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Ça, des ministres de la République ?

Comment un homme comme notre président, dont personne, même ses adversaires les plus résolus, ne met l’intelligence en doute, a-t-il pu désigner, afin d’occuper les postes aussi décisifs dans le gouvernement de la République que le ministère de l’Intérieur et celui de la Justice (des portefeuilles qu’on a l’habitude de qualifier de « régaliens »), […]

Ecrit par André Pouchet – le lundi 15 juin 2020 à 16H41

Comment un homme comme notre président, dont personne, même ses adversaires les plus résolus, ne met l’intelligence en doute, a-t-il pu désigner, afin d’occuper les postes aussi décisifs dans le gouvernement de la République que le ministère de l’Intérieur et celui de la Justice (des portefeuilles qu’on a l’habitude de qualifier de « régaliens »), des personnages aussi manifestement indignes, car défaillants sur presque tous les plans, que M. Castaner et Mme Belloubet ?

Ahurissantes défaillances dans le simple maniement du langage tout d’abord. Voilà Castaner qui déclare le 8 juin dernier : « …j’ai demandé à ce qu’une suspension soit systématiquement envisagée pour chaque soupçon avéré d’actes ou de propos racistes… » dans la police ! Qu’est-ce que c’est que ce « soupçon avéré » qu’il évoque ? Certains, à propos de cette formule bizarre, ont parlé d’oxymore. Un oxymore, rappelons-le, c’est une figure de style utilisée par un auteur qui, dans le but de donner plus d’éclat à son expression, associe des mots en apparence contradictoires et incompatibles. C’est ce que – on s’en souvient – avait fait Corneille avec son « obscure clarté qui tombe des étoiles ».

Or ce à quoi l’on a affaire ici, ce pas à un effet de style, à un subtil raffinement de l’expression, mais tout bonnement à une absurdité logique ! Un soupçon, c’est en effet une interrogation sur la culpabilité de quelqu’un. Et un suspect, c’est quelqu’un dont on se demande s’il est coupable ou non. Avec le soupçon, on est donc dans le doute, dans l’attente d’une vérification, d’une confirmation de la culpabilité. Alors une suspicion avérée, ce serait quelque chose qui serait à la fois douteux (un soupçon : pas de preuve, pas vérifié) et vérifié (avéré : dont la réalité ne fait aucun doute). On est en plein délire sémantique ! Castaner a-t-il été atteint de confusion mentale ou aurait-il eu l’intention remettre à l’ordre du jour la « loi des suspects » de sinistre mémoire qui fut en vigueur sous la Terreur, laquelle loi permettait de se débarrasser de façon expéditive de tous ceux qui avaient le tort de déplaire au pouvoir en place ?

La contradiction ne fait décidément pas peur à cet esprit fragile puisque, le lendemain 9 juin, interrogé par le journaliste Bourdin au sujet des manifestations pour George Floyd, on peut entendre sortir de sa bouche cette confuse bouillie verbale : « Les manifestations ne sont pas (autorisées) dans les faits, car il y a un décret du premier ministre dans le cadre de la deuxième phase du déconfinement qui interdit les rassemblements de plus de dix personnes. Mais je crois que l’émotion mondiale, qui est une émotion saine sur ce sujet, dépasse au fond les règles juridiques qui s’appliquent… Nous ne souhaitons pas réaffirmer l’interdiction qui est de droit, qui est de fait, et il n’y aura pas de sanctions et de procès-verbal pour la participation à cette manifestation. »

Autrement dit, si l’on fait l’effort de décrypter ce salmigondis, ce que l’on entend est très clair : j’affirme l’interdiction mais je ne la réaffirme pas ! Autrement dit encore, « les règles juridiques qui s’appliquent », je ne les applique pas et je m’assoie dessus ! Ainsi, non seulement le ministre de l’Intérieur, l’homme chargé de faire appliquer la loi, se permet de déclarer que la manifestation est « en même temps » (comme dirait Macron !) interdite et autorisée, qu’il n’y aura pas de sanctions pour ceux qui transgresseront l’interdiction. Non seulement la loi, qu’il devrait être théoriquement le premier à faire appliquer, il renonce par avance à la faire appliquer en assurant tous ceux qui s’apprêtent à la transgresser de l’impunité, mais il va plus loin encore puisque, ceux-là, il les encourage, les approuve et leur donne en quelque sorte sa bénédiction. « Je comprends parfaitement ceux qui veulent manifester », a-t-il déclaré en conclusion de ces propos sidérants.

Par-delà ces aberrations discursives, ces propos grotesques dont on pourrait rire s’ils n’étaient aussi inquiétants, ce qui ressort des dernières interventions de nos excellences ministérielles, c’est surtout le déni flagrant des principes les plus élémentaires du Droit dont celles-ci témoignent.

Ainsi le droit proclame que tout homme, tant qu’il n’a pas été jugé et condamné, doit pouvoir bénéficier de la présomption d’innocence. Or Castaner, en appelant à sanctionner des suspects qui n’ont pas été jugés et par conséquent pas été déclarés coupables, paraît vouloir instaurer la présomption de culpabilité à l’encontre des policiers. Ce serait-là une très inquiétante évolution du droit !

Venons-en maintenant aux manifestations à la fois interdites et autorisées. Rappelons pour commencer ce que c’est théoriquement que l’Etat de Droit. L’Etat de Droit, ça veut dire que les seules choses interdites sont celles qui sont interdites par la loi. Et les seules autorisées, celles qui sont autorisées par la loi. Alors, si l’on se trouve dans une situation où il y a des choses qui sont à la fois interdites et autorisées, c’est non seulement une atteinte à la logique élémentaire et au simple bon sens, c’est également une atteinte à l’Etat de Droit. C’est la consécration de l’arbitraire. Or cette légitimation de l’arbitraire est-elle compatible avec une république régie par le droit ?

Il est intéressant de s’arrêter un instant sur la raison invoquée par Castaner pour justifier cette surprenante aberration juridique qui refuse la loi. L’émotion, voilà le mobile qui, selon lui, justifierait que, cette loi, on la transgresse. Autrement dit, si vous êtes émus, vous êtes dispensés de vous conformer à la loi, c’est le ministre de l’Intérieur lui-même qui vous y autorise ! Qui ne voit l’immense bénéfice que peut retirer l’anarchie de la jurisprudence Castaner ? Va-t-il falloir alors mettre en place des instances ad hoc pour évaluer la qualité d’émotion de ceux qui aspirent à ne pas respecter la loi ?

Le cas Belloubet est peut-être encore plus grave. Pourquoi ? Parce que Mme Belloubet, avant d’occuper ce poste dont elle paraît si peu digne, a été professeur de droit, rectrice d’Académie, à Limoges puis à Toulouse, et même membre du Conseil Constitutionnel de 2013 à 2017.

Pourtant, nonobstant ses titres universitaires et les hautes responsabilités qu’elle a exercées chez les « sages » du Conseil Constitutionnel, elle avait déjà heurté l’opinion publique lors de l’affaire Mila, à l’occasion de laquelle elle avait paru introduire dans notre droit, une notion qui lui est totalement étrangère, le délit de blasphème. Le 29 janvier 2020, sur Europe 1, elle avait en effet déclaré à propos de cette adolescente menacée de mort pour avoir tenu des propos injurieux sur l’islam, : « L’insulte à la religion, c’est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c’est grave ». Devant la levée de boucliers que cela avait suscité, elle avait dû faire rapidement machine arrière.

Cette fois-ci, notre éminente juriste s’est autorisée à s’immiscer dans une affaire encore à l’instruction, l’affaire Adama Traoré, en violation du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs, lequel ordonne que l’exécutif, exécutif dont en qualité de Garde des Sceaux elle est partie prenante, s’interdise d’empiéter sur le domaine du judiciaire en intervenant dans une procédure en cours. C’est pourtant ce qu’elle a fait en invitant la famille Traoré à venir la rencontrer. Peine perdue, on le sait, puisque la famille d’Adama l’a insolemment envoyée promener. Devant les critiques qui ont jailli de toutes parts, elle aussi, n’a pas hésité pour se justifier à invoquer l’émotion : « Quand vous avez 20.000 personnes devant le parvis du tribunal judiciaire de Paris, il me semble qu’il n’est pas absurde d’entendre l’émotion mais aussi d’entendre la justice que demandent ces personnes. »

Alors M. Castaner et Mme Belloubet, vous qui êtes dotés d’une sensibilité si exacerbée que vous en soyez parvenus au point de faire passer l’émotion avant la loi, êtes-vous encore dignes d’être ministres de la République ? Des dévoiements semblables à ceux dont vous vous êtes rendus coupables pourraient-ils être tolérés chez nos voisins européens ? On ne voit pas comment, sauf à accepter que la France soit rabaissée politiquement au rang des pays les plus arriérés de la terre, ces comportements inouïs pourraient être autrement sanctionnés que par des démissions immédiates. 

 

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