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Comment l’incompétence des élus leur a fait perdre le contrôle de la construction des logements sociaux

Les responsables de CDC Habitat, une filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations, qui a fait main basse sur trois SEM de la Réunion spécialisées dans l'habitat social (SIDR, SODIAC et SEMADER), s'enorgueillissaient la semaine dernière d'avoir construit 750 logements l'an dernier. Globalement, on a construit 1.600 logements sociaux l'an dernier. Or, selon la Confédération Nationale du Logement, quelques 32.000 familles réunionnaises attendent d'être logées. Pour leur donner satisfaction, il faudrait construire 170.000 logements d'ici 2035 ! Soit en moyenne entre 10 et 12.000 par an ! 10 à 12.000 qui devraient construits contre 1.600 qui sortent réellement de terre. Faites vous-même la différence. A ce rythme, non seulement on ne rattrape pas le retard accumulé, mais ce dernier ne fait que s'accroître année après année dans des proportions catastrophiques.

Ecrit par zinfos974 – le vendredi 27 août 2021 à 15H17

A chaque campagne électorale, le refrain est le même : tous les candidats s’engagent à construire plus de logements sociaux. Ils savent l’argument porteur et susceptible de leur attirer les suffrages des plus démunis.

1.600 logements sociaux construits tous les ans alors qu’il en faudrait 7 fois plus !

Pourtant, une fois aux manettes, rien ou presque. Le nombre de logements qui sortent de terre tous les ans, 1.600 l’an dernier, est très insuffisant pour répondre aux besoins. Pire ! Le nombre de Réunionnais qui attendent désespérément de pouvoir être logés dans des conditions décentes ne fait que croître tous les ans.

On ne peut cependant pas dire que les élus n’ont rien fait. Au lendemain de la départementalisation puis des grandes lois de décentralisation, les présidents du Département et les maires regroupés au sein des communautés d’agglomération ont créé des SEM pour fixer les orientations en matière de logement et les mettre en pratique. C’est ainsi que l’on a vu apparaitre la SHLMR pour gérer le 1% Logement du patronat, la SIDR sous l’égide du Département, la SODIAC initiée par la mairie de St-Denis et la CINOR, la SEDRE avec St-Paul. Et dans le Sud la SEMADER, la SODEGIS, et dans l’Est la SEMAC.

1 logement sur 5 à La Réunion est un logement social

Au 1er janvier 2020, La Réunion comptait 77.216 logements sociaux, soit 20 % des logements totaux. Ce qui signifie qu’un logement sur 5 à La Réunion est un logement social !

Près de 1.600 nouveaux logements ont été mis en service sur un an dont la moitié dans l’ouest. Il s’agit du plus faible volume constaté sur les cinq dernières années.

Il n’y a presque pas de logement vacant et le marché est donc très tendu, difficile de faire face aux urgences.

Pour continuer sur les chiffres, 75 % de la population est éligible aux LLTS (Logements à Loyers Très Sociaux), soit les logements sociaux les moins chers du marché. C’est dire si à La Réunion les familles ont des revenus très bas. Dans certains quartiers, elles vivent même pour plus de la moitié d’entre elles en-dessous des minimas sociaux.

À l’horizon 2035, 168.900 logements seraient à construire à La Réunion. Les besoins seraient plus élevés à la CINOR, à la CIVIS et au TCO (environ 40.000 pour chacune sur la période 2013-2035) qu’à la CIREST et à la CASud (environ 23.000).

Les grands-parents, les parents et les enfants habitent sous le même toit

Aujourd’hui jusqu’à trois générations vivent sous le même toit, et près de la moitié de la demande en logement vient de ce que l’on appelle le desserrement des ménages. Traduisez : la promiscuité. Les grands-parents, les parents, les jeunes couples avec enfants vivent dans le même logement trop exigu pou eux. Et ce n’est pas un phénomène isolé : Plus de 40 % des Réunionnais vivant dans un logement social sont dans ce cas.

C’est dire si la question du logement social est essentielle à La Réunion.

Alors, me direz-vous, c’est certainement une priorité.

Sur le papier oui, dans la réalité, non.

Je lisais dernièrement le bilan réalisé par CDC Habitat, qui s’enorgueillissait d’avoir réalisé 750 logements en additionnant les chiffres de ses trois SEM : la SODIAC, la SIDR et la SEMADER.

A trois, ils n’ont été capables de sortir que quelques malheureux logements. De moins en moins, d’ailleurs. Seuls le TCO et la CASUD sont aujourd’hui au-dessus des indicateurs nationaux en terme de dynamique de réalisation de logements. Les autres ronronnent.

Alors que le besoin est criant, pourquoi un tel écart ?

1 – Parce que la volonté n’y est pas.

Nos élus, s’ils devaient répondre à la demande, devraient créer des services supplémentaires et gérer une population sans cesse croissante. Certains préfèrent donc ralentir la création de logements sur leur territoire, quitte à payer à l’Etat des pénalités. Pour certains même, on applique la politique de l’autruche et on n’en construit pas.

Pour d’autres, le nombre de logements sociaux frôle déjà 40% des logements totaux, comme à St-Denis ou au Port, et il faut mixer les populations.

Ils vont alors préférer le logement intermédiaire. C’est un logement aidé, financé par l’Etat et destiné aux jeunes actifs ou cadres intermédiaires (ex : couple avec revenu de 37.000 € annuels). Le logement intermédiaire rassure tout le monde. L’élu qui accueille une classe de population un peu plus aisée, l’Etat qui possède des financements, et les bailleurs qui construisent des logements. Ces logements ont les mêmes caractéristiques que le logement locatif social (LLS) mais avec un loyer plus élevé.

Le problème c’est qu’à La Réunion ils sont difficiles à remplir car les familles qui attendent un logement n’ont pas les moyens de payer les loyers qui leur sont réclamés. Alors parfois, on préfère faire des logements qui resteront vides, pour lesquels les bailleurs vont devoir déployer des moyens importants pendant des mois, voire des années… alors que des familles attendent un logement très social.

Des promoteurs sont venus me dire qu’aujourd’hui il était quasiment impossible de sortir un projet dans certaines communes qui refusent systématiquement les permis de construire quand il s’agit de « loger les pauvres« .

Les pauvres, on n’en veut plus, on essaie de les renvoyer dans la commune d’à-côté…

2 – Parce-que le foncier est une ressource devenue rare

On préfère vendre à des promoteurs pour réaliser des opérations juteuses plutôt que de les mettre à disposition pour le logements des plus défavorisés. Les caisses des mairies sont vides.

3 – Parce-que le coût de construction augmente

Alors que le loyer, lui, est plafonné entre 5 et 6€ le m2….

4 – Parce-que les élus ont perdu la main sur les opérateurs HLM

Mais la principale raison, c’est que les élus ne sont plus aux commandes. Après quelques frasques ou fautes de certains d’entre eux qui ont creusé des déficits parfois de plusieurs dizaines de millions d’euros dans les SEM qu’ils « dirigeaient », comme Philippe Naillet à la SODIAC pour ne parler que du plus récent, ou de certains directeurs généraux comme à la SIDR ou à la SODEGIS, les élus ont ouvert la porte, on pourrait même parler de boulevard, à deux organismes qui ont désormais la mainmise sur les opérateurs du logement social.

Avant, la CDC (Caisse des Dépôts et Consignation) n’était que la banque des collectivités et des SEM à qui ces dernières empruntaient les sommes nécessaires aux études et aux constructions. La CDC siégeait aux conseils d’administration comme tous les autres administrateurs. Sans plus. Les élus restaient les décideurs. Et les risques reposaient sur les épaules des collectivités qui décidaient et cautionnaient les emprunts.

Aujourd’hui CDC Habitat, filiale de la CDC, elle-même émanation de l’Etat, possède et dirige plusieurs SEM à La Réunion (SODIAC, SIDR, SEMADER) et siège dans les autres conseils d’administration des SEM.

Action Logement, émanation du patronat, possède la SHLMR et joue un rôle important à la SEDRE. Le cas est moins grave pour Action Logement, les rapports de l’ANCOLS, un organisme de contrôle national n’ayant détecté aucun dysfonctionnement important à la SHLMR.

Les élus mis sur la touche

Les élus, jadis grands décideurs et créateurs des SEM se sont vus dépossédés et mis sur la banc de touche. Aujourd’hui, ils ont le titre de président(e)s et comptent les quelques jetons de présence qui leur restent, avant qu’ils ne disparaissent comme c’est déjà le cas à la SODIAC.

Je ne vais pas me lamenter sur leur sort, eux qui ont largement profité d’indemnités de PDG, de voitures de fonction et de voyages en classe business. Mais aujourd’hui, rien n’a changé pour les familles qui ont besoin d’un logement. Elles n’en ont pas. Pire : de moins en moins de logements sociaux sont construits tous les ans. Pourtant l’Etat finance toujours la LBU (Ligne Budgétaire Unique) et les élus leur promettent un toit à chaque campagne électorale.

Qu’y a-t-il de si différent ?

Aujourd’hui, la banque (CDC) a acheté les SEM pour une bouchée de pain, suite à leurs déconfitures financières. Et donc, elle se prête à elle-même de l’argent pour financer le logement social. Au passage, elle se rémunère, vote ses décisions elle-même (les élus maintenant minoritaires qui siègent au CA n’ont aucun pouvoir de blocage mais les collectivités continuent à se porter caution donc à endosser les risques), et s’octroie les voitures, les indemnités et les voyages. Et aucun élu ne trouve à redire à cela car chaque collectivité a besoin d’emprunter. Personne ne veut se fâcher avec sa banque.

Le social est devenu bancaire. Imaginons que j’aie pour projet de construire une maison pour loger toute ma famille qui vit dans l’insalubrité. Je demande un prêt pour le réaliser, mais il se trouve que ma banque estime qu’un commerce serait plus rentable sur mon terrain. Je change de banque, pas de projet !

Dans le secteur du logement social, on change de projet car on ne peut plus changer de banque, la banque a racheté nos outils, et son objectif est qu’ils restent rentables. Or, le logement social n’est pas rentable. Il est fondamental, humain, mais pas rentable.

La CDC préfère construire des logements intermédiaires car plus rentables

La Réunion a besoin de logements mais lorsqu’elle demande à son opérateur devenu banque de les réaliser, il lui répond : « il vous en faut 12.000, je vais en faire 1.600. Et vous avez besoin de logements très sociaux? Et bien moi je vais faire du logement intermédiaire parce que c’est plus rentable« . Et nos élus n’ont plus le pouvoir de broncher. Ils n’ont plus de pouvoir du tout. Ils doivent accepter.

Tout ça à cause de leur incapacité à gérer. On ne transforme pas d’un coup de baguette magique un instituteur ou un employé d’assurance en PDG d’une grosse société spécialisée dans le logement. On a peut-être le titre ronflant, les indemnités, la voiture et les voyages, mais il manque les compétences !

Le pire est que personne n’est satisfait de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

Et au final, l’enfant qui vit avec ses frères et soeurs, ses parents et ses grands-parents dans un même appartement avec deux chambres, comme le montrent les statistiques, n’a que peu de chances de réussir à sortir du système social.

Et personne ne bronche !

Pourvu que ça dure…

 

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