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Air Austral condamné à disparaître après un mariage forcé avec Corsair ?

La joint venture entre Air Austral et Corsair récemment présentée comme la formule gagnante n’est-elle finalement qu’un jeu de dupes ? Selon nos informations, le gouvernement pousse les deux actionnaires des compagnies domiennes à aller beaucoup plus loin. Vue de Bercy, cette optique aurait l’avantage de ne porter assistance qu’à un seul malade au lieu de deux compagnies moribondes. D’un point de vu local, c’est la menace d’une perte d’identité réunionnaise et d’emplois au profit d’une main-mise antillaise qui plane.

Ecrit par zinfos974 – le jeudi 30 septembre 2021 à 19H32

« On n’a pas fait tout ce qu’on a fait pour refiler maintenant Air Austral aux Antillais », a-t-on entendu dans les couloirs de la Pyramide inversée lundi dernier lors du conseil d’administration de la SEMATRA, principal actionnaire de la compagnie régionale. Huguette Bello serait contre cette solution de rapprochement avec Corsair. Marie-Joseph Malé n’a jamais tenu de position officielle mais y serait favorable selon nos sources.

Mais les besoins de la société se chiffrent en millions d’euros et les finances de la Région ne permettent plus à cette dernière de faire un nouvel apport au capital. 

C’est dans ce décor que se profilait ce jeudi au siège d’Air Austral un comité social et économique. L’heure des discussions franches était venue alors que se poursuit en coulisses la « coopération commerciale » entre les deux compagnies. Lundi, les heures qui ont précédé le conseil d’administration de la SEMATRA ont donné lieu aux plus folles perspectives. 

Parmi elles, tout simplement la disparition de la compagnie régionale. Une hypothèse qui n’a pas été contredite par la plupart de nos informateurs. Au contraire, l’impression qui prédomine est que les dés sont pipés depuis des mois. 

« Tout laisse à penser que ce projet de coopération commerciale, qui va donc créer un alignement sur les prix, devrait être recalé par l’Autorité de la concurrence. Les deux compagnies vont donc être obligées de faire un mariage capitalistique. Air Austral c’est fini ! Elle va se faire bouffer par Corsair », prédisent même nos interlocuteurs. 

Les doutes d’avant conseil d’administration de la SEMATRA ce lundi après-midi à la pyramide inversée ont donc laissé place à plus de certitudes. Et à une « véritable inquiétude », de l’aveu des personnes interrogées. En tant que principal financeur public de la compagnie, la Région a les clés financières sur la flotte de la compagnie mais cela ne signifie pas pour autant que le véritable pilote se trouve à La Réunion. 

« Air Austral est mis au pied du mur » 

Selon nos informateurs, le gouvernement pousse la SEMATRA et la SAS Outre-mer R-Plane* – l’équivalent antillais de la SEMATRA – à « se marier ». 

Une perspective qui va donc bien plus loin que [la coopération commerciale (ou joint venture) annoncée à la mi-août]urlblank:https://www.zinfos974.com/Covid-Air-Austral-et-Corsair-s-allient-face-a-la-crise_a172369.html . De cette formule gagnant-gagnant qui avait l’avantage de préserver les deux entités, le « rapprochement » – terme employé prudemment par tous nos interlocuteurs à ce stade – mènerait vers un mariage qui déboucherait sur un plan de rationalisation à tous les étages. Pour faire simple : une diminution des postes de dépenses dans les deux compagnies qui n’en formeraient donc qu’une, et donc de nombreux licenciements à la clé. 

Nos informateurs illustrent leurs propos en schématisant la politique d’économie d’échelle que supposerait une dilution des deux compagnies. « Ils vont établir un ratio des mêmes services de chacune des deux compagnies, c’est-à-dire comparer leur masse salariale, leur nombre d’avions, etc., identifier leurs coûts et les diviser par deux. Dans cette optique, cela veut dire qu’à terme, ils se poseront la question : pourquoi être obligé de garder une base à La Réunion ? A part pour les personnels navigants. Après, pour ce qui est de la partie administration, gestion en vol, pourquoi en garder deux aussi ? On va sûrement supprimer un des deux services. Et d’après vous, qui va sauter ? », s’interrogent-ils, avant un silence qui en dit long.

Derrière cette perspective, nos interlocuteurs brandissent en effet la menace que le pôle dominant de la future et unique entité aérienne née du « rapprochement » des deux compagnies se trouverait aux Antilles. A titre d’information, la toute récente (décembre 2020) SAS Outre-mer R-Plane qui détient à 100% Corsair, a son siège en Guadeloupe et la plupart de ses actionnaires sont Antillais. 

« Je pense que les deux compagnies n’ont rien à dire, quelles sont mises devant le fait accompli par l’Etat », ajoute un autre connaisseur du secteur aérien. « Face à la volonté de l’Etat de rapprocher les compagnies Corsair et Air Austral, la SEMATRA n’a pas pas grand chose à dire non plus, ni même les salariés. Ces derniers sont extrêmement inquiets du périmètre de l’ancrage réunionnais et du nombre d’employés qui resteront basés à La Réunion. Quel sera le périmètre d’activité retenu ? Quels seront les avions basés à La Réunion ? Uniquement du moyen-courrier ou du long courrier ? Il est évident qu’il y aura des conséquences sur l’emploi. Mais où seront les conséquences les plus importantes ? Est-ce que ça sera chez Air Austral ou chez Corsair ? Il est trop tôt pour le dire mais ce qu’il est important de savoir c’est que dans un processus d’absorption ou de fusion, il y a des redondances qui amèneront à un plan social ou du moins à des rationalisations des services », ajoute notre interlocuteur. Autant de questions qui en amènent une autre, tout aussi cruciale de part et d’autre des deux océans : « Dans ce mariage avec Corsair, qui tiendra les manettes ? » 

Froidement, notre informateur dresse un tableau de la situation qui laisse apparaître le peu de marges de manoeuvres dont peut se prévaloir la compagnie régionale en ce moment. « Air Austral est mis au pied du mur. Un mur de dettes colossales ! Une fois que le PGE (Prêt garanti par l’État, ndlr) sera terminé, il faudra le rembourser, la compagnie n’aura pas le choix ! En clair l’Etat fait savoir à la compagnie qu’elle ne l’aidera pas et que sa seule solution, c’est qu’elle se marie avec Corsair. Une fois mariée avec Corsair, peut-être que l’Etat l’aidera… ». 

La compagnie réunionnaise poussée vers la sortie par la main de l’Etat ?

« Comparativement à Air France et Corsair, Air Austral n’a pas bénéficié de subventions de la part de l’Etat. La compagnie régionale n’a bénéficié que de prêts. Ce sont certes des prêts garantis par l’Etat mais contractés auprès de banques privées qu’il faudra bien rembourser » une fois la crise Covid passée. 

« C’est l’Etat qui organise ce mariage forcé en subventionnant depuis de nombreux mois par des aides directes et par des emprunts participatifs les compagnies Air France et Corsair et en n’aidant pas Air Austral. La compagnie réunionnaise n’a eu droit qu’à l’aide de base, c’est-à-dire l’activité partielle et les fameux 10 millions d’euros dont toute entreprise de 450 salariés a bénéficié. Aujourd’hui, l’Etat ne donne pas les moyens à Air Austral de se maintenir. Devant l’accumulation de dettes, l’Etat est en train de dire : la seule solution c’est de vous marier ! L’Autorité de la concurrence est censée être indépendante, mais elle est au service de l’Etat… Ce qui va se passer c’est qu’elle va donner une solution du type : « si vous vous mariez, il n’y aura pas de problème » », poursuit notre interlocuteur, décrivant le scénario qui pourrait être retenu. Le tout dans un contexte financier qui offrira encore beaucoup d’inconnues même à l’horizon de la mi-2022, date à laquelle la compagnie pourra enfin avoir une vision précise de sa situation financière puisque son exercice fiscal se clôt le 31 mars. 

D’autant que demeure encore l’inconnue sur la question de savoir en quoi se transformera le moratoire dont bénéficie la compagnie sur la dette sociale. « J’ai bien peur que d’ici là, Air Austral ne soit plus une entité à part entière puisque de ce que j’ai compris, les choses vont très vite et sont engagées depuis de nombreux mois à la grande surprise de tous », ajoute-t-il. 

Ce jeudi matin, la compagnie réunissait un CSE. Une instance qui a pour but d’informer les salariés sur la situation économique et financière de l’entreprise. Mais à aucun moment ce scénario du pire n’a été évoqué.

Depuis ces interviews que nous avons menées entre lundi et mercredi, le député Jean-Hugues Ratenon est venu apporter de l’épaisseur à ce scénario connu que de rares initiés. Devant la représentation nationale, il s’agissait sans doute pour le député également élu régional de tester le gouvernement sur ses réelles intentions. « La compagnie se trouve aujourd’hui confrontée à une trésorerie très tendue qui la place dans une situation de péril imminent. Or l’Etat conditionne l’activation et la poursuite de ses aides à un rapprochement capitalistique avec Corsair. Ce scénario se traduirait par la disparition d’Air Austral dans son identité réunionnaise », affirmait ce mardi soir à l’Assemblée le député qui questionnait le ministre des Transports. Jean-Baptiste Djebbari ne répondra pas sur ce volet du rapprochement capitalistique. 

Air Austral, c’est 854 emplois directs mais aussi environ 3000 indirects à La Réunion en comptant toutes les sociétés sous-traitantes.

 

Sollicitée, la Région n’a pas donné suite. A l’inverse, la direction d’Air Austral a accepté de répondre à nos questions ce jeudi soir :

La direction d’Air austral mène-t-elle des négociations avec Corsair depuis quelques mois dont la finalité serait de fusionner les deux entités ?

La direction d’Air Austral mène bien évidemment des discussions avec Corsair. Elles s’inscrivent dans le cadre d’un projet de partenariat comme nous l’avons communiqué conjointement le 17 août dernier. 

 

En effet, pour faire face à la crise et ses conséquences, les deux compagnies ont émis la volonté de mettre en place une coopération commerciale. Nous ne sommes pas en mesure à ce stade d’apporter plus de détails, sinon que les discussions se poursuivent actuellement. 
 
La direction d’Air Austral a-t-elle réellement cru à la faisabilité d’une joint venture ? Ou est-ce un projet mené uniquement dans l’optique de dire aux salariés que : « vous voyez, ce n’est pas nous qui décidons, mais c’est l’Autorité de la concurrence qui nous intime de ne pas nous engager dans une joint venture » ?

 

La direction d’Air Austral croit bien évidemment à la faisabilité d’une Joint Venture avec Corsair. Des discussions se poursuivent en ce sens. 
 
La mise en place d’une telle coopération commerciale est un sujet complexe que les compagnies aujourd’hui en responsabilité analysent et mettront en œuvre dans le strict respect de la concurrence. Cela se fait en toute transparence avec les autorités compétentes par l’intermédiaire de leurs conseils respectifs. 
La direction d’Air austral est-elle mise devant le fait accompli de la part de l’Etat qui pousserait en faveur de la fusion des deux compagnies ?

 

Les discussions qui se déroulent actuellement entre les directions des deux compagnies concernent exclusivement le projet de coopération commerciale pour la mise en place d’une Joint Venture. Toute autre type de coopération ne relève pas des compétences de la Direction Générale des compagnies, mais directement de leurs actionnaires.
La direction a-t-elle été transparente sur ce point (je parle de la supposée véritable finalité du rapprochement) avec les salariés ?

 
Ce type de projet complexe est nécessairement évolutif, aussi c’est en transparence que nous communiquons à nos personnels en fonction de l’évolution et surtout de la fiabilité suffisante des éléments que nous sommes en mesure de transmettre. Aujourd’hui les discussions, travaux et analyses conjoints se poursuivent.

 

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