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Aux limites du servage : Le swami de Saint-Louis s’en mettait plein les fouilles

Tribunal correctionnel de Saint-Pierre, le 20 mars 2014:

Ecrit par Jules Bénard – le jeudi 20 mars 2014 à 16H01
Pascal Boqui-Quéni n’a peut-être pas eu de chance au départ. Mais comme un chat retombant sur ses pattes, il a su saisir au bond sa déveine pour en tirer profit. Au détriment de pauvres bougres moins chanceux que lui.
 
Voici quelques années, employé dans une société de récupération de métaux et autres déchets, il est licencié et son employeur lui suggère une subtile solution : créer sa propre société et continuer le même boulot. Qu’à cela ne tienne !
 
Notre homme est « swami » dans un ashram saint-louisien. Fort de cette autorité morale, il crée une société qui se chargera d’accueillir les désespérés de toutes sortes, SDF, laissés-pour-compte, sans famille…
 
« C’est ça ou rien ! »
 
Cette société, toutefois, n’est jamais déclarée, n’a pas de statut défini et est inconnue des autorités. Le swami établit des statuts d’hébergement longs comme un jour sans pain, avec des contraintes d’entrée et de sortie, des obligations non assorties de droits compensatoires. En clair, les personnes accueillies sont sous la coupe totale du défenseur des délaissés ! Et doivent travailler pour son compte à la récupération des déchets et autres cochonneries.
 
Au départ, le centre d’accueil est établi près de l’ashram. Mais pour plus de commodités, M. Boqui-Quéni loue bientôt des logements à Bois-de-Nèfles-Coco. Ce qu’il exige de ses « pensionnaires » ? Trois fois rien : effectuer le travail de ramassage des ordures diverses qui lui sont facturées par son ancien employeur. A n’importe quelle heure du jour et, pour ainsi dire, de la nuit.
 
Les factures sont établies à son nom propre et non à celui de l’association « caritative » qu’il dirige d’une main de fer.
 
Notre « mère Térésa » des sans-espoir a la main lourde : c’est ça ou rien ! Son épouse, Madeleine des paumés, accompagne ces derniers dans leurs démarches pour leur faire obtenir le RMI. Et ça marche ! Ca marche sauf que… sauf qu’elle garde par devers elle les cartes bancaires et retire religieusement, chaque mois, les maigres allocations de ces malheureux.
 
Un procureur mors aux dents
 
Ces pauvres gens ne se plaignent pas : on les nourrit (de temps en temps) avec des barquettes récupérées, larme à l’œil, auprès des restaurants et des camions-bars.
 
Certains récalcitrants à ce STO nouvelle version ayant regimbé (on les comprend), des sévices corporels ont été commis, histoire de porter la bonne parole dans les âmes récalcitrantes. Des « bruits » sont vite parvenus aux oreilles des assistantes sociales qui ont illico averti le Procureur. Lequel a pris le mors aux dents.
 
« Vos questions m’embrouillent ! »
 
Les enquêteurs vont de surprise en ébahissement : les récupérations finissent non à la décharge autorisée mais dans la ravine ; ou sont carrément brûlés sur place ; nombre de « pensionnaires » sont sous-alimentés grave ; les violences seraient fréquentes, certificats médicaux à l’appui ; les nourritures dispensées aux assistés ont été périmées plus souvent qu’à leur tour ; des aliments récupérés dans les poubelles auraient été servies à ces malheureux ; lesquels comptaient pourtant sur la générosité de cette association intitulée « SOS-Solidarité ». Va comprendre !
 
La lecture du compte personnel de l’accusé laisse apparaître que les chèques des prestations de récupération ont été versés sur le compte personnel de M. Boqui-Quéni. Plus de 53.000 euros quand même.
 
Avec sa patience légendaire, la Présidente Flauss tente de démêler l’écheveau de l’embrouille. Mais ne pas compter sur l’accusé pour éclairer la scène. Morceaux choisis :
 
« Comment expliquez-vous ceci ?… Vos questions m’embrouillent. – Est-ce que ça rapportait ?… Oui ! – Vous utilisiez ces gens ?… Ils étaient bénévoles !… – Mais ils n’avaient pas le choix !… Je ne veux pas faire perdre du temps à la Cour… »
 
Plus clair tu meurs.
 
Où le procureur pète les plombs !
 
En bref, il n’a jamais forcé personne à travailler alors que toutes les enquêtes disent le contraire.
 
Il revint au Procureur Giraudet de souligner le côté léonin des contrats d’hébergement, des conditions emplissant plusieurs pages (*), avec plein d’impératifs et pas beaucoup d’avantages autres que l’hébergement et une barquette (de récupération) de temps en temps.
 
Les avantages étaient tous du côté du saint homme : le RMI de ces malheureux, le boulot sans contrepartie, une obéissance sans faille.
 
Jugé « directif, violent », le prévenu nie tout et le reste. Pour prouver sa bonne foi, il laisse la Cour en plan et s’en va fouiller sa besace à la recherche de documents… qu’il ne trouvera jamais. Mais cela a donné l’occasion au Procureur Giraudet, au flegme pourtant légendaire, de « péter les plombs » : « C’est quoi ce cirque ? Il y a déjà eu plusieurs renvois. Le prévenu et son avocat ont largement eu le temps de peaufiner leur défense ! »
 
Des états de grave dénutrition
 
Le prévenu ne manque pas d’un certain culot. Il en faut devant un tribunal, pourvu que ce soit à bon escient. Là, M. B.-Q. ose dire : « Les hébergés en avaient assez de me voir trimer pour subvenir à leurs besoins. C’est pourquoi ils ont proposé de m’aider ».
 
Du tac au tac, la présidente Flauss, rapports sous les yeux, réplique : « Eux semblent dire le contraire ». Prends ça po toué !
 
Il prétend ainsi que les hébergés mangeaient à leur faim. « Mais alors pourquoi, s’enquiert la Présidente, certains sont-ils décrits par les assistantes sociales, comme en état de grave dénutrition ? » Question demeurée sans réponse comme beaucoup d’autres.
 
Le Procureur Giraudet avait eu l’occasion de s’emporter (un petit peu) devant l’attitude du prévenu. Son réquisitoire ne lui céda en rien. Une association ? Non déclarée ? Sans assemblée générale ? Sans quitus des commissaires aux comptes (inexistants au demeurant) ? Aucune sortie de chèque pour les loyers de Bois-de-Nèfles-Coco ?
 
« Est-ce que votre association humanitaire a répondu à son objet ? » s’est enquis le représentant du Ministère public. « Pas du tout ! » lui fut-il rétorqué enfin.
 
Dura lex…
 
M. Giraudet a eu une phrase terrible : « Le prévenu a ponctionné le RMI de ces malheureux en les exploitant sans contrepartie autre que l’hébergement et un peu de nourriture de temps en temps ! »
 
Et de réclamer une peine sévère : 2 ans d’emprisonnement dont une (seule) assortie du sursis, plus 25.000 euros d’amende.
 
L’avocat de la défense eut beau revenir point par point sur les différents chefs d’accusation, rien n’y fit, la Cour a suivi le Procureur sur toutes ses demandes. Deux ans dont un ferme, plus les 25.000 euros.
 
(*) Le Procureur a évoqué les CHRS, centres d’hébergement et de réinsertion sociale. Je connais. J’ai été pris en charge par celui de la rue Caumont à Saint-Pierre, voici trois ans, lorsque j’étais moi-même SDF. Ben oui, ça arrive ! Le CHRS m’a hébergé sans contrepartie autres que de ne pas me bourrer la gueule et accepter les visites impromptues pour vérifier que j’étais clean et que je n’hébergeais personne. Ce n’était pas un ashram mais j’y étais certainement mieux que dans le centre du swami de Saint-Louis. Ces gens m’ont remis sur pied et comment mieux leur témoigner ma reconnaissance que de le dire ici ?

 

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