
Dès le XIXe siècle les châtiments corporels ont été interdits à l’école. Les enseignants ne peuvent en principe ni frapper, ni infliger une sanction physique quelle qu’elle soit. En réalité, nous en sommes loin et il n’est donc pas rare que certains d’entre eux tentent encore d’assoir leur autorité au travers de gestes physiquement agressifs, comme, par exemple, tirer les cheveux, pincer, secouer ou, comme je l’ai appris dernièrement, pousser un élève de maternelle pour le faire tomber. De telles pratiques perdurent car, la force de l’habitude aidant, il est aisé aux témoins de telles scènes de faire comme s’ils n’avaient rien vu. Même s’ils sont choqués, il sera d’autant plus tentant pour eux de détourner le regard et de se taire qu’il s’agira d’un collègue qu’ils ne voudront pas froisser car ils sauront devoir continuer à coopérer avec lui. La jurisprudence de l’article 222-13 du Code civil n’a-t-elle pas induit « l’idée d’une tolérance à l’égard des violences éducatives ordinaires » ?
Il est pourtant prévu que toutes les violences soient « réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques » — et crier sur une élève en fait partie. Mais grande est la force de cette pseudo-loi du silence. Elle est telle que l’institution a pu s’attaquer au problème du harcèlement scolaire sans jamais envisager que des enseignants puissent en être à l’origine alors que, dans la majorité des cas, la hantise ou même la phobie que développent des élèves vis-à-vis de l’école résulte de la brutalité des pratiques éducatives qu’ils ont eu à connaître. De fait, quand un élève ne donne pas satisfaction, une proportion non négligeable d’enseignants se croient autorisés à crier, injurier, brimer, humilier etc. au point de créer parfois de véritables traumas avec ce qui constitue d’authentiques violences psychologiques. Et je ne parle même pas d’éventuelles violences physiques.
Toujours est-il qu’en dépit des différentes lois, des rapports, des cadres ou des chartes, même internationales, qui s’imposent à l’institution scolaire, la situation s’est peu améliorée. Grosso modo, il n’y a pas d’école qui n’ait un ou plusieurs enseignants qui, tous les jours, crient sur leurs élèves. L’exception serait plutôt ceux qui ne crient jamais. Il serait donc judicieux de chercher à comprendre ce qui permet de perpétuer ainsi ces mauvaises habitudes dans l’apparente indifférence des responsables de l’institution. Comment ne pas penser ici au fait que — ceci pouvant expliquer cela — du haut en bas de la hiérarchie, le leitmotiv régulièrement murmuré est « surtout, pas de vagues ! » ? Quoi qu’il en soit, la raison profonde de cette persistance des violences éducatives ordinaires est assez compréhensible, même par les parents des élèves concernés, car elle tient au fait que la plupart des enseignants se sentent démunis, quasiment impuissants. Et comment ne le seraient-ils pas avec les nouvelles générations d’élèves volontiers narcissiques, capricieux, en « toute puissance », indifférents à la parole de l’adulte et donc rétifs à toute forme de discipline ? Les enseignants ne sont pas du tout préparés à cela. Ils sont peu, pas ou mal formés, surtout en psychologie. Ils ne savent pas comment mettre en place un cadre éducatif apte à réguler les conduites des élèves sans leur faire violence.
Qu’ils y aient ou non prêté attention, le prêchi-prêcha de la bienveillance éducative et du climat scolaire ne leur est d’aucun secours lorsqu’il s’agit de contenir un élève (un groupe ou une classe) qui n’en fait qu’à sa tête ou entre carrément en rébellion. Comme presque tout le monde ici-bas, la hantise de l’enseignant est la perte de « contrôle », le fait de se montrer incapable de gérer, d’être perçu comme incompétent et de se trouver déconsidéré aux yeux des collègues, des parents et des élèves. Cela pourrait être une terrible blessure narcissique qu’il s’agit d’éviter à tout prix, serait-ce celui consistant à brusquer les élèves en criant, en les invectivant, en les menaçant, en les saquant etc. L’agressivité alors affichée est, pour l’enseignant, comme un petit « shoot » de contrôle (ou d’emprise) dont il devient vite dépendant (addict) et qui, fatalement, mène à une escalade dont il ne pourra que sortir épuisé, pas gagnant. En effet, l’enseignant cherche surtout la tranquillité quand ses élèves jouent leur vie. Certes, il y a encore peu de retours de bâton à craindre de la part des très jeunes élèves mais, dorénavant, il n’est pas rare que l’agressivité des enseignants suscite des répliques violentes chez les plus âgés.
L’apaisement du climat scolaire passera nécessairement par le fait de redonner aux enseignants le sentiment de contrôle qu’ils sont en train de perdre si tant est qu’ils l’aient jamais eu. Ils doivent pouvoir contenir le comportement d’élèves perturbateurs sans user d’une quelconque forme de violence. Ils ont donc dramatiquement besoin d’une solide formation et pas du catéchisme d’une éducation positive cache-misère aussi irréaliste qu’elle se veut idéale. Les zélotes de ce courant ne sont d’aucune aide et contribuent même à la catastrophe actuelle car, dans leur immense majorité, ils ont écarté la pierre destinée à devenir la clef de voute du système : la sanction. Parce qu’elle est confondue avec la punition, elle semble encore véhiculer une forme de violence éducative, celle-là même dont il faudrait apprendre à se passer. Mais c’est une erreur magistrale ! La sanction n’a pas de lien nécessaire avec la violence car cette dernière provient exclusivement du rapport de force. Dans le cadre d’un règlement conçu en collectif, démocratiquement, avec la participation active de tous les élèves de la classe, on est assuré qu’une sanction qui a été discutée et acceptée par tous ne fera violence à personne lorsqu’elle devra être appliquée car, il faut y insister, l’élève concerné a, par avance, accepté d’être sanctionné en cas d’infraction à la règle convenue. Lorsque la sanction tombe, après que la transgression ait été dûment établie, cela n’engendre aucune violence puisque rien n’est imposé contre la volonté de l’élève.
De là vient que la violence psychologique que constitue le fait de crier sur un enfant ou un élève n’est plus acceptable. Non seulement elle contrevient à la loi mais si tant est qu’elle ait pu paraître tolérable quand on pensait ne pas avoir d’alternative, il s’avère qu’elle ne l’est pas. Justement parce que nous disposons d’une solution : nous savons comment réguler les conduites des élèves sans leur faire violence. Il s’agit simplement d’achever le projet révolutionnaire consistant à donner la parole aux citoyens. Cela consisterait à donner, enfin, la parole aux enfants et aux élèves pour les amener à convenir des règles et des sanctions les concernant. Ainsi sortis de l’assujettissement Ancien Régime dans lequel ils ont été maintenus jusqu’à présent, les élèves auront à cœur de suivre les premières et toutes raisons d’accepter les dernières puisqu’ils les auront validées après les avoir réellement discutées. Cela s’appelle l’éducation démocratique.
Si l’on souhaite véritablement abolir la violence dans les familles, à l’école et même dans le monde, il serait grand temps de généraliser une telle forme d’éducation qui, tout en étant responsable, est structurellement dénuée de violence puisqu’aucune sanction n’apparaît plus alors légitime qu’elle n’ait été préalablement discutée et validée par tous, élèves, enseignants et parents. Il va de soi que crier, comme bien d’autres pratiques douteuses, ne pourrait faire partie du répertoire des sanctions convenues et nous pourrions alors définitivement tourner la page sur ce triste chapitre de l’histoire de l’éducation.
Il est pourtant prévu que toutes les violences soient « réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques » — et crier sur une élève en fait partie. Mais grande est la force de cette pseudo-loi du silence. Elle est telle que l’institution a pu s’attaquer au problème du harcèlement scolaire sans jamais envisager que des enseignants puissent en être à l’origine alors que, dans la majorité des cas, la hantise ou même la phobie que développent des élèves vis-à-vis de l’école résulte de la brutalité des pratiques éducatives qu’ils ont eu à connaître. De fait, quand un élève ne donne pas satisfaction, une proportion non négligeable d’enseignants se croient autorisés à crier, injurier, brimer, humilier etc. au point de créer parfois de véritables traumas avec ce qui constitue d’authentiques violences psychologiques. Et je ne parle même pas d’éventuelles violences physiques.
Toujours est-il qu’en dépit des différentes lois, des rapports, des cadres ou des chartes, même internationales, qui s’imposent à l’institution scolaire, la situation s’est peu améliorée. Grosso modo, il n’y a pas d’école qui n’ait un ou plusieurs enseignants qui, tous les jours, crient sur leurs élèves. L’exception serait plutôt ceux qui ne crient jamais. Il serait donc judicieux de chercher à comprendre ce qui permet de perpétuer ainsi ces mauvaises habitudes dans l’apparente indifférence des responsables de l’institution. Comment ne pas penser ici au fait que — ceci pouvant expliquer cela — du haut en bas de la hiérarchie, le leitmotiv régulièrement murmuré est « surtout, pas de vagues ! » ? Quoi qu’il en soit, la raison profonde de cette persistance des violences éducatives ordinaires est assez compréhensible, même par les parents des élèves concernés, car elle tient au fait que la plupart des enseignants se sentent démunis, quasiment impuissants. Et comment ne le seraient-ils pas avec les nouvelles générations d’élèves volontiers narcissiques, capricieux, en « toute puissance », indifférents à la parole de l’adulte et donc rétifs à toute forme de discipline ? Les enseignants ne sont pas du tout préparés à cela. Ils sont peu, pas ou mal formés, surtout en psychologie. Ils ne savent pas comment mettre en place un cadre éducatif apte à réguler les conduites des élèves sans leur faire violence.
Qu’ils y aient ou non prêté attention, le prêchi-prêcha de la bienveillance éducative et du climat scolaire ne leur est d’aucun secours lorsqu’il s’agit de contenir un élève (un groupe ou une classe) qui n’en fait qu’à sa tête ou entre carrément en rébellion. Comme presque tout le monde ici-bas, la hantise de l’enseignant est la perte de « contrôle », le fait de se montrer incapable de gérer, d’être perçu comme incompétent et de se trouver déconsidéré aux yeux des collègues, des parents et des élèves. Cela pourrait être une terrible blessure narcissique qu’il s’agit d’éviter à tout prix, serait-ce celui consistant à brusquer les élèves en criant, en les invectivant, en les menaçant, en les saquant etc. L’agressivité alors affichée est, pour l’enseignant, comme un petit « shoot » de contrôle (ou d’emprise) dont il devient vite dépendant (addict) et qui, fatalement, mène à une escalade dont il ne pourra que sortir épuisé, pas gagnant. En effet, l’enseignant cherche surtout la tranquillité quand ses élèves jouent leur vie. Certes, il y a encore peu de retours de bâton à craindre de la part des très jeunes élèves mais, dorénavant, il n’est pas rare que l’agressivité des enseignants suscite des répliques violentes chez les plus âgés.
L’apaisement du climat scolaire passera nécessairement par le fait de redonner aux enseignants le sentiment de contrôle qu’ils sont en train de perdre si tant est qu’ils l’aient jamais eu. Ils doivent pouvoir contenir le comportement d’élèves perturbateurs sans user d’une quelconque forme de violence. Ils ont donc dramatiquement besoin d’une solide formation et pas du catéchisme d’une éducation positive cache-misère aussi irréaliste qu’elle se veut idéale. Les zélotes de ce courant ne sont d’aucune aide et contribuent même à la catastrophe actuelle car, dans leur immense majorité, ils ont écarté la pierre destinée à devenir la clef de voute du système : la sanction. Parce qu’elle est confondue avec la punition, elle semble encore véhiculer une forme de violence éducative, celle-là même dont il faudrait apprendre à se passer. Mais c’est une erreur magistrale ! La sanction n’a pas de lien nécessaire avec la violence car cette dernière provient exclusivement du rapport de force. Dans le cadre d’un règlement conçu en collectif, démocratiquement, avec la participation active de tous les élèves de la classe, on est assuré qu’une sanction qui a été discutée et acceptée par tous ne fera violence à personne lorsqu’elle devra être appliquée car, il faut y insister, l’élève concerné a, par avance, accepté d’être sanctionné en cas d’infraction à la règle convenue. Lorsque la sanction tombe, après que la transgression ait été dûment établie, cela n’engendre aucune violence puisque rien n’est imposé contre la volonté de l’élève.
De là vient que la violence psychologique que constitue le fait de crier sur un enfant ou un élève n’est plus acceptable. Non seulement elle contrevient à la loi mais si tant est qu’elle ait pu paraître tolérable quand on pensait ne pas avoir d’alternative, il s’avère qu’elle ne l’est pas. Justement parce que nous disposons d’une solution : nous savons comment réguler les conduites des élèves sans leur faire violence. Il s’agit simplement d’achever le projet révolutionnaire consistant à donner la parole aux citoyens. Cela consisterait à donner, enfin, la parole aux enfants et aux élèves pour les amener à convenir des règles et des sanctions les concernant. Ainsi sortis de l’assujettissement Ancien Régime dans lequel ils ont été maintenus jusqu’à présent, les élèves auront à cœur de suivre les premières et toutes raisons d’accepter les dernières puisqu’ils les auront validées après les avoir réellement discutées. Cela s’appelle l’éducation démocratique.
Si l’on souhaite véritablement abolir la violence dans les familles, à l’école et même dans le monde, il serait grand temps de généraliser une telle forme d’éducation qui, tout en étant responsable, est structurellement dénuée de violence puisqu’aucune sanction n’apparaît plus alors légitime qu’elle n’ait été préalablement discutée et validée par tous, élèves, enseignants et parents. Il va de soi que crier, comme bien d’autres pratiques douteuses, ne pourrait faire partie du répertoire des sanctions convenues et nous pourrions alors définitivement tourner la page sur ce triste chapitre de l’histoire de l’éducation.