Telle le Messie, Annick Girardin est arrivée ce matin à Gillot.
Dans une ambiance survoltée sur le barrage de Gillot, elle a appelé à un retour au calme et à l’ordre républicain. Si elle a dit comprendre la colère des Réunionnais, elle a aussi révélé avoir demandé aux forces de l’ordre certes de respecter les manifestants pacifistes, mais de faire en sorte qu’il y ait « le moins de blocages possibles« . « Si les petites entreprises meurent, vous n’aurez pas d’emploi. Il faut aussi que les enfants puissent aller à l’école, c’est une question d’éducation », a-t-elle dit.
On sait maintenant d’où venaient les ordres, hier, pour la levée des barrages à Bel Air à Saint-Louis, à la Cocoteraie à Saint-André et à l’entrée de la route du Littoral à la Possession…
Annick Girardin arrive à la Réunion dans un contexte extrêmement difficile où tous les éléments pratiquement sont ligués contre elle :
– La Réunion est paralysée par des barrages sur les principales routes de l’ile. L’économie est à l’arrêt, plus aucune marchandise n’entre au Port ce qui laisse planer la menace d’une paralysie, les écoles sont fermées, l’essence est distribuée au compte goutte, les produits de première nécessité comme le gaz commencent à manquer…
– Malgré tous ces inconvénients, le mouvement des Gilets jaunes est massivement soutenu par la population (un sondage sur [la page Facebook de Zinfos]urlblank:https://www.facebook.com/zinfos974.reunion/ donne 84% des Réunionnais qui les approuvent), tandis que le rejet d’Emmanuel Macron et de sa politique est quasi-général
– Annick Girardin a réussi le tour de force de liguer la quasi-totalité des élus contre elle. Déjà qu’Emmanuel Macron n’avait que très peu de soutien ici, il n’en reste plus aujourd’hui que deux : le sénateur Michel Dennemont et la maire de la Possession Vanessa Miranville. Même Thierry Robert et Gilbert Annette, ses plus plus fervents soutiens, ceux qui avaient organisé le voyage d’Emmanuel Macron à la Réunion, lui ont désormais tourné le dos
– Les syndicats lui sont tous hostiles, lui reprochant bien sûr sa politique à la Réunion mais aussi d’avoir tout fait pour minimiser leur rôle dans la société. A la Réunion comme en métropole, Emmanuel Macron s’est évertué à court-circuiter et à affaiblir les partis politiques et les syndicats. Aujourd’hui, ces relais lui manquent pour canaliser la colère populaire
– Les milieux patronaux réunionnais lui sont d’une hostilité farouche au point qu’ils ne se cachent presque plus d’appeler à son limogeage. La FEDOM (fédération des entreprises des Outre-mer), que l’on a connu plus conciliant, n’a pas hésité à parler de « reniement de la parole donnée » la semaine dernière. Ils lui reprochent des mesures qui, au lieu d’aider la Réunion à surmonter ses handicaps liés à son insularité et à la distance par rapport à la métropole, vont renchérir le coût du travail dans l’ile. Et donc encore accroitre un chômage qui est le plus élevé d’Europe (mis à part Mayotte, qui vient de devenir département)
– Elle n’a aucun relais dans la société civile car elle n’a jamais cherché à en avoir. Pour elle, la priorité était ailleurs, dans des collectivités ultra-marines plus turbulentes (Guadeloupe, Martinique, Mayotte, Nouvelle Calédonie). Pour preuve, Annick Girardin, ou des membres de son cabinet, disaient régulièrement en off à plusieurs témoins qui me l’ont rapporté que La Réunion allait bien et que ce n’était donc pas un territoire prioritaire pour le ministère.
Sans compter qu’il est de notoriété publique que la seule vraie priorité de la ministre s’appelle Saint-Pierre-et-Miquelon, territoire dont elle est originaire…
A ce sujet, comment ne pas évoquer le post d’Huguette Bello sur sa page Facebook ce matin où elle demande ironiquement à Annick Girardin de « défendre (aussi bien) la Réunion comme elle défend Saint-Pierre-et-Miquelon« … puisque le ratio des dépenses de l’Etat dans le territoire d’origine de la ministre par rapport au nombre d’habitants est de 16.140€ contre… 6.055€ à la Réunion (source projet de loi de Finances 2019).
Comme on le voit, la ministre de l’Outre-Mer arrive dans un territoire où le terrain est miné, où le moindre de ses dérapages pourrait provoquer l’explosion.
Comme le Réunionnais est quelqu’un de gentil, de respectueux, elle part avec un (petit) capital de sympathie car on lui reconnait le courage de venir à la rencontre de la population, de faire au moins mine de l’écouter. Même si on regrette qu’elle soit venue aussi tard.
Mais qu’elle ne se fasse pas d’illusions. Elle ne se sortira pas de cette crise par l’annonce de quelques mesurettes, histoire d’amuser la galerie.
Les Réunionnais attendent de vrais réformes en profondeur, à même d’améliorer leur pouvoir d’achat, de réduire le chômage endémique et de rétablir notre fameux « vivre ensemble » singulièrement mis à mal par cette dizaine de jours de crise.
Elle est condamnée à réussir sinon elle risque bien de jouer le même rôle de fusible qu’Yves Jégo aux Antilles en février 2009…