliés au bout d’un mois, c’est un peu léger.

Les universitaires Hubert Gerbeau et Prosper Eve, cités dans la note au bas de la page 245, pour leurs écrits sur ce sujet se sont
aussi servis des articles du même journal, la Gazette de Bourbon, sans avoir été eux, induits en erreur.

En page 266, la scène du baptême du Noir tué, que l’auteur impute (peut être à raison) à l’imagination de monsieur de Chateauvieux, était courante depuis plus d’un siècle. Il était de coutume que les chasseurs de marrons, lors qu’ils tuaient un Noir, lui faisait un signe de croix sur le front en guise de baptême avant de le couvrir de roches ou de les ensevelir quelque part. Lorsque François Mussard a touché mortellement le Marron Grégoire, à la fin octobre 1752 sur le plateau d’Îlet à Cordes, avant de mourir, il a demandé le baptême, et c’est Mussard lui-même qui l’a baptisé.

Dans les annexes de la fin du livre, dans un des documents ramenés des archives de Londres (CO 167/9 et C4 13280) où l’on rapporte le Délibéré du Tribunal Spécial créé après la Révolte, on note que beaucoup de propriétaires n’ont eu qu’un seul esclave impliqué dans l’affaire. Presque autant en ont eu deux seulement. S’agissait-il de celui ou de ceux qui sont allés chercher de l’eau à la Ravine du Trou ce jour-là et qui ont été enrôlés d’office, comme l’a dit la Gazette de Bourbon ? On apprend que trois esclaves de madame Desbassyns, qui possédait plus de quatre cents ce moment-là, ont aussi pris part au soulèvement : René, Charlot et Benjamin.

4ème de couverture – « Il reconstitue, à partir des faits historiques et de sa propre inspiration nourrie par trente ans de recherches universitaires… » L’histoire de la révolte de Saint-Leu n’est pas aussi méconnue comme il est dit, et les trente années de recherches universitaires ne changent rien aux faits eux-mêmes. Par contre, l’inspiration est admirable, l’auteur a su se servir de cette histoire pour en faire un roman bouleversant, et les documents recherchés aux Archives de Londres par les bons soins de l’universitaire Héloïse Finch, une enseignante Américaine exerçant en Afrique du Sud, à la demande de l’association Rasin Kaf, n’ont rien apporté de révolutionnaire à l’histoire, si on peut dire, à part peut être le fait de faire tomber le mythe d’Îlet à Cordes, car on apprend par l’un de ces « nouveaux » documents, que le lopin de terre offert en récompense à Figaro n’était pas à Cilaos, mais à Saint-Joseph ! Par ailleurs, c’est étonnant que le nom d’Héloïse n’apparaisse pas du tout dans l’ouvrage !

 

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