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Brigitte Grondin Perez : « Une chape de plomb pèse sur cette université »

Brigitte Grondin Perez se présente à l’élection générale de l’Université de La Réunion. Une candidature réfléchie depuis de nombreuses années, soutient la doyenne de la faculté des Sciences et Technologies. Elle inscrit sa candidature dans une volonté de rupture avec le management de l’équipe sortante. Avec son collectif, constitué notamment d’universitaires déçus au gré de la mandature Miranville, elle souhaite remettre au goût du jour la « transparence » entre la gouvernance et les composantes de l’Université. La professeure en « Automatique et Génie des Procédés » répond à nos questions à la veille du scrutin qui doit déboucher dans quelques jours sur le renouvellement des instances de gouvernance de l'Université de La Réunion.

Ecrit par zinfos974 – le mercredi 23 septembre 2020 à 19H00

Quel est votre parcours universitaire ?

J’ai effectué toutes mes études à l’Université de Bordeaux 1. En 1991, j’ai validé un Diplôme d’Études Approfondies en “Chimie physique de la matière et de l’environnement”. Mon classement m’a permis d’obtenir une bourse et de poursuivre en doctorat. J’ai soutenu ma thèse intitulée “Les réseaux de neurones pour la modélisation et la conduite des réacteurs chimiques : simulations et expérimentations” en 1994. En 2006, j’ai soutenu une Habilitation à Diriger des Recherches, spécialité Génie des Procédés, intitulée : « Étude du procédé de cristallisation de troisième jet en sucrerie de cannes : Modélisation et étude d’une conduite optimale ». En 2007, j’accède au grade de Professeure des universités et je suis promue à la première classe de ce corps en 2016. Au cours de ma carrière, j’ai eu à exercer différentes responsabilités administratives. Les plus remarquables sont les suivantes : de 2001 à 2002, j’ai assuré le poste de première vice-doyen du Pr Cadet, j’ai ensuite assuré l’intérim comme doyen lorsqu’il a été élu à la présidence de l’Université. C’est la deuxième fois que j’assure les fonctions de doyen. Pendant huit années, j’ai été la directrice adjointe du laboratoire Energy Lab. Enfin, au niveau national, je suis élue au bureau de la Conférence des Doyens d’UFR Scientifiques.

Comment avez-vous mûri l’idée de vous présenter à l’élection générale ?

La graine a été plantée lors des élections de 2012. En effet à cette occasion, j’ai écrit un courriel à la communauté universitaire indiquant ma surprise qu’aucune femme ne soit candidate. Un de mes collègues m’a alors rétorqué qu’au lieu de dénoncer les faits, il m’appartenait de me présenter. L’idée a fait son chemin. J’ai rejoint le collectif Nouvel Élan qui porte haut les valeurs de la transparence, de l’intérêt général (au sens noble et réel), l’équité, la reconnaissance des compétences de toutes et tous. Suite à nos différentes discussions, le collectif, de manière transparente et démocratique, a souhaité organiser des primaires. Partageant sans réserve les valeurs de ce collectif, j’ai présenté ma candidature avec le Pr Christian Lefebvre d’Hellencourt.

Quelles sont, dans les grandes lignes, les priorités que vous souhaitez impulser à l’Université si vous veniez à être élue avec votre équipe ?

Nous défendons deux lignes directrices et un changement de modèle. Notre première ligne directrice consiste à accompagner les trajectoires de nos étudiants et de chacun des membres du personnel de l’université pour une meilleure insertion et évolution professionnelle et citoyenne.

La seconde vise à soutenir et stimuler une recherche de qualité, reconnue et responsable dans le contexte de la LPR (Loi de Programmation pour la Recherche) qui présente autant d’opportunités que de menaces. Ces deux lignes sont supportées par un changement de modèle pour retrouver une gouvernance apaisée, un partage des responsabilités et le véritable sens de l’intérêt général. Cela passe par la promotion concrète (et non sous forme d’effet d’annonce) d’une qualité de vie au travail articulée autour de la transformation de nos campus en campus durables et du traitement équitable des étudiants et des personnels. Bref, nous voulons retrouver une communauté qui se connaît et se reconnaît, qui est consciente de ses compétences.

Au-delà de votre programme sur le plan purement pédagogique, le contexte engendre une augmentation des inscriptions d’étudiants pour l’année qui vient. Comment minimiser l’échec en 1ère année lorsqu’il est déjà difficile à juguler dans une configuration habituelle ?

Le collectif Nouvel Élan a un objectif fort qui est celui de rendre les étudiants acteurs de leurs formations. Dans la composante que je dirige, l’UFR Sciences et Technologies, nous avons déjà mis en place au quotidien des systèmes de parrainage. Cette année, des projets pédagogiques dans le domaine du développement durable ont été proposés par des étudiants aux néo-bacheliers de première année. Le nombre d’inscrits a dépassé nos espérances et nous souhaitons par ce biais créer du lien social et permettre aux nouveaux arrivants de pouvoir s’approprier les lieux. Zinfos974 a d’ailleurs relayé cette information en juillet 2020.

Sur le plus long terme, nous allons identifier les formations en émergence, à potentiel et celles en tension afin de concentrer nos efforts et accompagner tous les personnels afin de répondre de manière optimale à toutes les réformes en cours et à venir. Notre offre de formation doit devenir attractive et permettre aux étudiants d’être reconnus sur le territoire et plus largement dans la zone OI, dans l’Hexagone et à l’international.

Nous proposons également de renforcer la professionnalisation dès la licence. C’est en mettant en application leurs savoirs de manière concrète en entreprise, en laboratoire, ou toute autre structure professionnalisante que nos étudiants seront en meilleure capacité de réussir. Cela implique de créer et développer de nouveaux réseaux avec le monde professionnel pour renforcer la formation par alternance et la formation initiale (notamment à travers les stages). Cela nous amènera à renforcer le rôle du CFA UR pour proposer un maillage performant entre l’Université de La Réunion et les entreprises locales.

Surtout, ce sont les méthodes d’apprentissage qui ont changé et auxquelles nous devons nous adapter. Nous voulons faire de l’Université de La Réunion le pilier d’un territoire résilient, aussi devons-nous modifier nos modes d’enseignement. Il ne s’agit pas de passer au tout numérique, qui, en cette période post-confinement, a montré ses limites, mais d’être en capacité de distinguer ce qui relève de l’apprentissage par répétition de ce qui relève de la compréhension. La professionnalisation des étudiants renforcera nos pédagogies basées sur la compréhension.

Enfin, mieux accompagner nos étudiants nécessite d’accompagner nos enseignants et enseignants-chercheurs dans la transmission de leurs savoirs et compétences. Il s’agit donc de redonner aux composantes et aux services administratifs, les moyens d’accompagner la réussite de toutes et tous.

Présentez-nous votre équipe. Hormis la pluri-disciplinarité évidente de vos colistiers, quel(s) a (ont) été votre (vos) critère(s) de « recrutement » ?

Nous ne pouvons pas parler de recrutement, encore moins de critères. Ce qui nous a rassemblé est essentiellement le partage des valeurs que nous prônons au sein de notre programme : l’apaisement et la reconnaissance de toutes et tous. Et surtout, nous souhaitons que l’Université de La Réunion retrouve le fonctionnement d’un établissement supérieur avec un traitement équitable de l’ensemble des étudiants et l’ensemble des personnels.

Nos colistiers ont la volonté de s’investir dans les conseils où ils se présentent et la constitution des listes s’est faite naturellement. Nous avons été attentifs à la stricte alternance femme/homme, ce qui n’est pas le cas de l’autre liste. Mes collègues femmes n’ont visiblement pas été séduites par le programme et la gouvernance de l’équipe actuelle.

Vous inscrivez dans votre slogan de campagne le terme d’Université « active », cela pourrait être pris comme une critique subliminale à l’encontre de l’équipe sortante. Quel bilan dressez-vous des quatre années de la présidence Miranville ?

Le terme Université active fait référence à la force vive que représentent chaque collègue et chaque étudiant de l’établissement. Les acteurs de notre université montrent leurs compétences à travers les initiatives de terrain qu’ils prennent chaque jour et qui doivent être reconnues. La présidence sortante a oublié la richesse et la diversité des compétences de ses personnels et de ses étudiants. Une chape de plomb pèse sur cette université, entraînant démotivation, voire peur chez nombre de nos collègues. Nous n’avons plus le choix, il nous faut redonner confiance à toutes et tous et retrouver notre rôle essentiel sur le territoire.

Votre groupe a commencé à se constituer il y a deux ans déjà, nourri d’un ras-le-bol sur le plan du climat social, dites-vous. Comment se caractérisaient les rapports entre la gouvernance et les professeurs ? Et quelle approche pensez-vous mettre en place envers la communauté enseignante, du personnel administratif-technique et des étudiants pour « retrouver de la sérénité » ?

Des exemples emblématiques, malheureusement, il en existe beaucoup qu’il serait trop long d’énumérer ici, et qui ont été pointés à juste titre dans les différents rapports émis par nos instances régulatrices (HCERES, IGESR, Audit Ressources Humaines et Organisation). L’annulation de la campagne emploi de 2018 marque sans doute un des points d’orgue du non-respect des textes réglementaires. Cette annulation a fait suite à l’irrégularité relevée par le contrôle de légalité du Rectorat et porte sur la présidence illégale par le Président de l’Université du Conseil Académique Restreint (instance en charge des recrutements et des carrières des enseignants-chercheurs). Cet évènement a été fédérateur pour nombre de collègues, puisque c’est à l’issue de cette annulation que nous avons commencé à nous organiser de manière à faire entendre une voix d’opposition dans les conseils et à informer nos collègues, via feu la liste Expression Libre, des problèmes graves et récurrents dans la gestion de notre établissement.

Pour retrouver la sérénité au sein de l’Université de La Réunion, nous devons retrouver le respect des textes réglementaires. Nous pensons également qu’il est indispensable que les conseils centraux renouent avec leurs fonctions initiales. Également, et de manière plus générale, nous voulons redonner à chacun son rôle (pour les BIATSS comme pour les enseignants et enseignants-chercheurs), sur la base d’une relation de confiance et d’objectifs à réaliser.

Reconnaissez-vous malgré tout à l’équipe sortante une (ou des) promesses(s) tenues ?

L’équipe sortante avait promis de mettre en place des visites semestrielles aux composantes. Elle l’a fait.

En quoi votre vécu au sein d’universités métropolitaines comme celle de Bordeaux vous aide-t-il à imaginer des points d’amélioration pour notre université ?

L’Université de La Réunion possède déjà, en son sein, tout un potentiel d’amélioration. Il suffit de redonner à toutes et tous la possibilité d’exprimer leur potentiel et de mettre à profit leurs compétences, malheureusement étouffées, depuis quatre années, dans un processus d’infantilisation et de concentration des pouvoirs entre les mains de quelques personnes. Nous effectuons, au sein du collectif Nouvel Élan, un benchmark régulier des bonnes pratiques de nos homologues métropolitains, afin d’évaluer celles qui nous permettent de valoriser les talents réunionnais. Il faut toutefois arrêter d’opposer universités de métropole et universités ultramarines. Nous sommes tous des acteurs essentiels de la formation des futurs citoyens et de leur insertion professionnelle.

L’époque est favorable à la féminisation de l’occupation des postes à responsabilité. Qu’on vous évoque le fait que vous pourriez être la première femme présidente de l’Université de La Réunion, cela vous plaît ou vous laisse indifférente ?

Au-delà de mes propres convictions, il me semble essentiel d’avoir la meilleure représentation possible de la diversité de notre établissement dans une équipe de direction performante, soudée et stable. Un modèle de gouvernance satisfaisant ne peut se passer de la complémentarité femmes/hommes et donc d’un réel partage du pouvoir au sein d’une équipe représentative de l’ensemble de la communauté universitaire.

Enfin, accéder à la présidence de l’Université n’est pas une fin en soi, mais représente une occasion unique de mettre en œuvre notre programme et de porter notre ambition pour l’Université de La Réunion, pour la jeunesse de ce territoire.

Quel bilan faites-vous de votre action en tant que doyenne de la faculté des Sciences et Technologies depuis 2017 ?

Sur le volet de la vie étudiante, j’ai travaillé, avec l’équipe décanale sur l’accompagnement de tous les étudiants. Pour ceux qui étaient en difficulté, nous avons élaboré trois parcours adaptés. L’un de ces parcours a été cité en exemple au niveau national lors d’une journée Promosciences. Cela montre l’investissement des équipes pédagogiques et de tous les personnels au sein de la Faculté des Sciences et Technologies.

Nous proposons aussi l’accompagnement des potentiels différents avec la création de cursus pluridisciplinaires qui permettent de suivre des doubles diplômes : double licence ou licence complétée de diplôme universitaire. L’objectif est de proposer aux étudiants d’avoir des parcours de formation diversifiés. Nous avons réussi cette première phase.
Et pour que nos étudiants puissent se projeter, nous avons régulièrement invité des personnalités réunionnaises, je veux parler par exemple de Nadia Payet, ingénieure chez Google, ou encore d’Emilie Adelin, ingénieure en recherche et développement chez L’Oreal qui a fait une partie de ses études dans notre composante. Dans ce cadre, depuis 3 années maintenant, nous nous attachons à choisir des anciens étudiants comme parrains et marraines des diplômés.

Depuis le début de mon mandat, je me suis beaucoup investie pour créer du lien avec les acteurs socio-économiques du territoire. J’ai ainsi invité régulièrement des chefs d’entreprises à visiter nos laboratoires de recherche. Je fais aussi un véritable travail de terrain pour que nos formations soient plus visibles et plus lisibles. Ces actions commencent à porter leurs fruits et le dialogue est noué avec les futurs recruteurs de nos étudiants.

Enfin, pour créer du lien social en général au sein de la Faculté des Sciences et Technologies, nous avons mis en place plusieurs actions culturelles : « Allons au spectacle ce soir », les boîtes à livres de la FST, l’organisation d’expositions dans nos locaux. Et nous promouvons les femmes de sciences à travers la mise à l’honneur de parcours remarquables. Un grand pique-nique organisé par les personnels, pour les personnels, nous réunit dans les jardins de la FST tous les ans. C’est l’occasion pour toutes et tous de partager des talents culinaires, musicaux….C’est un moment qui est extrêmement apprécié qui nous permet de trouver de la cohésion.

L’ensemble des personnels de la Faculté des Sciences et Technologies est rassemblé et soudé autour d’un projet partagé ; là est ma plus grande réussite et celle de toute l’équipe décanale.

 

Brigitte Grondin Perez :

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