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À propos d’une éventuelle cogestion franco-malgache sur le récif de Tromelin (Le cri du cœur de Christian Chadefaux)

J’ai appris par « Le Journal de l’île de La Réunion » la disparition du Christian Chadefaux ainsi présentée : « Esprit libre, intransigeant dans le sens noble du terme, impertinent, le journaliste Christian Chadefaux est décédé mercredi à La Réunion où il résidait depuis 2006, après avoir vécu à Madagascar, son pays de cœur […]

Ecrit par André Oraison – le vendredi 05 mai 2017 à 14H02

J’ai appris par « Le Journal de l’île de La Réunion » la disparition du Christian Chadefaux ainsi présentée : « Esprit libre, intransigeant dans le sens noble du terme, impertinent, le journaliste Christian Chadefaux est décédé mercredi à La Réunion où il résidait depuis 2006, après avoir vécu à Madagascar, son pays de cœur ». Je ne connaissais pas personnellement Christian Chadefaux. Mais je peux attester de la véracité de la formule employée par la presse locale. J’ai eu en effet l’occasion de citer son nom dans plusieurs de mes études et notamment dans l’un de mes derniers articles scientifiques consacrés au différend franco-mauricien sur Tromelin. Pour lui comme pour moi, ce récif doit être revendiqué par Madagascar et non par Maurice. Voici en ce sens une de ses argumentations que je soutiens pleinement. 

Pour Christian Chadefaux, il serait rationnel d’envisager une cogestion franco-malgache – notamment dans le domaine de la recherche archéologique – en raison des origines exclusivement malgaches des naufragés abandonnés sur Tromelin par des marins français à la suite du naufrage, le 31 juillet 1761, de la flûte française l’« Utile » qui avait heurté le récif alors qu’elle se rendait de Madagascar – où elle avait pris en fraude une « cargaison » de 160 esclaves – à Maurice. Dans le naufrage du navire de la Compagnie Française des Indes Orientales, 20 marins et 72 esclaves périrent noyés. Mais le reste de l’équipage et des esclaves parvint à se réfugier sur le récif. Au nombre de 122, les blancs rescapés construisirent une embarcation de fortune avec les matériaux récupérés sur les débris du vaisseau. Ils s’embarquèrent sur cette embarcation, baptisée la « Providence », le 27 septembre 1761 et rejoignirent le port de Tamatave à Madagascar, puis Maurice, après avoir promis aux esclaves qu’on les enverrait chercher. Mais ces derniers – du moins les survivants – durent attendre plus de 15 ans. 

Le 29 novembre 1776, Jacques Marie Boudin de Lanuguy de Tromelin, enseigne de vaisseau du Roi de France, commandant la corvette la « Dauphine », réussit à débarquer sur l’Isle de Sable. Il avait en fait trouvé, dans sa partie nord-ouest, un étroit chenal permettant à des canots de sauvetage d’accéder par temps relativement calme – c’est-à-dire très rarement – au seul point abordable du récif. Sur 88 esclaves malgaches abandonnés en 1761 sur le récif, sept femmes et un bébé de huit mois (baptisé pour la circonstance Jacques Moïse) avaient survécu sur cette langue de sable brûlée par un soleil implacable et balayée chaque année par les cyclones, pendant l’été austral. L’issue heureuse de cette petite communauté humaine dans un environnement hostile relève du miracle. De fait, ses membres ont pu survivre en buvant de l’eau saumâtre d’un puits creusé à cinq mètres de profondeur et en se nourrissant de la chair d’oiseaux de mer (sternes fuligineuses) et des tortues marines (chelonia mydas) qui viennent régulièrement pondre sur la plage. 

 

Avant même une hypothétique entrée en vigueur de l’accord-cadre de Port-Louis, des campagnes de fouilles ont déjà réalisées sur le récif de Tromelin. Elles révèlent que les naufragés malgaches ont utilisé les outils de l’« Utile », notamment des clous de grande taille, des grattoirs, des haches, des marteaux et des tisonniers, abandonnés après le départ de l’équipage blanc. Les survivants ont pu ainsi confectionner des ustensiles de cuisine et surtout construire, dans la partie la plus élevée du récif, une dizaine de petits bâtiments à l’espace intérieur, certes, exigu, mais aux murs épais en blocs de corail afin de les protéger du soleil, de la pluie, du vent et des cyclones. Un four et des briquets à silex ont également été retrouvés par les archéologues de Max Guérout dans une des pièces ayant servie de cuisine. Ces éléments démontrent que les survivants malgaches ont maintenu un feu de manière permanente pendant plus de quinze ans sur le récif après le départ de l’équipage blanc, grâce au bois de charpente provenant de l’épave de l’« Utile » et malgré le passage périodique des cyclones. 

À la suite de ce drame, il est permis d’en tirer une conclusion logique avec Christian Chadefaux. La voici formulée en des termes particulièrement bien frappés et qui vont droit au cœur : si une île de l’océan Indien doit être considérée comme malgache, « c’est bien Tromelin qui conserve dans ses « tripes » les vestiges de l’esclavage dont furent victimes les Malgaches dans cette zone. Pas d’autres traces d’une présence humaine durable que malgaches à Tromelin. Pas d’autres drames humains à Tromelin que celui du séjour forcé de la centaine d’esclaves malgaches, abandonnés comme des épaves sur ce caillou de l’océan Indien par des marins français ». C’est aussi notre profonde conviction : prévoir par un accord-cadre de longue durée une cogestion principalement franco-mauricienne du récif de Tromelin dans le domaine ciblé et inattendu de la recherche archéologique est une solution inconvenante et attentatoire à la réalité historique. 

 

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