« Qu’elle est lourde à porter, l’absence d’un ami. L’ami qui tous les soirs venait à cette table… » (Bécaud)
J’ai pris un peu de temps avant d’écrire sereinement cet hommage à un homme hors du commun. Un homme que j’aimais. Un homme qui m’aimait. Un homme qui aimait tout le monde. Johnny Ferrier, bassiste de SuperJets, sonorisateur professionnel au talent salué bien au-delà de nos îliennes frontières. J’ai beau chercher, je n’en connais qu’un seul autre qui ait porté à ce haut point l’amour du beau son, Vally. « Tant que lé pas bon, ni arcommence ».
Ils sont arrivés à quatre de Mada, dans les années 60, pour former le tout premier orchestre pro de l’île. Ils en avaient du mérite, Johnny, Anou, Ange et Jean-Pierre. A cette époque (et aujourd’hui encore), on ne vit pas de sa musique.
Comme on ne vit pas de son écriture (inside joke) ; il faut un job à côté. Eux vont avoir l’immense courage de tenter l’aventure ; ils se font embaucher par le restaurant Arc-en-Ciel où ils jouent midi et soir. Leur salaire ? Une immense fortune : le manger et le coucher. Pour se faire un peu de pognon ils commencent à écumer les bals du samedi soir où ils se feront vite un très grand nom.
Avant de passer à autre chose… Les SuperJets sont, sans s’en douter, une image très proche du microcosme réunionnais. Il y a deux zanatany créoles, Ange et Jean-Pierre Nativel. Les zanatany sont les Créoles nés à Madagascar. Il y a un zanatany mauricien, Johnny. Et un pur Malgache, Anou, le grand Anou, guitariste d’une finesse inégalée.
C’était une parenthèse.
A leurs débuts, ils ont des guitares dont on ne dira pas les noms par pure charité. Comme disait Hank Marvin : « Les cordes étaient à un kilomètre du manche ». Sauf pour Ange qui acquit très tôt sa première Stratocaster.
Ils se convainquirent tous très vite qu’il leur fallait un meilleur matos pour avoir un son. Johnny y fut pour beaucoup et ils jouèrent très vite sur des Gibson SG et de plus puissants amplis.
Frères et complices musicaux plus que copains de fortune, ils se retrouvent à l’étage d’une station-service où je suppose qu’ils ne font pas que de la musique. C’est là qu’un jour je les ai rencontrés, ayant appris qu’Ange vendait sa Fender chamarrée comme elle de George Harrison. Il la vendait pour pas cher et je décidai de l’acheter. Je les y rencontrai une semaine plus tard encore, m’étant rendu compte piteusement que je n’avais pas les moyens. Ce fut Johnny qui m’accueillit, se désolant de mon désargentement chronique.
Je me rappelle exactement sa gentillesse : « Tracasse pas, camarade. Un jour, tu auras les moyens. Être dans la merde, ça arrive à tout le monde ». C’était ça, Johnny, une immense empathie, la rare faculté de se mettre à la place de l’autre, de compatir. Je ne l’ai jamais entendu juger un autre.
Poursuivant sa quête acharnée du beau son, Johnny aida ses amis à se convaincre que la qualité du son était un plus indéniable. Explication très simple : les SuperJets ne reproduisaient que de très beaux airs. Ils ne pouvaient se contenter de sons minables. Je me souviens qu’un soir en plein air à Saint-Paul, le fond du podium était tapissé d’une muraille de baffles. Celui qui s’en donnait à coeur-joie dans cette sono hors-pair, c’était ti-Pierrot Leveneur exécutant un « Belfast » de toute beauté. Car Johnny et ses SuperJets ont toujours donné leurs chances à ceux qu’ils savaient être des « bons ». C’est ainsi qu’ils ont accueilli en leur sein celui que je considère comme le meilleur guitariste de l’île, Harry Pitou, garçon Loulou. Et tant d’autres…
Du temps passa et hélas, les excellents orchestres comme La Réunion en comptait tant, Donat, Barre, Arlanda, Calypso, Vinh San, Taquet, Tropina, Générations, Goliath, Jazz des Îles, j’en passe et des meilleures, se retrouvèrent supplantés par des DJ idiots proposant pour moins cher une musique débile. Les orchestres disparurent. Les SuperJets se trouvèrent tous un boulot et Johnny, ça ne surprend personne, fonça dans le son.
Il avait depuis longtemps appris les subtilités de la sonorisation mais, non content de s’en satisfaire, il suivit des cours pour s’améliorer, se perfectionner. Fort de sa réputation d’homme à l’honnêteté de fil-à-plomb, il put emprunter assez pour se constituer la meilleure sono de l’océan Indien.
Une sono digne de ce nom ne veut pas dire quelques baffles d’arrière-podium et trois micros. Ce sont des colonnes, des murailles de haut-parleurs, des amplis de quelque milliers de watts, des dizaines de micros et de retours-de-scène. Johnny avait tout ça car il n’aurait jamais accepté de louer une sono mineure. Il a toujours voulu offrir le meilleur. C’est son titre de gloire, la perfection.
Sa réputation de bon-faiseur fut si vite celle qu’elle fit que les meilleurs artistes en tournée ici ne juraient que par lui : Johnny (l’autre), Kassav, Charlélie Couture, Goldman, etc., ont tous sollicité ses services. Et nul ne s’en est jamais plaint.
C’était sa fierté à notre Johnny, donner le meilleur de lui-même car du temps où il était musicien, il n’aurait jamais accepté de donner un mauvais son à ceux qui payaient pour l’écouter. Ça s’appelle l’honnêteté.
En fait, entre le jeune bassiste luttant pour bouffer et le chef d’entreprise louant une sono hors-pair, il n’y a aucune différence. « S’il paie pour m’écouter, je lui dois le meilleur ». C’était ça, Johnny, le refus de l’-à-peu-près et « tout pour les autres ». Je me rappelle ses notes de guitare basse, dans les débuts : il ne cherchait pas l’épate. Juste le bon son. Il était comme ça aussi dans ses relations : la bonne tonalité, l’amitié, la tendresse.
C’est LE souvenir que je garderai de toi, mon Johnny, le sourire de ton amitié.
Hasta luego amigo !