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Chut ! On assassine nos vieux

Décidément, dans ce monde à l’arrêt et confiné, certaines lectures d’avant résonnent comme une triste réalité. L’oisiveté rodant, je me replonge volontiers dans les œuvres du très controversé mais néanmoins talentueux, Jean Jacques ROUSSEAU(1), qui  avait une vision profondément pessimiste sur la nature humaine.  Ses écrits, au temps du siècle des poètes où la pensée […]

Ecrit par ?DG – le mercredi 29 avril 2020 à 18H41

Décidément, dans ce monde à l’arrêt et confiné, certaines lectures d’avant résonnent comme une triste réalité. L’oisiveté rodant, je me replonge volontiers dans les œuvres du très controversé mais néanmoins talentueux, Jean Jacques ROUSSEAU(1), qui  avait une vision profondément pessimiste sur la nature humaine. 

Ses écrits, au temps du siècle des poètes où la pensée était métier, lui a valu quelques soucis et moqueries. Notamment de la part de Voltaire(2) qui lui adressa, entres autres, une missive le 30 août 1755, restée dans les mémoires. A l’époque, Rousseau, dénonçait ce qui était pour lui le « faux » progrès de la civilisation des lumières. « La nature a fait l’homme heureux et bon, mais […] mais la société le déprave, et le rend misérable », écrivait-il. 

Peut-on être d’accord avec lui ? Est-ce la société qui corrompt l’homme ou c’est l’homme qui corrompt la société dans laquelle il vit ? L’Homme naît bon ! Mais l’Histoire nous apprend que depuis l’apparition de l’Homme sur terre, il y a eu cruauté. Que cette présence humaine soit du fait spirituel ou scientifique, dès ses premiers pas, l’Homme, le Dieu ou le Demi-dieu, a été barbare et quel que soit la civilisation.

Notre époque civilisée ne fait pas exception. Certes, il n’y a plus de guerre armée (du moins entre grande puissance), ni de croisade mais il n’empêche que la sauvagerie s’est aussi adaptée. Celle-ci a pris d’autres formes mais est toujours présente dans notre quotidien. A la différence qu’aujourd’hui, elle est banalisée comme une sorte de fatalité que l’on ne peut empêcher.

L’historienne Mona Ozouf(3) développe  que « l’ensauvagement des mots entraîne l’ensauvagement des actes ». Les propos des chansons actuelles et les clips qui les accompagnent n’auraient jamais pu être diffusés il y a encore quelques années. Pour la presse actuelle, l’intox prend le large sur l’info. Le témoignage, le scandale et les fakes news ont la côte et font vendre.

A la télé, la violence et la brutalité (physique, sexuelle et verbale) n’ont plus de limites et d’horaires.  Dans la rue, les « ladi lafé » sont bonnes manières. Sur les réseaux sociaux, il n’y a pas de lisière entre ce qui est du privé et ce qui ne l’est pas. Il faut faire le buzz !  Sous l’assertion de la liberté d’expression ou la transparence, il faut mettre à nu. Il faut menacer, dénoncer, insulter, manifester pour un rien. Il faut détruire, couper la tête du Président comme Louis XVI(4). Chacun y va de son commentaire et poste son avis sur tout. Cet endoctrinement virtuel et massif, nous rend jaloux de la différence, celle-là même qui fait notre richesse. Il exacerbe notre avidité pour les trésors matériels et nous rend aveugles et sourds face à la détresse de ceux qui souffrent. Notre France est devenue homophobe, misogyne, raciste, violente et obscène envers ses propres enfants et aux yeux du monde. 

Il y a une banalité du mal qui s’est installée chez nous et qui nourrit les extrêmes que sont l’individualisme et le communautarisme. Cette multitude d’informations disponibles à la vitesse de la 5G, devient obsolète en un clic et imperméabilise notre cœur. Notre civilisation n’a plus d’émotions, de sentiments. Plus rien n’a d’importance, à part soi même. Chacun pour soi, Dieu pour tous ! Nou lé pa la ek sa !

Une tragédie est en train de se dérouler sous nos yeux d’égoïstes. Regardez ce qui se passe depuis un certain temps  chez nos « gramounes »… Aujourd’hui, il est de bonnes mœurs, de déposer ses parents dans la solitude des familles d’accueil ou des EHPAD. On n’a pas le temps. C’est trop contraignant, utilise t-on comme excuse ou prétexte pour s’en débarrasser. La canicule de 2003 a fait 15 000 morts chez nos seniors en France. Au cours de la crise sanitaire due au virus COVID-19 qui sévit dans le monde actuellement, au Canada, 32 personnes âgées ont été retrouvées mortes dans un EHPAD, abandonnées par le personnel de cet établissement. En France, on dénombre plus de 22 000 décès, dont plus de la moitié concerne nos aînés. Le confinement, qui risque d’être prolongé pour eux, aura des conséquences désastreuses à cause du manque de soin mais surtout de solitude.

Beaucoup sont morts dans la solitude et n’ont pas pu être enterrés dans des conditions humainement décentes. Trop de gens n’ont pas eu droit à ce dernier regard, ce dernier bisou, ce dernier sourire avant le grand départ de leur proche. Ils ont été privés de ces moments qui permettent d’enclencher le processus de deuil. Albert Camus(5), dans son roman L’Étranger, décrit que « celui qui ne pleure pas à la mort de sa mère se rend suspect aux yeux de la collectivité ». De nos jours, les veillées mortuaires se font, au plus tard, jusqu’à 23h et dans un centre funéraire communal ou intercommunal. Il n’y a plus grand monde mis à part la famille proche du défunt qui assiste à cette cérémonie et à l’enterrement.

D’autres n’ont pas le temps. D’autres envoient un texto, un mail de condoléances. Les maisons de retraites, les familles d’accueil, les EHPAD fleurissent partout en France métropolitaine et notamment, à La Réunion. Ceux-ci sont très lucratifs. Ils ont de beaux jours devant eux, contrairement à leurs résidents.  Abandonner les vieux est devenu une mode. Il n’y a aucune civilisation connue où les parents n’étaient pas honorés. Nous leur devons la vie, n’est-ce pas? Cette extinction de masse se passe en France, 5 ème puissance mondiale et au 21 ème siècle.

L’Occident a tort de se croire moralement supérieur aux civilisations africaines et orientales, où il ne viendrait à l’idée de personne d’abandonner ses parents âgés à la  solitude, écrivait Renaud GIRARD(6) dans le Figaro du 20 avril 2020. En conclusion provisoire, nous oublions ce que nous devons à nos parents. Vieillir est devenu mal et une plaie pour les autres. Une chose est fondée… nous ne rajeunissons pas mais nous vieillirons tous, alors continuons avec notre égoïsme. Ce que nous faisons subir à nos parents, nos enfants nous le ferons subir bientôt… 

Bibliographie, références, citations :
1) Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755. Dialogues : Rousseau juge de Jean-Jacques (1772-1776)
2) Voltaire : Lettre à Jean-Jacques Rousseau, 30 août 1755, aux éditions Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 38, pages 446-450)
3) Mona Ozouf, historienne et philosophe française. Directrice de recherche à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et spécialiste de l’éducation et de la Révolution française. « L’ensauvagement du langage annonce, prépare et fabrique l’ensauvagement des actes » a expliqué l’invitée de France Inter le 15 février 2019 en réaction à l’actualité agitée par le mouvement des gilets jaunes.
4) Louis XVI (1754-1793), dernier roi de France de l’Ancien Régime, guillotiné le 21 janvier 1793 à Paris.
5) Albert Camus, L’Etranger, 1942, éditions Gallimard.
6) Renaud Girard, journaliste et géopoliticien français. « Le risque d’une nouvelle barbarie », chronique du Figaro le 20/04/2020

 

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